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Jérémy Clément : « Mon rêve serait d’entraîner l’une des équipes pour lesquelles j’ai joué »

Retiré des pelouses professionnelles depuis 2019, Jérémy Clément n’a pas complètement disparu du monde du football. Désormais entraîneur de Bourgoin-Jallieu (N3), l’ancien milieu de terrain passé par Lyon, le PSG ou encore Saint-Étienne vient de publier son autobiographie, intitulée “Pour le plaisir” (éditions Amphora). Un ouvrage dans lequel il revient sur sa carrière sans tabou et avec un recul peu commun, aux côtés de nombreux invités.


Pourquoi ce choix de couverture, une carte ornée d’un smiley, et ce titre explicite, “Pour le plaisir” ?

Pour chaque biographie, il y a classiquement la tête de l’auteur sur la couverture. Je souhaitais changer un peu et proposer quelque chose plus tape à l’œil. J’ai choisi ce titre, “Pour le plaisir”, parce que c’est une notion qui m’a accompagné tout au long de ma carrière. Je souhaitais écrire un livre différent, et cela passait déjà par la couverture.

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Plusieurs de vos anciens coéquipiers, dont Claude Makélélé, vous décrivent comme un joueur talentueux, mais presque trop gentil. N’étiez-vous pas trop dans cette notion de plaisir ?

Le plaisir n’exclut pas la rigueur et la performance. Je ne peux pas progresser, voire simplement vivre, sans plaisir. Je le vois au quotidien, même dans mon métier d’entraîneur. Pour moi, cela ne veut pas dire faire des choses superflues, mais simplement trouver le moyen de rendre quelque chose le plus agréable possible. J’ai souvenir de moments en Écosse où l’on rigolait énormément dans le vestiaire, juste avant de se transformer complètement en entrant sur le terrain. Je pense que performance et plaisir sont pleinement compatibles.

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Autre signe distinctif : votre autobiographie démarre par deux préfaces, dont une du chanteur Didier Barbelivien. Pourquoi ?

Au moment de la rédaction du livre, on m’a dit qu’il fallait une préface. Mais pourquoi pas deux ? J’ai toujours aimé être un peu rebelle, dans le bon sens du terme. Donc j’ai choisi de placer deux préfaces : une liée au football avec Paul Le Guen et l’autre non grâce à Didier Barbelivien. Je suis fan de lui et j’ai eu la chance de le rencontrer quand je jouais à Paris. Sylvain Armand m’avait fait la surprise pour mon anniversaire. On avait sympathisé à l’époque et sommes depuis restés proches. Je trouvais cela bien de faire ce mélange des genres. Je n’ai pas la notoriété des autres footeux écrivant sur leur carrière, donc c’était le moyen de se démarquer, de casser un peu les codes.

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Vos proches jouent aussi un rôle important au sein de votre ouvrage. Quelle place ont-ils occupée lors de votre carrière ? 

Bien sûr, ma famille et mes amis ont une place importante dans ma vie. Leur donner la parole sert à faire comprendre aux lecteurs et lectrices l’importance d’un entourage. Je pense à ma sœur, mon oncle ou ma femme, qui ont la parole et racontent comme ils ont vécu ma carrière. Ma sœur explique notamment comment elle s’est construite dans mon ombre, mon oncle comment il m’a accueilli chez lui quand j’étais jeune. Et puis ma femme raconte les sacrifices : déménagements, départs, éloignement de sa famille… C’est super enrichissant parce qu’on est trop égoïste là-dessus en général.

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Au fil des pages, on retrouve également les témoignages de personnalités comme Claude de Koh Lanta et d’autres sportifs tels que Thierry Omeyer, Richard Gasquet et Thomas Voeckler. Était-ce important pour vous de dépasser le cadre du football ?

Cela entre toujours dans cette quête de mélange des genres. Toutes et tous les invités représentent la réussite, la détermination, le dépassement de soi. Ce sont des personnes qui me sont toutes liées et me représentent plus ou moins. J’adore Koh Lanta et Claude (Dartois, figure de l’émission), je suis également un fan de tennis et proche de Richard Gasquet. Je voulais faire parler Edgar Grospiron, ancien champion olympique en ski acrobatique devenu conférencier, dont le livre (Quand on rêve le monde) m’a inspiré. Je voulais à tout prix donner la parole à d’autres, et ne pas tirer des vérités seul. L’idée était de permettre aux lecteur d’être séduits par le témoignage d’une des personnes invitées s’ils ne l’étaient pas par ce que je peux confier. Je ne veux pas être un donneur de leçon, mais souhaite simplement partager, débattre.

“Au moment de ma grosse blessure, Paul Le Guen a été le premier à m’appeler alors qu’il était le sélectionneur d’Oman. Il m’a proposé dès le lendemain de venir avec ma famille pour faire ma rééducation sur place.”

