En 2009, Khaled découvre les ultras ahlawy. Ces supporters clamant leur ferveur pour leur club cairote d’Al Ahly, le séduisent tout de suite. Au point qu’il rejoint les rangs. Avec la mentalité ultra, il découvre aussi très vite la répression policière dont le groupe est victime. Entretien avec l’étudiant ex-ultra, d’aujourd’hui 25 ans.
Comment et quand es-tu arrivé dans le groupe ultra ahlawy ?
C’était en février 2009, j’avais 13 ans, j’étais jeune. J’étais avec mon cousin, lui il avait déjà été au stade. C’était Al Ahly contre Al Masri.
C’était donc la première fois que j’allais au stade moi. Je pensais que j’allais m’asseoir, regarder le match, boire et manger quelque chose. Regarder les joueurs.
Et finalement, voir les joueurs devant moi, c’était plus intéressant que de manger.
C’était la première fois que je rencontrais le groupe aussi. Il y avait un groupe de supporters qui s’appelait ultra. Et j’ai eu la chance de choisir un siège à côté d’eux, au talta shemal (troisième virage gauche, le coin des ultras ahlawy dans le stade international du Caire, ndlr). C’est le moins cher, les places sont à un euro.
Dix minutes avant le début du match, un groupe est rentré, avec des personnes avec les mêmes t-shirts : le t-shirt des ultras, et des tambours. Ils ont chanté pendant tout le match. C’était une expérience pour moi. Parce que j’ai trouvé que la passion, tout ça … Ce sont des groupes de 300 à 500 personnes avec la même mentalité, la même passion pour le club. Et j’ai adoré ça.
Un garçon de mon lycée était dans le groupe. On est devenus amis. Il a commencé à m’expliquer les choses, me présenter aux autres membres, aux leaders.
J’ai commencé à faire des recherches sur google pour apprendre ce que c’était la mentalité des ultras. J’ai participé aux réunions puis à tous les matchs des équipes du club : foot, handball, basket…
J’ai donné de l’argent pour acheter les choses pour faire un tifo, j’ai participé à la préparation des tifos.
Qu’est ce qui te plaisait dans cette mentalité ?
La passion. Quand il y avait un match, j’allais au stade et je pouvais respirer en liberté. C’était presque le seul endroit où je pouvais parler à voix haute, chanter à voix haute, danser.
Si je descends dans la rue et que je parle, je chante, je danse, les gens vont penser que je suis fou. Ce n’était pas le cas au stade. Nous, on venait ici pour faire ça, tous ensemble.
Les gens voulaient la même chose que moi.
Mais j’étais un enfant, je ne savais pas qu’il y avait des problèmes entre nous et la police, je ne savais pas que l’Egypte c’est un pays policier, où il n’y a pas de liberté. Donc c’était juste la passion et la liberté de chanter, et me retrouver avec d’autres personnes qui ont la même passion que moi.
Quand le match commence, que le capo (leader, ndlr) monte sur la barrière pour que tout le monde le voit, il commence à chanter, tous les gens chantent avec lui. Je ne peux pas expliquer ces sensations. Quand il y a 3000 personnes qui chantent …
Plus tard, quand tu rentres dans le mouvement tu es animé par la passion, mais tu te rends compte de la volonté de la police de réprimer le mouvement. Quand et comment tu le découvres ? Comment expliquer que la police a voulu vous faire taire ?
C’était au quatrième ou cinquième match auquel j’ai assisté, le derby contre Zamalek, le top top. Il y avait beaucoup de policiers. Au Caire, les deux équipes jouent dans le même stade, le stade international. Les groupes ultras se partagent l’espace.
Les supporters des deux équipes entrent par la même porte, mais on est dans les virages opposés. Nous on part à gauche et eux à droite. Pendant les derbys, on ne veut pas que les supporters des deux équipes se croisent, pour ne pas qu’il y ait de tension.
Pour entrer au stade ce jour-là : ça a pris une heure pour faire 100m. Il y avait beaucoup de policiers et de fouilles. Les gens avaient peur de la police. Il n’y avait même pas de chambrage entre les supporters.
A ce match-là, ils n’ont pas accepté qu’on entre avec les tambours. C’était le premier match dont je me souviens où il y avait des problèmes. À partir de 2009, la police n’a plus accepté les chants, les fumigènes, les tambours.
.Pourquoi la police a voulu vous réprimer ? Ils avaient peur de vous ?
Il y a plusieurs choses. Une raison politique notamment.
Si on parle de la révolution égyptienne, elle n’a pas commencé en 2011, mais en 2004-2005 avec le mouvement 6 avril. C’était un groupe de jeunes, comme les ultras, mais ils étaient politiques.
Ils pensaient que le régime était mauvais, que Moubarak devait partir. Ça a continué jusqu’en 2011. Le 6 avril aussi a manifesté, mais ce n’a pas été repris par les médias parce qu’ils sont contrôlés par l’Etat.
Ce mouvement n’était pas légal. Et pour la police, c’était la même chose pour les ultras : un groupe qui s’est créé de manière illégale.
Ils ne peuvent pas nous contrôler, ils ne connaissent pas les membres, juste les leaders. Et à cause de la violence, s’ils nous laissaient rentrer avec les fumigènes, ils avaient peur qu’on les utilise contre eux, comme une arme.
As-tu des exemples de répressions policières ?
Pendant les matchs il y avait des policiers en civil. Ils étaient entre nous, entre les supporters. Parfois, moi j’étais debout et il y avait quelqu’un à côté de moi, à un moment donné je ne le retrouvais plus. C’est terminé pour lui (rire nerveux). Les policiers en civil viennent, et ils prennent n’importe qui comme ça. Sans raison. C’était comme ça.
Mais ça arrivait souvent que parfois, quand il y avait des matchs comme le derby, la police allait interpeller les leaders à domicile quatre jours avant les matchs. Elle les plaçait en garde à vue pour trois jours, C’est à cause de ça qu’il y a eu la révolution, c’est parce que la police avait le pouvoir de faire n’importe quoi.
Un jour il y avait eu une réunion avant un match. C’était exceptionnel. D’habitude avant les matchs il n’y avait pas de meeting. On se rassemblait à un point et on entrait au stade ensemble. Souvent on allait manger ensemble et on allait au stade ensemble mais ce n’était pas organisé.
Ce soir-là, la réunion était très loin du stade, place Ramsès. Les leaders des ultras ont dit de façon directe : “ce match-là, il y aura des problèmes entre nous et la police. La police veut prendre n’importe qui donc si vous avez peur, ou bien si quelqu’un a des examens cette semaine là : ne venez pas au match”
La plupart d’entre nous étaient des étudiants. Moi j’étais au lycée mais la plupart était à l’université. Quand la police prend quelqu’un, il te laisse 3-4 jours en garde à vue, peut être une semaine, donc peut être que tu vas louper un examen important.
C’était la première fois que je voyais ça.
Moi je suis allé au stade, je portais le maillot des ultras, mais je l’ai retiré et porté à l’envers, comme ça le logo était caché. D’autres gens ont fait la même chose. Ce match là, c’était un match de merde.
Il n’y a pas eu de clash entre nous et la police mais ils étaient tellement forts, tellement strictes. C’était la première fois que le moral était aussi bas. Ce jour-là, durant la première mi-temps, c’est la première fois qu’on n’a pas supporté Al Ahly. On n’a rien chanté. On était tellement tristes du comportement de la police. C’était la première fois que je m’asseyais durant un match. On n’a rien fait.
Propos recueillis par Ana Gressier et Julien Rieffel