Deux institutions légendaires et de nombreux points communs - Getty Images
RétroTactique

Barcelone et Pays-Bas, la romance fusionnelle (1/3)

Arrivé en pleine période de crise sportive, financière et institutionnelle, le Néerlandais Ronald Koeman espère remettre le FC Barcelone sur le chemin du prestige et de la victoire . Cela en retrouvant un jeu de position moderne et attaché aux principes catalans. Ancien de la maison barcelonaise sous Johan Cruyff ainsi que de la sélection hollandaise victorieuse de l’Euro 1988, l’ex-défenseur central connaît donc mieux que quiconque les liens entre les Pays-Bas et le club catalan. Révolution, rivalité ou héritage, retour sur ces rapports footballistiques, mais pas que.


Le particularisme local du Barça est l’un des plus importants du monde. Son slogan catalan Mès que un club en est l’exemple le plus marquant. Son histoire est pourtant internationale avec un fondateur suisse, des joueurs symboliques argentins, brésiliens, hongrois ou encore camerounais. Enfin, bien sûr, cinq entraîneurs hollandais, ayant chacun leurs propres spécificités. De Rinus Michels à Ronald Koeman en passant par Johan Cruyff, Louis van Gaal et Frank Rijkaard, tous ont marqué le club. Bien que Joan Gamper ait fondé le Futbol Club Barcelona en 1899, l’institution a dû attendre quelques années pour devenir le symbole que l’on connaît aujourd’hui.

RINUS MICHELS, LE CRÉATEUR

Arrivé à Barcelone en 1971 après avoir mené l’Ajax Amsterdam vers son premier âge d’or, Rinus Michels débarque en Catalogne dans un club alors second d’Espagne. Au-delà de ses résultats moyens sur les plans nationaux et européens, le Barça n’a pas encore développé de style de jeu vraiment reconnaissable. Rinus Michels a, certes, marqué le passé ajacide par l’obtention d’une première coupe aux grandes oreilles mais l’a surtout fait par le jeu. Celui que l’on nomme aujourd’hui “jeu de position”. Celui qui ose attaquer tout en contrôlant l’espace et le temps. Celui qui colore un football alors en noir et blanc.

En s’appuyant sur de tels principes de jeu, Michels tente de donner vie à son Ajax un second temps, cette fois-ci en Catalogne. Au sein de l’Espagne franquiste, le Barça se veut rebelle et la prise de fonction du Néerlandais s’inscrit dans cette quête de différence. Pourtant, les résultats peinent à suivre. Au contraire des Amstellodamois, les joueurs barcelonais ne sont pas satisfaits de la charge de travail demandée par l’entraîneur et préfèrent retrouver leur liberté plutôt qu’une hausse des résultats. Ainsi, les deux premiers exercices du coach néerlandais se soldent sur une maigre troisième place en 1971/72 et une seconde la saison d’après.

Michels ne savait peut-être pas encore que son héritage perdurera plus de cinquante ans après son passage à Barcelone – Getty Images

Lors de cette deuxième année, les Blaugranas ne remportent pas le titre qui leur échappe depuis 1960 mais laissent le Real Madrid deux places derrière. Première victoire officieuse face au rival de la capitale, prémisses de succès nettement plus concrets à venir. Le deuxième, bien plus évident, est l’arrivée, après une bataille avec le Real Madrid, en 1973 de Johan Cruyff. Une victoire mélangée à un goût de revanche de l’été 1947 où Alfredo Di Stéfano avait rejoint les Merengues après un imbroglio marqué par l’intervention de la délégation nationale des sports de la Phalange. Le génie hollandais arrive à Barcelone fort de trois coupes d’Europe des clubs champions et deux Ballons d’Or. Les arguments de Rinus Michels et de la femme -néérlandaise- du vice-président du club, Armando Carabén, ont fait pencher la balance. 