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Vous gardez une excellente image de vos premières années à l’OL, et notamment du travail réalisé par le président Jean-Michel Aulas. Est-ce le moment de votre carrière où vous vous êtes senti dans le collectif le plus fort ?

Le groupe était très fort, donc c’était facile de jouer avec cette équipe. Il y avait tellement de grands joueurs, qu’on avait l’impression que n’importe qui aurait pu s’en sortir à leurs côtés. En revanche, c’était bien plus difficile pour se créer une place dans le onze. Sur le plan personnel, j’étais encore jeune. L’expérience ne s’achète pas, mais s’acquiert au contraire avec le temps. Un joueur est généralement à son top entre 27 et 31 ans, donc je me suis senti mieux plus tard dans ma carrière.

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Votre unique expérience à l’étranger, avec les Rangers, n’a duré que six mois. Qu’en retenez-vous ?

Uniquement du positif. J’ai découvert un championnat, un pays, une culture. C’est top, aussi bien pour le football que pour le reste. Égoïstement, je te dirais aujourd’hui que j’aurais bien aimé découvrir autre chose ensuite.

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Pourquoi ne pas avoir joué davantage à l’étranger alors ?

Je n’ai pas spécialement eu d’autres opportunités ensuite, mais c’est en partie un choix lié à ma famille. Ma femme a tant sacrifié pour moi que j’ai voulu lui rendre un peu la pareille en rentrant en France après l’Écosse. Je suis très fier des clubs français dans lesquels j’ai évolué mais très égoïstement, j’aurais aimé évoluer dans un pays étranger supplémentaire au cours de ma carrière. Pas spécialement pour le football, mais pour découvrir une autre culture, des coutumes. C’est très enrichissant et inspirant de pouvoir vivre différemment. Cela permet de se remettre en question par rapport à ce qu’on a vécu en France. 

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Quel souvenir conservez-vous de la transition au PSG suite à l’arrivée des Qataris en 2011, au moment de votre départ ? N’auriez-vous pas voulu vivre les premières années de ce projet ambitieux ?

Je pense que mon niveau, voire mon image, ne correspondaient pas à ce qu’impliquait ce nouveau projet. On le voit bien aujourd’hui (rires). C’était le moment pour moi de partir. J’avais besoin d’un nouveau challenge, de me remettre en question. C’est paradoxal, mais j’aurais également apprécié découvrir ce côté magique lié aux Qataris. C’est un autre monde. Je suis retourné au Parc des Princes plusieurs fois depuis, et c’est vrai que tout a changé. Le club est passé dans une autre dimension. Je ne sais pas si cela me correspondait, mais cela aurait pu être une bonne expérience. Jouer avec Zlatan Ibrahimovic ou David Beckham aurait été incroyable.

“Quand le chirurgien te dit qu’il va être compliqué de reprendre le football, cela te forge le caractère. Depuis, je me fixe régulièrement des objectifs. Par exemple, j’ai remarqué que je courais moins ces derniers temps, donc je me suis inscrit au marathon de Paris.”

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Vous qui êtes réputé très discret et simple, vous sentiriez-vous à l’aise dans le vestiaire très cosmopolite et réputé “bling-bling” du PSG ? 

(Rires) Je pense qu’il faut être fidèle à soi-même. Ce sont des choses véhiculées par des gens hors du vestiaire. Au quotidien, le vestiaire vit peut-être différemment. En restant fidèle à ce qu’on est, je suis sûr qu’il y a de la place pour tout le monde. Il faut s’adapter. Par exemple, je me rappelle de Pierre-Emerick Aubameyang, très excentrique, mais qui est un super coéquipier. Dans un vestiaire, je pense qu’il faut ce mélange de personnalités extravagantes et bling-bling avec d’autres plus terre à terre et introverties. Cela permet à chacun de s’enrichir, de réfléchir. C’est une force selon moi d’avoir un vestiaire aux identités multiples. Christophe Galtier l’avait compris pendant mon passage à Saint-Étienne. Le groupe vivait très bien, entre certaines personnalités calmes et d’autres plus décalées.

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À Lyon, Glasgow puis Paris, vous avez été entraîné par Paul Le Guen. Comme il le dit dans sa préface, la relation qui vous lie a toujours été forte sans que vous n’ayez nécessairement besoin de l’exprimer par des mots. Est-il l’entraîneur dont vous vous sentiez le plus proche ?

