Géorgie, terres de football (3/4) : Un Dinamo au service de l’identité géorgienne
Club phare de la République Sociale Soviétique de Géorgie, le Dinamo Tbilissi connait ses plus grandes heures entre le milieu des années 1960 et le début des années 1980. Couronné par une victoire en Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupes, le club se pose comme un symbole servant les intérêts nationalistes géorgiens. Troisième étape en collaboration avec David Jishkariani, historien et professeur à la Georgian American University de Tbilissi.
Septembre 1953. Le petit père des peuples, Staline, a quitté les siens depuis un peu plus de six mois et c’est Nikita Khrouchtchev qui vient de le remplacer après une période de transition. Alors que le championnat de football d’URSS s’apprête à se clore, le Spartak Moscou et le Dinamo Tbilissi sont au coude à coude au classement.
Le club géorgien coure après son premier titre de champion depuis la création de la compétition, en 1936. Le trophée lui tend les bras après un résultat favorable face à leur adversaire direct. Seulement, le pouvoir soviétique veut voir le Spartak remporter la compétition, pour ne pas donner de crédit au club de Lavrenti Beria, l’embarrassant chef du NKVD, la police politique soviétique. Le match est rejoué, le Spartak l’emporte quatre buts à un. Deux mois plus tard, Beria est fusillé.
Après Khrouchtchev, enfin les premiers succès
Khrouchtchev reste donc à la tête de l’URSS de 1953 à 1964, et c’est durant cette période que le Dinamo Tbilissi connaît son premier creux de résultats. Seulement deux troisièmes places en dix ans, le club de la capitale géorgienne n’y arrive plus alors qu’il était un habitué des podiums la décennie précédente.
Dès 1963, les plus hauts représentants du Parti Communiste Géorgien veulent à tout prix voir leur équipe phare, triompher à travers l’URSS. En effet, en plus d’être le club de la capitale, le Dinamo Tbilissi est en train de devenir le club qui rassemble tous les géorgiens. Comme le rappelle David Jishkariani, « Le Dinamo Tbilissi est un club qui n’a pas été créé pour avoir une reconnaissance internationale, mais il fut créé pour connecter l’ensemble du football géorgien autour de lui ». Autrement dit, le Dinamo Tbilissi est un peu comme une première version de la sélection nationale géorgienne, toutes proportions gardées. C’est aussi l’émergence à cette époque, d’une forme de nationalisme géorgien. « La culture géorgienne est très importante en Union Soviétique, et même si la nation est pour sa part assez minoritaire, deux des plus grandes figures de la politique soviétique, Staline et Beria, sont d’origines géorgiennes », rappelle l’historien.
Autant de raisons donc pour s’affirmer au sein de l’Union. Et le football devient donc un outil de plus. Hasard ou non, le Dinamo Tbilissi est champion d’URSS pour la première fois de son histoire en 1964, un mois après le remplacement de Khrouchtchev par Brejnev à la tête de l’Union Soviétique. Une victoire symbolique dont les grands noms furent Georgi Sichinava, Slava Metreveli ou encore Mikheil Meskhi, surnommé le « Garrincha Géorgien ».
Une épopée européenne méconnue
Les plus grandes pages du Dinamo Tbilissi s’écrivent toutefois entre la fin des années 1970 et le début des années 1980. Bien installé dans la première division du championnat soviétique, les bleus et blancs oscillent entre la troisième et la neuvième place, mais surtout ne gagne aucun titre, depuis le championnat de 1964.
C’est alors qu’est nommé en 1976 Nodar Akhalkatsi comme entraîneur de l’équipe première. Le technicien impose rapidement sa patte et offre un premier trophée dès son arrivée avec une première coupe d’URSS glanée en 1976. Le Dinamo Tbilissi pratique un football porté vers l’attaque, avec des joueurs très techniques et rapides que l’entraîneur arrive à combiner avec la rigueur des lignes défensives. Ce premier trophée replace les hommes d’Akhalkatsi au cœur des débats pour le titre, qu’ils soulèvent lors de la saison 1978.
Le Dinamo commence alors à faire parler de lui à travers l’Europe, notamment après une rencontre face au grand Liverpool de Bob Paisley en C1, lors de la saison 1979-1980. Défait deux buts à un sur les bords de la Mersey, les Géorgiens offrent une leçon aux britanniques et s’imposent trois buts à zéro au match retour.
Une nouvelle victoire en coupe d’URSS en 1979 et voilà les joueurs d’Akhalkatsi qualifié pour la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupes 1980-1981. Tour à tour, les Géorgiens sortent West Ham, le Feyenoord Rotterdam avant de retrouver en finale un autre club communistes, les Est-Allemands du Carl Zeiss Iena. D’ailleurs, la finale à Düsseldorf, à l’Ouest, n’attire pas les foules… mais l’essentiel est là pour le Dinamo : une victoire 2-1 arrachée à la dernière minute, qui place le Dinamo et la Géorgie sur la carte du football.
David Jishkariani analyse cette victoire comme un véritable tournant dans la consolidation d’une identité géorgienne : « Lorsque l’on parle de cette équipe des années 1980, il faut avoir en tête qu’à cette époque, le premier supporter du football géorgien est le Secrétaire Général du Parti Communiste Géorgien ». En effet, cette victoire en Coupe d’Europe marque un tournant puisque « c’est la première fois qu’une équipe géorgienne gagne en dehors des frontières soviétiques ». Ce sont les Géorgiens qui gagnent, pas les soviétiques en encore moins les Russes. Et c’est dans ce sens qu’à la question « Est-ce que le football a participé à la création d’une identité géorgienne avant l’indépendance ? », l’historien répond sans hésiter : « Le football a été l’un des symboles qui alimenta l’identité géorgienne » car « les gens s’unissent pour le football ».
Hugo Laulan