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Vie(s) et mort(s) de l’équipe de France A’

Pendant des décennies, une équipe de France bis a vécu dans l’ombre des Bleus. Appelée sélection B, puis A’, elle a longtemps servi de réserve à un groupe international élargi, au gré des envies des sélectionneurs. Ballotée au fil des disparitions et des renaissances, elle est à elle toute seule un formidable récit de l’histoire du ballon rond français.


La même musique, à trois jours d’intervalle. Jeudi 18 mars, Didier Deschamps a annoncé sa dernière liste pour les matchs contre l’Ukraine, le Kazakhstan, et la Bosnie-Herzégovine. Trois jours plus tôt, c’était Sylvain Ripoll qui avait désigné ses 23 pour la phase de poules de l’Euro Espoirs, qui a débuté dans la semaine. Au total, le meilleur de ce que la France a à offrir sur le terrain, entre jeunes prometteurs, nouvelles stars et champions établis.

Il fut un temps où une troisième sélection évoluait aux côtés des A et des Espoirs : l’équipe de France A’ (aussi appelée B, selon les époques). Pendant plusieurs décennies, cette « antichambre de l’équipe de France » a vu défiler des centaines de joueurs, a disputé des rencontres amicales et de gala dans le monde entier, a parfois été scrutée comme miroir qui reflétait l’état du football français.

Une sélection qui reflète son époque

L’équipe de France B est créée en 1922 par une toute jeune FFF qui prend encore ses marques. Aucune justification n’est vraiment donnée au lancement de cette sélection alternative, dans l’ombre des A. Mais la décision s’inscrit profondément dans son époque. Pour François da Rocha Carneiro, docteur en Histoire contemporaine à l’université d’Artois et spécialiste de l’équipe de France, à cette époque, « la FFF doit relever les défis que n’avaient pas réussi à assumer les autres fédérations qui l’ont précédées ». Deux sortent particulièrement du lot : le maillage territorial et l’amateurisme marron.

Jusqu’aux années 1920, l’équipe de France était principalement composée de joueurs nordistes et parisiens, issus de territoires facilement accessibles pour aller valider les talents et devenus bassins privilégiés de recrutement. « Il fallait que davantage de régions soient représentées », explique François da Rocha Carneiro. « Après une terrible défaite 0-5 des A contre les Pays-Bas, l’idée générale était de rechercher de nouveaux talents, notamment en province », abonde Pierre Cazal, journaliste sportif, auteur et spécialiste des Bleus. « La FFF entendait préparer les Jeux Olympiques de 1924 de Paris, et qu’elle prenait toute une série d’initiatives aboutissant à multiplier les matches servant de revue d’effectifs, consciente que l’équipe de France ne pouvait plus se limiter à être parisienne », poursuit-il.

En parallèle, la Fédé doit aussi gérer les rémunérations qu’elle verse à ses internationaux pour compenser les journées de travail perdues, notamment à l’heure des premiers déplacements internationaux. C’est l’amateurisme marron. L’équipe de France A’ est basée sur une dynamique hybride, où les joueurs ne sont pas toujours rémunérés, comme lors de la tournée de 1928. « C’est une sélection pour des tournées amateures, pour montrer les talents de quelques postulants », résume François da Rocha Carneiro. Un premier match officiel face à Luxembourg (défaite 2-1), et les Bleus A’ sont en marche, prêts à incarner le second visage du football national français.

Un savant mélange

L’essence de la sélection A’ est un formidable mix d’anciens, de possibles, et de jamais. S’y côtoient des jeunes espoirs qui finiront par rejoindre les Bleus, des sélectionnés plus forcément trop au niveau et des joueurs qui ne connaitront aucune cape. « Elle sert beaucoup de réserve, un peu de tremplin », note François da Rocha Carneiro. De réserve, pour permettre au sélectionneur en place de garder un œil sur un groupe élargi et de tester la forme de certains. De tremplin, pour rôder certains jeunes avant de les lancer dans le grand bain.

