Layvin Kurzawa chambre John Guidetti
En barrage de qualification pour l'Euro espoirs, Layvin Kurzawa avait chambré son adversaire John Guidetti. Avant que la roue ne tourne et que la Suède batte les Bleuets. Crédits : IMAGO
Passe D

Tour d’horizon du chambrage 2.0, la botte secrète du football

Chambrer, verbe transitif. Se moquer, taquiner quelqu’un. Synonymes : charrier, railler. En football, c’est tout un art. Déjà présent dans les cours d’école ou dans la rue, le chambrage continue même sur les plus prestigieuses pelouses du monde. Aujourd’hui, c’est à coup de tweets et de publications Instagram qu’il se manifeste le plus.


France-Suède Espoirs 2014. À la 70ème minute, les suédois inscrivent un troisième but signé Milosevic. Ce dernier célèbre en faisant un salut militaire. Mené 3 à 0, Kurzawa finit par marquer à la 86ème, offrant à la France son premier et unique but de la rencontre. Sa première pensée va à Milosevic, le capitaine, vers qui il engage une petite course de célébration pour aller lui rendre son salut. Ça aurait pu s’arrêter là, mais Layvin est chaud. Il va donc le refaire à Olsson et Guidetti. La suite vous la connaissez. Deux minutes plus tard, nouveau but pour la Suède. Ni une ni deux, Guidetti se retourne vers Kurzawa et lui rend son chambrage.

Cela continue dans les vestiaires où l’équipe jaune et bleue se prend en photo se moquant encore une fois du geste du défenseur français. Des exemples comme celui-ci, il y en a des centaines. Joey Barton qui mime grossièrement le nez de Zlatan Ibrahimovic en plein match, Ryan Babel, attaquant de l’Ajax, qui se moque d’Allan Nyom en reproduisant et exagérant sa chute (ou simulation) lors de la rencontre Ajax-Gatafe en Europa League… Le chambrage fait entièrement partie du football et ne semble pas échapper à l’ère du numérique. Si c’est sur le terrain que les esprits s’échauffent, les réseaux sociaux prennent de plus en plus de place, devenant ainsi la troisième mi-temps du match.

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Avec Twitter, le chambrage est monté en grade, atteignant même les sphères privées des clubs. Pierre Farges, un des community manager des Girondins de Bordeaux, a d’ailleurs commencé en étant un supporter décalé sur Twitter. Se cachant sous le personnage fictif de “Claude Pèze”, il commentait de manière incisive et trash les actualités de son club de cœur. En 2016, alors que le club recherche une personne pour prendre en charge ses réseaux sociaux, il postule. “Je savais très bien que l’argument principal de ma candidature était “Je suis Claude Pèze”, explique Pierre. Le but de mon recrutement était d’avoir un ton plus libre” sur les réseaux sociaux. Pari gagné ! Depuis, le club, suivi par plus de 410 000 personnes sur Twitter, est remarqué par sa communication humoristique. L’invincibilité du club sur ses terres depuis plus de 43 ans face à L’Olympique de Marseille, n’est évidemment pas en reste de ce chambrage assumé. 

Avec l’oiseau bleu, une remarque qui serait en temps normal restée inaperçue, est maintenant relayée et commentée. À l’image de Juninho, le directeur sportif de l’Olympique Lyonnais, qui lors du match aller OL-Montpellier, avait critiqué le jeu des Héraultais malgré leur victoire 2-1 sur la pelouse lyonnaise. “Ici, c’est comme ça, ça balance devant, il n’y a pas beaucoup de football”, avait-il lancé sur Téléfoot. Mais le 13 février 2021, à l’occasion du match retour, Montpellier écrase encore l’OL sur le même score. Après ce nouveau succès, l’attaquant Andy Delort, n’a pas manqué l’occasion de venir chambrer Juninho, sans le citer. “+3 points et sans balancer. Dormez bien.”, a-t-il tweeté.


Mais l’exemple le plus parlant est franco-allemand. Si vous ne vivez pas dans une grotte, vous vous souvenez de la guéguerre virtuelle PSG/Dortmund. À deux jours du coup d’envoi du match aller, le club de la Ruhr lance les hostilités sur la version anglaise de son compte Twitter. Une photo d’Erling Haaland avec une citation de Lars Ricken, responsable de la catégorie des jeunes au BVB, est postée. On y lit : “Nous n’achetons pas des superstars, nous les fabriquons.” 1-0 pour Dortmund. Et pour le moment, le PSG ne semble pas prêt à rappliquer.

Le 18 février, le BVB remporte le match et s’empresse de tacler sur les réseaux sociaux avec le message “Et voilà” accompagnant une photo de la célébration zen de sa star norvégienne. 2-0 pour Dortmund. Pas de répit, le club enchaîne et enfonce le clou avec Axel Witsel. Le milieu de terrain belge publie une photo de lui montrant le chiffre deux avec ses doigts à un arbitre. La légende qui l’accompagne crucifie le PSG : “Quand l’arbitre me demande combien de buts Erling Haaland va marquer…”. 3-0 pour Dortmund, Paris reste silencieux. Un des responsables des réseaux sociaux du Paris Saint-Germain, explique que le silence est une stratégie du club. “Le PSG, c’est plus qu’un club de football, c’est devenu très politique. On peut beaucoup moins se permettre qu’avant de chambrer car on est très regardé voire même surveillé, donc ça peut facilement se retourner contre nous, explique-t-il. C’est super frustrant, vraiment. Surtout que les clubs allemands sont très chambreurs donc on a qu’une envie c’est de répliquer. Mais finalement, les joueurs l’ont fait à leur manière au match retour…”.