Dans la formation tactiquement révolutionnaire de Michels, Cruyff apporte la touche technique et rebelle qu’il manquait. La troisième victoire face au Real Madrid gagne encore en crédibilité et en beauté puisqu’elle se déroule sur le rectangle vert sous l’impulsion du mentor et de son disciple. Le 17 février 1974, les deux Néerlandais et le reste de l’équipe se rendent à Santiago Bernabéu pour marquer l’histoire. L’arrivée de Johan Cruyff a coïncidé avec une série de vingt-six matchs sans défaite dont celui face à l’éternel rival. Pour continuer de tracer un chemin parfait vers un neuvième titre tant attendu, la marche est de taille en castille. Mais elle ne fait pas peur aux Barcelonais qui infligent une véritable gifle, cinq buts à rien ! Le Clàsico a vu son histoire écrite en lettre d’or grâce à ces manitas, le premier de Cruyff se solde symboliquement d’un 5-0 cinglant.

LE RETOUR DE L’ENFANT PRODIGE 

Après ce large succès, le Barça continue sa quête de titres et finit par remettre, quatorze ans après, la main sur le trophée national. À la suite de ce championnat, Neeskens -l’autre Johan du Grand Ajax- rejoint les deux autres Hollandais mais ne connaîtra pas les mêmes succès. Le club ne remporte qu’une unique Coupe du Roi en 1978. La victoire précède justement de quelques jours les départs de Rinus Michels et de Johan Cruyff. Johan Neeskens, lui, reste une saison de plus mais sans remporter de nouveau trophée.

De l’équipe championne d’Espagne en 1974, le nom de Cruyff est le premier à ressortir. Et ce, bien avant celui de Michels. Il faut dire que le Hollandais volant est une véritable légende du club. Dix ans après son départ de Barcelone en 1978, le triple vainqueur du Ballon d’Or y remet les pieds, sans revêtir la tunique bleue et grenat mais bien le costume d’entraîneur. Introduit par le président Nuñez de l’époque, Cruyff se retrouve au cœur d’une institution en crise. Une crise sportive, puisque le club n’a touché qu’une Liga (1985) depuis la fameuse année 1974, mêlée à une crise institutionnelle, Nuñez étant vivement critiqué par le vestiaire. Le mythique numéro 14 a donc une mission en revenant à Barcelone : ramener une paix sociale en Catalogne. Et pour lui, le bonheur footballistique ne peut rimer qu’avec romantisme et liberté. 

Grâce à son assurance, Cruyff a marqué l’histoire du Barça avec le maillot bleu et rouge et les costumes deux pièces – Getty Images

Installé dans son autre club de cœur du côté d’Amsterdam pendant trois ans avant d’écrire sa légende en Espagne, Cruyff va apporter avec lui ses idées, ses théories et sa philosophie, toutes encore loin de leur maturité pour un entraîneur de seulement 41 ans. Mais en réalité, le Néerlandais va raviver la flamme du passage de Rinus Michel, en reprenant puis affinant ses idées révolutionnaires en octroyant au football total de son mentor des conceptions plus contemporaines. “Michels était un peu comme le père qui a lancé une idée, et Cruyff est le fils qui l’a développée et popularisée à l’échelle mondiale avec ses succès” décrit Wim Rijsbergen qui a connu les deux hommes en équipe nationale. Au cœur du jeu cruyffiste, découlent plusieurs principes dont de nombreuses équipes et entraîneurs se revendiquent encore aujourd’hui. Dans un 3-4-3 au service des principes, ressortent vitesse, jeu en triangle, mouvement constant, pressing, possession à outrance et recherche de l’homme libre. Oui, dès le début des années 1990, les préceptes de l’actuel jeu de position sont installés. Aitor Begiristain, plus connu sous le surnom de Txiki, milieu de terrain de la Dream Team et actuel directeur sportif de Manchester City déclarera même quelques années ensuite qu’il pensait “que ce style était bien pour les Pays-Bas mais ne pouvait pas être appliqué en Espagne” tant l’approche était ambitieuse et risquée.  