Entre 1922 et 1968, l’équipe de France B joue au moins un match par saison (hors années de guerre). Ses adversaires sont principalement d’autres sélections bis, ou quelques sélections A. Il lui arrive aussi d’affronter des équipes régionales. Après cette date, son utilisation devient plus sporadique. Elle est relancée sur de courtes périodes au gré de l’envie des sélectionneurs. C’est le cas de Michel Platini, en 1988, qui la renomme équipe de France A’. Raymond Domenech fera de même presque vingt ans plus tard, en 2007. Ces deux cas répondent à des dynamiques similaires, explique Pierre Cazal : « 1988 et 2007 sont des périodes de creux juste après des sommets. Les stars ayant raccroché, il faut trouver la relève, et donc procéder à une revue d’effectif ». Adieu Giresse et Tigana dans le premier cas, Zidane dans le second. Domenech emmènera d’ailleurs ses A’, parmi lesquels comptent Cissé, Trézéguet ou Squillaci, jusqu’à la dernière ligne droite avant l’Euro 2008. Le 25 mars de cette année-là, l’équipe de France A’ s’impose 3-2 contre le Mali. C’est son dernier match, elle n’a plus été relancée depuis.

Un héritage dilué

Plusieurs raisons peuvent expliquer cet abandon. La place grandissante des Espoirs, peut-être, qui ont progressivement pris ce rôle de tremplin pour des jeunes qu’on repère de plus en plus tôt.  Des calendriers internationaux de plus en plus chargés, aussi, qui laissent de moins en moins de marge de manœuvre à des sélections alternatives. Mais surtout, un état du football mondial profondément bouleversé par rapport au contexte dans lequel cette équipe est née. « Je pense que, si les B ont disparu, c’est qu’ils étaient inutiles, d’une part, et non rentables, d’autre part », analyse Pierre Cazal. 

« Inutiles, depuis la multiplication des remplacements autorisés en A : à partir de 3 par match, vous pouvez tester des joueurs sans passer par la B ». Un effet renforcé par la crise sanitaire et la multiplication des changements depuis un an, qui permet des groupes et des revues d’effectif à rallonge. Les 26 appelés par Deschamps la semaine dernière l’illustrent. « Non rentables, parce qu’aujourd’hui, sans les télévisions et la manne financière apportée, organiser un match ne présente aucun intérêt. Les télés ne s’intéressent qu’aux A, pas aux doublures, qui ne font rêver personne », poursuit-il. « On a une évolution du football qui est beaucoup plus professionnel aujourd’hui, alors que les équipes A’/B relèvent plus de la représentation et du prestige », abonde François da Rocha Carneiro. Ce serait donc le système qui a condamné les Bleus A’ à l’extinction.

Mais le docteur en histoire, lui, ne voit pas tant une disparition qu’une dilution dans le football d’aujourd’hui. « Elle continuer d’exister sous une autre forme », assure-t-il. A ses yeux, l’héritage de l’équipe de France A’ se voit dans la qualité des espoirs aujourd’hui. Il s’est aussi fondu chez les A : « il y a plein de joueurs qui sont sélectionnés pour un match et qu’on ne revoit plus après. L’équipe de France A’ s’est ainsi aussi noyée dans les A. On le voit avec les cas d’Ikoné ou d’Upamecano. » En outre, en ce moment, les liens sont également très forts entre les sélectionneurs, Didier Deschamps et Sylvain Ripoll. Une très grande fluidité s’est établie entre les deux groupes, ce qui peut expliquer un manque d’intérêt pour une troisième équipe.

Et il existe encore une dernière trace d’une équipe de France A’, sous la forme des U23 féminines. Elles servent de passerelle assumée entre les sélections jeunes et les Bleues, sous l’égide de Grégoire Sorin, et jouent de nombreux tournois de gala internationaux, comme l’Istria Cup ou l’Alanya Cup, qu’elles remportent en 2018 et 2019. Sous diverses formes, l’esprit des A’ persiste toujours du côté de Clairefontaine. Peut-être un futur sélectionneur choisira-t-il un jour de raviver la flamme.

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