Je me suis senti vraiment proche de deux entraîneurs au cours de ma carrière : Christophe Galtier et Paul Le Guen. Paul m’a lancé, et même si l’on ne se parlait pas beaucoup, on se comprenait. Ce lien dépasse un peu le cadre du football. Au moment de ma grosse blessure avec Saint-Étienne, il a été le premier à m’appeler pour me proposer son aide alors qu’il était le sélectionneur d’Oman. Il m’a proposé dès le lendemain de venir avec ma famille pour faire ma rééducation sur place. Paul est quelqu’un qui a compté pour moi, mais je ne lui avais jamais dit ouvertement. Il l’a compris grâce à cette préface. Il a été surpris de ma demande, mais il a apprécié.

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Vous déclariez en janvier dans une interview accordée au site Olympique-et-Lyonnais que vos formateurs vous ont “appris à détester les Verts”. Ne faut-il pas être un peu fou pour signer à Saint-Etienne après avoir été formé à Lyon ?

J’adore cette rivalité entre les deux clubs. Cela fait partie du folklore tant que cela reste dans le respect. J’ai baigné là-dedans et j’ai adoré. À Lyon, je me rappelle qu’on n’avait pas le droit de s’habiller en vert (rires). Je déteste quand c’est plat, donc cela me plaisait vraiment. Les derbys sont les matchs les plus excitants, ceux pour lesquels on joue. J’ai pu faire la transition plus tranquillement entre les deux clubs en ne passant pas directement de l’un à l’autre. Saint-Étienne est un club qui a une sacrée histoire, une ferveur spécifique, des supporters passionnés. Ajouté à l’intérêt réel que me montrait Christophe Galtier, cela m’a convaincu d’y signer. J’ai rapidement fait mon choix malgré mon passé à l’OL.

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Vous décrivez le début de votre expérience à Saint-Étienne, entre 2011 et 2013, au moment de votre terrible blessure, comme votre période la plus faste. Comment vous êtes-vous remis de ce coup d’arrêt imprévisible ?

Cela repose énormément sur le mental. Je crois que tous les sportifs ont des capacités au-dessus de la moyenne dans ce domaine. Quand le chirurgien te dit au lendemain de l’opération qu’il va être compliqué de reprendre le football, cela te forge le caractère. Je me suis alors dit que j’allais tout faire pour être là dès la reprise de la saison suivante. Se fixer un objectif est ultra-important. J’ai fait les efforts pour atteindre cet objectif et retrouver mon niveau au plus vite. Cela m’a énormément servi, m’a permis de réfléchir sur ma façon de concevoir le football et la vie, de relativiser. Depuis, je me fixe régulièrement des objectifs. Par exemple, j’ai remarqué que je courais moins ces derniers temps, donc je me suis inscrit au marathon de Paris pour avoir un objectif précis en tête. Cela m’a poussé à enfiler mes chaussures pour m’y préparer.

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Quel regard portez-vous sur la situation de l’ASSE, aujourd’hui mal en point en Ligue 1 ?

C’est dur, clairement. Les dynamiques changent énormément d’une année à une autre. Un rien peut enrayer la machine. C’était déjà compliqué la saison dernière pour eux, mais je les vois mal aller en Ligue 2. Je n’arrive pas à me l’imaginer. La dynamique récente est plutôt bonne, et les supporters vont les pousser. Pour avoir pu discuter un peu avec Pascal Dupraz, il me semble avoir trouvé le moyen de débloquer son groupe. J’estime, enfin j’espère, que cela va bien se passer.

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Et sur celle encore plus chaotique de votre dernier club professionnel, Nancy, bon dernier de Ligue 2 ?

C’est pareil, je suis touché. Je dis toujours que nous, les anciens joueurs, devons rester des ambassadeurs des clubs par lesquels nous sommes passés. Je regarde toujours les résultats de l’ensemble de mes anciens clubs, même les Rangers (rires). Nancy est en difficulté depuis plusieurs années, et l’était déjà quand j’y étais (entre 2017 et 2019). Le football est très cyclique, pas mal basé sur la réussite, mais peut-être que l’effectif manque de talent et de certaines compétences spécifiques, dont l’expérience.

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Dans un entretien récemment accordé à L’Équipe, pour donner les raisons de son départ de Canal +, Éric Carrière a évoqué un dépit réel face aux mauvaises attitudes et à l’individualisme dans le football. Ressentez-vous la même chose de votre point de vue de spectateur ?

Je peux comprendre. J’ai connu Éric très rapidement à Lyon. Il est issu de l’école nantaise, où le collectif passe avant l’individuel, où le “jeu” passe avant le “je”. Il s’est révélé avec cette philosophie. Je pense un peu comme lui, même si je souhaite rester optimiste, mais je trouve qu’on est de plus en plus égoïste. C’est vraiment dommage.

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Vous avez au contraire tissé de nombreux liens d’amitié avec des employés de clubs et certains coéquipiers durant votre carrière, notamment Renaud Cohade et Sylvain Armand. Cet aspect humain était-il l’un des éléments que vous cherchiez à développer en parallèle de votre parcours sportif ?