Le 12 mars 2020, vient le match retour. La veille, le club allemand a encore passé un palier dans l’art du chambrage. Sur son compte Facebook, une illustration de la célébration d’Haaland devant la Tour Eiffel est publiée. Cela aurait pu marquer une victoire par K.O des jaunes et noirs, mais le phoenix parisien renait de ses cendres. “Le chambrage, c’est la base du sport, souligne le community manager parisien. Ça fait du bien, ça motive”. Gonflés à bloc, les joueurs du PSG veulent en découdre sur le terrain. Kimpembe l’avouera lui-même plus tard dans la soirée au micro de PSG-TV. “Après leur victoire chez eux à l’aller, ils ont mis beaucoup de tweets, beaucoup d’Instagram, beaucoup de paroles, beaucoup de ceci, de cela, que ce soit leur directeur sportif, les joueurs, le compte Instagram officiel du club… On l’a tous vu. On a gardé ça dans un coin de nos têtes et je pense que ça nous a tous boostés. Ça nous a aussi permis d’avoir cette petite rage dans un coin de nos têtes. Et ce soir, ça nous a porté profit.

Et oui. Dans un Parc des Princes vide, Paris contrôle son match et écrase Dortmund 2 buts à 0. Il n’en fallait pas plus pour que les joueurs parisiens chambrent le club allemand en postant de nombreuses photos d’eux imitant la célébration d’Haaland. Le soir même, le compte Twitter officiel du PSG publie une illustration du match affichant le score final avec la légende “Wunderbar” soit “Magnifique”. L’arroseur arrosé. 

De l’huile sur le feu

Le chambrage sur les réseaux sociaux peut enflammer les rivalités déjà existantes entre les clubs. À l’occasion du 122ème derby de l’histoire entre l’Olympique Lyonnais et l’AS Saint-Etienne le 24 janvier dernier, les Gones ont écrasé (0-5) les Verts. Les hommes de Rudi Garcia ont célébré leur victoire en n’oubliant pas de chambrer leurs rivaux historiques. Dans la soirée, les joueurs partagent sur les réseaux sociaux une photo où on peut les voir mimer le nombre “69” avec leurs mains, soit le numéro de leur département.


L’autre rivalité majeure en France est celle qui oppose le PSG et l’Olympique de Marseille. Bien que cette dernière ait été créée de toutes pièces au début des années 90 par les dirigeants des deux clubs, elle est plus virulente que jamais et les réseaux sociaux l’alimentent avec plaisir. Lorsque les parisiens ont perdu la finale de la Ligue des champions face au géant Bayern Munich, Dimitri Payet, attaquant marseillais, s’est empressé de chambrer les perdants en rappelant que l’OM est le seul club français à avoir remporté la précieuse coupe aux grandes oreilles. Quelques semaines plus tard, lors de la finale du Trophée des champions remporté par le PSG face à l’OM, Neymar répond à Payet sur le même ton. Dans sa story Instagram, le brésilien affiche fièrement sa médaille sur son maillot parisien et zoom sur le maillot marseillais en faisant “non” du doigt. Le 13 janvier 2021, Neymar en rajoute une couche et interpelle Alvaro Gonzalez avec lequel il s’est particulièrement chauffé lors des précédentes rencontres.

Au cours du match, le défenseur phocéen commet une faute grossière sur l’attaquant parisien en l’attrapant par la tête pour le ralentir dans sa course. Neymar lui demande alors sur Twitter si le fait d’avoir posé ses mains sur sa tête était pour le couronner. “Roi, non Alvaro ?”, écrit-il. L’altercation entre les deux joueurs continue alors toute la nuit. Alvaro réplique : “Mes parents m’ont toujours appris à sortir les poubelles. Allez l’OM toujours”, accompagnant ses propos d’une capture d’écran de la fameuse action où il tient la tête de Neymar. “Et il a oublié comment on gagne des TITRES”, surenchérit le brésilien.

L’espagnol ne se démonte pas et tweet une photo de Pelé, surnommé le Roi Pelé par son talent hors norme, tenant trois Coupes du monde avec le message “L’ombre éternelle du roi”. Neymar ajoute : “Et toi t’es dans la mienne. Je t’ai rendu célèbre… de rien fenomeno”. L’échange s’arrête à 4h49 du matin.

Au-delà des rivalités connues, les équipes de football n’hésitent plus à se chambrer les unes et les autres sur les réseaux sociaux. À l’image de Saint-Etienne qui ne présente pas de tensions particulières avec l’OM en temps normal et qui pourtant n’a pas hésité à taper sur le club phocéen en septembre dernier. Après que les Verts aient gagné (0-2) au stade Vélodrome, le compte Twitter du club a été renommé “C’est Sainté bébé!” en référence au titre Bande organisée produit par Jul. La chanson est devenue un véritable hymne à Marseille, certaines paroles allant même jusqu’à être affichées en lettres capitales dans le stade. Ce pourquoi l’ASSE a également posté une photo de son équipe célébrant la victoire avec pour légende le titre de la chanson.


À se demander si le chambrage 2.0 entraînerait de nouvelles rivalités dans le futur. Pour le community manager du PSG, c’est incontournable : “Les réseaux sociaux créent beaucoup de nouvelles tensions qui se voient sur le terrain ensuite. La rivalité nouvelle PSG/FC Barcelone ou PSG/BVB en sont les exemples mêmes”, affirme-t-il. Alors on se fie à l’adage “qui aime bien châtie bien” et on profite du spectacle virtuel.

Suzanne Jusko

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