Et malgré toute la part de risque que comportait l’approche du génie néerlandais, c’est cette philosophie qui a mené le club vers les sommets de l’Espagne et de l’Europe. Une Ligue des champions, la première en 1992, une C2 et quatre Liga… Cruyff a garni l’armoire à trophée catalane. “On n’innove pas si facilement dans un club comme Barcelone qui vit constamment sous les regards inquisiteurs de milliers de socios impatients et de journalistes s’accrochant à chaque résultat comme la sanction nette et objective d’une performance collective explique Thibaud Leplat dans son livre “Pep Guardiola Éloge du style”. 

Lorsqu’on évoque le nom de Johan Cruyff, on ne pense pourtant pas aux titres amassés par le natif d’Amsterdam. Quand on lance une discussion à son propos, on discute de terrain, de jeu, de citations, de philosophie, de romantisme, et surtout de plaisir. Son passage sur le banc en tant que coach marque un tournant majeur dans l’histoire du Barça puisqu’il va laisser un héritage immensément riche dont supporters, entraîneurs et dirigeants se revendiquent de près ou de loin du professeur Cruyff, comme quelque chose de sacré. Les Cahiers du Football le résument parfaitement dans “Les entraîneurs révolutionnaires du football” : “Cruyff a réussi son pari : transformer le visage et la culture de l’équipe tout en obtenant des résultats“. 

ENTRE RIVALITÉ ET HÉRITAGE

Si les Pays-Bas et le Barça sont aussi liés, c’est principalement grâce aux hommes qui ont fait l’histoire du pays et du club. Rinus Michels a eu Johan Cruyff sous ses ordres qui, lui-même, a entraîné Pep Guardiola ou Ronald Koeman. Ce dernier a, comme Frank Rijkaard, également connu Michels comme coach. De la même façon, Rijkaard a aussi évolué dans l’Ajax de Johan Cruyff et dans celui de Louis van Gaal. Les cinq Hollandais et le Catalan sont les techniciens ayant fait du FC Barcelone le club que l’on connaît aujourd’hui. “Johan Cruyff a peint la chapelle, et les entraîneurs de Barcelone qui ont suivi ont simplement poursuivi ou amélioré son œuvre” image d’ailleurs Pep Guardiola. 

Pour comprendre la métaphore de l’actuel coach de Manchester City, il est essentiel de se pencher sur les successeurs du Hollandais volant, à commencer par son meilleur ennemi : Louis van Gaal. La brouille entre les deux hommes est plus ancienne mais atteint son apogée entre 1997 et 2000 lorsque la Tulipe de fer est sur le banc du Barça et reçoit de nombreuses critiques de la part de son compatriote. “Les gens ne savent pas par quoi je suis passé quand j’étais à Barcelone, expliquait van Gaal lors de son passage munichois. Cruyff m’attaquait dans sa chronique hebdomadaire quasiment chaque semaine. C’est une icône à Barcelone. Les gens écoutent ce qu’il dit religieusement, même s’ils ne savent pas ce qui se passe dans le club. Il n’a pas pris ses responsabilités et malgré toute la frustration qu’il a tenté de me donner, j’ai fait du bon boulot là-bas. Mais je ne lui pardonnerai jamais”. Sur le terrain, il faut dire que nous ne sommes ni sur les bases de la Dream Team, ni sur celles de l’Ajax de la première moitié de la décennie. 

Moins mis en avant que ses compatriotes, Rijkaard peut tout de même se vanter d’avoir ramener la Ligue des Champions en Catalogne – Getty Images

La période n’est pas propice au pressing mais Louis van Gaal  tient à garder les principes premiers du jeu de position hispano-néérlandais. Le 4-3-3 barcelonais est plus académique que le 3-4-3 ajacide et les éclats sont moins nombreux hormis ceux de Rivaldo. Le Brésilien étant la seule individualité à sortir du collectif -trop- carré. Quelques mois plus tard, Frank Rijkaard rejoint le club catalan pour y devenir entraîneur. L’ancien milieu hollandais de l’Ajax perpétue donc la tradition néerlandaise au sein du club catalan grâce aux quelques mots de Johan Cruyff soufflés à l’oreille du nouveau président Joan Laporta.

