Alors que l’Euro s’est achevé dimanche dernier et a vu des déplacements de population dans toute l’Europe notamment pour suivre son équipe nationale, concentrons-nous justement sur les supporters à distance à travers une mini-série de trois articles. Premier épisode aujourd’hui avec le sociologue Ludovic Lestrelin qui a théorisé la notion.
Né en 1978, Ludovic Lestrelin se retrouve au carrefour de sa jeune carrière de recherche à la fin des années 1990 lorsqu’il doit choisir son sujet de mémoire qui l’amènera vers sa thèse. Parmi les différentes dimensions prises en compte dans le choix de ce sujet, la première qu’il note est la “dimension personnelle”. “J’ai grandi adolescent avec l’Olympique Marseille comme club français phare en fait qui était à la fois le club numéro un en France et qui allait très loin en Coupe d’Europe donc moi j’ai vécu ça, ces années-là, quand j’étais adolescent”, se remémore-t-il. En tant qu’apprenti-chercheur, il s’appuie donc sur son historique pour trouver un terrain sur lequel il peut dénicher plusieurs questions. Néanmoins, la dimension personnelle ne suffit pas et une “dimension d’opportunité” apparaît lorsque Ludovic découvre une section de supporters marseillais à Rouen, où il étudie.
Directement interpellé, il en parle à son directeur de mémoire, Jean-Charles Basson, d’où une troisième dimension qu’il nomme “intellectuelle”. “Il y avait quelque chose là de tout à fait singulier et qui n’était absolument pas documenté, et les travaux à l’époque – les travaux de sociologie, d’ethnologie et quelques travaux qui existaient – insistaient énormément sur la correspondance entre le club et l’appartenance territoriale, le club comme symbole et mode d’expression de l’appartenance territoriale”, explique le sociologue. “Sauf que là j’avais face à moi un phénomène qui ne rentrait pas du tout dans les cases en quelque sorte” poursuit-il. “J’avais des gens qui étaient des Rouennais, Normands ayant vécu toute leur vie en Normandie et qui étaient pourtant des fous absolus de l’Olympique de Marseille, donc ça a commencé comme ça”.
La question de confiance
Pour tous les apprentis-chercheurs mais également pour tous les sociologues, une question se pose lors de l’entrée dans une enquête de terrain, celle de la confiance qu’accordera ou non la population observée. Dans le cas de Ludovic Lestrelin, il n’y a pas eu de difficulté particulière pour intégrer la section de Rouen et s’y fondre comme un véritable supporter normand de l’OM. “Ils sont très accueillants, ils sont très ouverts et c’est ce qui explique aussi que j’ai pu approfondir mon travail. C’est que j’ai été face à des gens qui étaient très ouverts et qui m’ouvraient leurs portes, sans difficulté particulière, en tous cas pour ce qui était des dirigeants du groupe, le président, le vice-président. Les gens vraiment très investis étaient très, très ouverts avec moi”, se souvient-il. Pour l’enseignant-chercheur aujourd’hui rattaché à l’université de Caen, cet accueil est compréhensible. “Mon intérêt pour leur passion et leur activité, ils le vivaient comme une forme de reconnaissance, alors même que c’était des gens qui étaient justement confrontés à parfois des discours négatifs et dévalorisant leur passion, le fait de pas être considérés comme de “vrais” supporters”, avance-t-il.
Cette problématique du “vrai” supporter s’avère récurrente dans le monde du supportérisme à distance. Les individus soutenant un club sans habiter dans la ville qui l’abrite souffrent souvent d’un complexe de légitimité par rapport aux locaux. Ces derniers sont en effet pour la plupart nés sur place, ont grandi dans la ferveur urbaine entourant le club, véritable phare régulant le quotidien des agglomérations, ce qui est notamment le cas pour Marseille et Saint-Etienne, deux villes vivant pour le football et comptant de nombreux supporters à travers le pays. Alors, forcément, avec ce déficit de légitimité, il y a toujours un côté rassurant et flatteur de voir sa pratique obtenir les faveurs d’une recherche académique sérieuse.
Au fil des kilomètres
Pour mener à bien son enquête, Ludovic Lestrelin a effectué de nombreux voyages avec la section de Rouen. “Mon premier déplacement c’était pour un match à Rennes, alors que l’OM était en grande difficulté sportive et jouait le maintien et donc je me suis retrouvé pour mon premier déplacement au départ de Rouen, enfin juste à côté de Rouen”, raconte-t-il. “Deux minibus partaient pour le match à Rennes et j’en étais et donc j’ai fait des déplacements avec la section rouennaise jusqu’à la finale de la Coupe de France 2006 contre le PSG”. Au fur et à mesure qu’il côtoie les membres de la section, le sociologue noue une relation avec eux, notamment les plus investis, ceux qui effectuent un nombre important de voyages au cours d’une saison et qui sont susceptibles de rester actifs plusieurs saisons.
Si Ludovic Lestrelin a parcouru plusieurs kilomètres au fil des années, allant même jusqu’à Göteborg pour la finale de la Coupe de l’UEFA 2004, il n’a pas pu suivre ces membres actifs toutes les deux semaines au Vélodrome ou bien même lorsque l’OM jouait à l’extérieur. “A l’époque j’étais étudiant, alors certes j’avais une allocation de recherche mais c’est moi qui finançais les déplacements sur ces fonds-là”, précise-t-il. L’argent est bien souvent un point crucial pour les supporters à distance, notamment les plus jeunes. “Vous aviez des parents qui étaient plutôt bienveillants parce que sensibles au football, notamment des pères amateurs de foot, pas forcément amateurs de l’OM mais amateurs de foot, ou qui suivaient l’OM à la télévision, et qui finalement pouvaient avoir un regard plutôt bienveillant”, commence Ludovic Lestrelin avant de poursuivre. “Mais il y avait aussi pas mal de jeunes qui avaient des parents un peu dubitatifs, voire assez négatifs sur cette activité-là, en termes déjà de coûts financiers et puis de risque en fait. C’était perçu comme quelque chose de risqué, sur le plan déjà de la route elle-même, la peur de certains parents en fait de confier leur enfant, leur garçon de 16-17 ans, à des adultes qu’ils ne connaissaient pas forcément toujours très bien”.
A cause de ce frein économique, certains membres se voyaient obligés de choisir leurs matchs, tant et si bien que, malgré leurs fortes convictions envers l’OM, une frustration pouvait se dégager, les personnes choisissant leurs affiches étant souvent mal perçues au sein du groupe. La récurrence des voyages est pourtant, dans le monde du supportérisme à distance, incontournable. A la fois pour la position sociale individuelle au sein de la section mais aussi pour la survie de la section elle-même car, comme nous allons le voir en deuxième partie, les différents groupes répartis sur le territoire ne sont pas tous assurés d’une longue et belle carrière.
A suivre…