Il y a une semaine tout pile se tenait un match de foot peu commun. Opposant la France à l’Espagne, ce match ne réunissait pas Benzema, Ansu Fati et Mbappé mais plutôt Amine, Yass Domingo et Zack.
Ces gens sont de véritables stars sur Twitch et ils ont, de leurs mains, monté et offert à leur public un évènement sans précédent (ou presque) dans le Twitch game français. Et le public a su le leur rendre. Le stade Jean Bouin qui accueillait la rencontre était plein : 20 000 personnes ont fait le déplacement (à 30 euros la place, c’est fou). Sur internet, la chaîne Twitch d’Aminematue a connu un pic d’audience de 1,1 millions de spectateurs. La France s’est sans surprise imposée 2-0 après 90 minutes fortes de football.
Évidemment, le niveau n’était pas fou, voire plutôt… bas. A noter que Yannou a été soupçonné d’être un ancien professionnel. Ce n’est donc pas le niveau sur le terrain qui fait l’intérêt de ce show, résolument à la française.
Un match de district, façon Ligue des Champions
Les moyens mis en place ont été conséquents. On parlerait d’un million d’euros investi pour un spectacle digne des soirées Ligue des Champions sur TF1.
Ce qui peut interroger finalement : moyens conséquents, réalisation de haut niveau, audience touchant le million ; qu’est-ce que Twitch fait différemment de la téloch’ ?
Paradoxalement, Twitch copie la télé mais de façon miroir. C’est pareil, mais à l’envers, en quelque sorte. Je m’explique. Les chaînes télévisées sont fortes de leurs programmes et chacune à ses émissions phares : les JT de 20h, les talk-show comme C a vous, Clique ou Quotidien, les magazines d’enquêtes et docs société comme Complément d’Enquête ou Capital. Il y a aussi les fameux télécrochets ! Dans ces derniers, ce sont des inconnus qui, via un concours de chant, danse, cuisine ou autres deviennent des stars. La télévision crée des célébrités : des animateurs, des chroniqueurs, éditorialistes et journalistes, et autres célébrités de peu de chose (cf les télé-réalités). Vous êtes un inconnu, vous passez à la télé et hop, le tour est joué, vous devenez, à minima micro-influenceur sur Instagram (faut bien rentabiliser tout ça).
Sur Twitch, c’est l’inverse. Participer à de gros évènements ne vous rendra pas célèbre, même à l’échelle de la plateforme. Il faut déjà être célèbre pour participer. Devenir streamer est une aventure très solitaire . Vous commencez seul. Vous trouvez un public après de longues heures de show, sur plusieurs mois, voire années (et parfois jamais). Le streamer doit fédérer autours de lui un public engagé dans ce qu’on appelle de nos jours une relation parasociale: une relation caractérisée par son aspect à sens unique. Le public d’un ou une streameuse est souvent piégé dans cette relation. Chaque spectateur, pour diverses raisons, a parfois l’impression d’entretenir une relation privilégiée avec son streamer préféré.
Un streamer, une communauté
Là se trouve l’inexplicable tout de même. Ces streamers et streameuses se retrouvent adulées, au point de remplir des stades sans qu’ils n’aient aucun talent particulier, sinon celui d’être sympathiques et divertissants. Chacun d’entre eux ont une fan base, une communauté qui leur est propre comme un club a ses supporters.
Cela vous fait penser à des influenceurs ? Et pourtant une grande différence sépare ces deux types de personnalités. Le streamer fait du direct, il ne peut que très peu tricher. A l’inverse, l’influenceur a pour principal but la création d’un personnage, nécessitant de mentir sur le moindre aspect de sa vie : corps de rêve (retouché et botoxé), rythme de vie divin (faux jet privé, voyage tout frais payé par des marques douteuses, etc). De son côté, le streamer doit être naturel, au plus prêt de sa vraie vie, ses galères, ses fous rires et ses emmerdes. Bien entendu, des marques spécialisées et certains sponsors leur permettent de vivre de leur activité, bien que le public soit moins ouvert à ces partenariats.
Du football et rien que du football
Un second paradoxe, d’ordre sportif, habite ce match : le rapport succès – niveau de jeu.
Les joueurs, il faut l’avouer, étaient d’un niveau très faible. Cela semble normal, ce n’est pas leur métier. Pourtant, si l’on prend de la hauteur, on s’aperçoit que le niveau de jeu est souvent le premier argument sorti pour justifier toute sorte d’idée : la super-coupe d’Europe par exemple mais aussi est surtout le manque d’audience du football féminin.
Ce match prouve donc que l’important n’est pas le niveau de jeu mais les joueurs. Samedi soir, ce sont des stars de Twitch, portées par leur public auquel elles doivent « tout » car sans eux « rien de tout ça ne serait possible ». Ces personnalités n’ont de cesse de faire entrer dans la boucle leur fans. Elles les considèrent comme un réel acteur de ces évènements, un réel douzième homme. Le public n’est pas simplement un consommateur… Les élites du football auraient certainement beaucoup à apprendre de ces évènements.
Enfin, ces streamers tentent au mieux d’être sincères dans leur démarche. Ce fut d’abord le cas avec le Grand Prix Explorer, une course de F4 organisée par le Youtuber Squeezie (et qui détenait le précédent record d’audience sur la plateforme). Les participants ont dû s’entraîner dur pendant plusieurs semaines. D’abord pour maîtriser les bolides qu’ils conduiraient mais aussi et surtout pour proposer une réelle compétition au public. La formule fut la même pour cette confrontation trans-pyrénéenne : les participants ont joué le jeu de la compétition, se sont entrainés pour offrir une réelle prestation. Ils ont d’abord penser football avant tout le reste, et ça, c’est sport.
Un match retour s’annoncerait déjà. Les Espagnols, revanchards, serait partant mais nos Français, fiers comme des coqs, réclament le “Camp Nou ou rien”.