Bien sûr, c’était même essentiel. Je retiens les grands matchs, les ambiances et le jeu, mais aussi ce côté humain. Je suis plutôt d’accord avec Éric sur certains points, mais je pense aussi que les relations créées avec les autres sont très fortes et encore nombreuses. Pour la soirée de lancement de mon livre, qui a eu lieu le 17 mars, plusieurs anciens coéquipiers ont fait le déplacement en train. C’est quand même fort en sens. J’ai fait de superbes et nombreuses rencontres, et conserve de belles relations. Je suis certain que beaucoup seraient encore là pour moi aujourd’hui si j’en éprouvais le besoin. L’humain est très important dans le football selon moi, c’est ce que je retiens en premier. En Écosse, étant parti avec ma femme à seulement 20 ans, j’ai été obligé de m’appuyer sur les gens à mon arrivée. Je pense notamment à Dado Prso, Julien Rodriguez ou Lionel Letizi. Ils nous ont pris sous leur aile et nous sommes devenus proches ensuite. C’est le côté magique du football.

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Vous évoquez également sans tabou l’argent, sujet qui n’est pourtant que très peu abordé par les joueurs. Est-ce au contraire un élément de discussion au sein des vestiaires ?

À l’époque, on en parlait assez peu entre nous dans le vestiaire, sauf à Saint-Étienne, où on avait un groupe assez proche et où l’on parlait un peu immobilier ou placements. Aujourd’hui, je ne sais pas si cela reste un sujet tabou entre joueurs. Je m’ouvre plus facilement à ce sujet à présent, en étant mature, que j’aurais pu l’être à 25 ans. J’assume pleinement, aussi bien les bons que les mauvais choix que j’ai pu faire. Depuis tout petit, on a pourtant cette gêne de montrer ce que l’on fait, ce que l’on gagne. Dès les centres de formation, certains jeunes reçoivent de l’argent. Rendre public ou simplement évoquer avec d’autres joueurs ce que l’on touche, ou dire que l’on a fait certaines choses, peut faire passer quelqu’un pour un arrogant, un prétentieux. 

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En plus de la sortie de votre biographie, vous avez récemment lancé votre marque d’huile d’olive, nommée “Roméo et Juliette”. D’où est venue cette idée ?

On m’a proposé ce projet, que je dirige aujourd’hui avec mon associé Remo Simonetti. Je trouve que le sujet reste lié au sport. Il y a énormément de parallèles à faire entre le monde de l’entreprise et celui du sport. Beaucoup de joueurs se sont lancés dans le vin, mais je souhaitais rester lié à un produit bon pour la santé, et notamment celle des sportifs. Ma femme est originaire de la région des Pouilles, en Italie, et puis cela me rappelle aussi les soirées de mise au vert où nous mangions des pâtes simplement accompagnées de fromage et d’huile d’olive. Créer la marque a pris du temps, mais les premières bouteilles ne vont pas tarder à arriver dans certains magasins de la grande distribution. Je pense déjà à la suite, avec la production de pâtes notamment, et l’envie de créer une forme de continuité.

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Vous avez également passé le Brevet d’entraîneur professionnel (BEF) et êtes le co-entraîneur de l’équipe de Bourgoin-Jallieu (N3) depuis 2020. C’était important pour vous de garder un pied dans le monde du football tout en retournant sur vos terres ?

Je suis vraiment bien ici, chez moi, avec ma femme, mes enfants et tous mes proches. On ne rattrape jamais le temps perdu, mais je retrouve des moments qui m’ont manqué pendant ma carrière professionnelle. Je peux revoir mes amis, ma famille. Je conserve dans le même temps un pied dans le monde semi-professionnel, avec une certaine exigence tout de même, mais je suis très heureux d’être rentré dans ma région. C’est un choix qui s’est révélé payant. Le club de Bourgoin m’a lancé dans ce métier, et je les en remercie parce que je n’avais aucune expérience en tant qu’entraîneur avant de les rejoindre. Tous les voyants sont au vert pour le moment.

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Souhaitez-vous mener une carrière d’entraîneur dans le football amateur ou au contraire gravir les échelons et pourquoi pas diriger en Ligue 1 ?

Pour l’instant, ce n’est pas dans mes plans, mais ce le sera sans doute un jour. Mais qui dit monde professionnel dit instabilité. Je n’ai pas envie de repartir dans les contraintes qui ont pesé sur ma famille et moi-même pendant plusieurs années. Je le dis dans mon livre : mon rêve serait d’entraîner un jour l’une des équipes pour lesquelles j’ai joué au cours de ma carrière. J’ai eu la chance de passer par des grands clubs, donc c’est un objectif encore lointain mais pas impossible. Il faut rêver, avoir de l’ambition.

Propos recueillis par Arthur Verdelet

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