Celui qui permet de remporter la seconde Ligue des Champions de l’histoire du club en 2006 a également été le premier à moderniser le 4-3-3 barcelonais. Au contraire de van Gaal, il n’hésite pas à user des ailiers en faux-pied autour du très libre Ronaldinho. Entre la Dream team et la révolution de Guardiola, l’équipe de Rijkaard est celle qui respecte le plus l’héritage auquel elle prétend appartenir. “Lorsque j’ai entraîné le FC Barcelone, Johan Cruyff m’a été d’une grande aide. Discuter avec lui de jeu, partager ses idées avec moi a été un plaisir de tous les jours” loue à So Foot l’un des disciples cruyffistes les plus reconnus de son époque. 

KOEMAN, TRADITION REPRISE

Seulement voilà, si cette tradition sur le banc barcelonais a donné un nouveau visage au club, le digne héritier idéologique de cette tradition n’a pas sa carte d’identité aux couleurs oranje. Arrivé en 2008 en équipe première, l’Espagnol Pep Guardiola, ancienne pièce maîtresse du onze de Cruyff, donne une nouvelle dimension à Barcelone à l’aide des Messi, Xavi ou Iniesta. Considérée par certains comme la plus grande équipe de l’histoire, la Pep Team reprend les mêmes concepts que la Dream Team, vingt ans plus tôt, tout en les modernisant. Guardiola confiera même en 2016 : “Je ne savais rien du football avant de connaître Cruyff”.

Parfois en eaux troubles Koeman reste convaincu de ses idées apprises avec Cruyff – Getty Images

Depuis son départ en 2012, les crises présidentielles et sportives ont fait leur retour à Barcelone. Hormis la parenthèse Luis Enrique (2014-2017), l’héritage de Johan Cruyff a moins respecté une logique sportive et historique qu’un simple écran de fumée pour contenter les socios, en témoigne le passage en coup de vent Quique Sétien en 2020. C’est donc après une décennie espagnole que la coutume néerlandaise revient du côté de la Catalogne en la personne de Ronald Koeman, buteur victorieux de la Ligue des champions 1992. 

La particularité de l’ancien défenseur central réside finalement dans sa simplicité. Il n’est ni un révolutionnaire, ni un professeur expérimental. Planté au milieu d’une tempête institutionnelle, le défi de remettre le club sur les bons rails est immense, courageux voire irrationnel pour un sélectionneur qui allait emmener une prometteuse sélection des Pays-Bas disputer l’Euro 2020. Seulement, Koeman a réussi là où ses deux prédécesseurs ont échoué. D’abord, en réintroduisant les principes du jeu de position efficace dans des systèmes variés -comme pouvait le faire Cruyff. Ensuite, en installant une certaine méritocratie au sein du vestiaire conduisant aux éclosions de Pedri, Ronald Araujo ou Oscar Mingueza. Enfin, en donnant une véritable force de caractère à cette équipe qui s’était envolée à Rome, Liverpool ou Lisbonne les années précédentes. Finalement, avec son aura de légende et pour une première saison loin d’être facile à manœuvrer, Koeman a respecté l’héritage hollandais en reprenant ce que lui-même complimentait de l’équipe de 1992 : “Peut-être plus que le jeu, c’est le caractère de cette équipe [la Dream Team] qui ressortait”.


Le lien entre le club et les Pays-Bas est loin de se limiter à ces penseurs évoqués. Entre joueurs et pensées footballistiques communes, le lien entre Barcelone et les Pays-Bas regorge de petites et grandes connexions à retrouver dans notre deuxième article.

Thibaud Convert et Enzo Leanni

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