Argentine-Uruguay 1986, Mexico / Imago
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Argentine-Uruguay 1986 : chef-d’oeuvre sous fond de rivalité

Dans la nuit de vendredi à samedi (2 heures en France), l’Argentine et l’Uruguay se rencontrent pour le compte de la deuxième journée de la phase de groupes de Copa America. Ce match sera la 187e confrontation officielle entre les deux équipes. Au-delà de la compétition actuelle, une véritable rivalité se règle sur le rectangle vert. L’une des oppositions les plus marquantes de l’histoire s’est déroulée en juin 1986 durant le Mondial mexicain avec le récital de Diego Maradona.


Déjà sept mois ont passé depuis la terrible nouvelle et l’Argentine pleure toujours son héros. Durant les longues journées de commémoration, le quart de finale de la Coupe du monde 1986 est conté, presque romancé. L’antagonisme face à l’Angleterre est, ce jour-là, sublimée par un but vicieux et un gracieux pour un doublé historique. Si bien que le reste de la compétition de l’Albiceleste passe en second plan.

L’autre doublé de Maradona, en demi-finale, face à la Belgique est bien moins conté. Même la victoire finale contre l’Allemagne de l’Ouest n’est pas tant passée à la postérité que le quart. En plus de la dramaturgie de la rencontre face aux Anglais, le contexte historique de l’époque pèse également lourd dans la balance. 

Entre rivalité footballistique et relent de la Guerre des Malouines, Maradona et tout un pays avaient à cœur de l’emporter. Et de quelle manière ! Néanmoins, avant cette confrontation, les Argentins ont dû s’employer pour battre de rugueux uruguayens en huitième de finale. Si ce match du mondial 86 n’est pas rentré dans les annales du jeu, l’opposition entre les deux pays voisins n’en reste pas moins particulière. 

ARGENTINE-URUGUAY : UNE HISTOIRE DE RIVALITÉ

L’antagonisme trouve ses racines il y a plus d’un siècle puisque la première rencontre internationale en dehors de Grande-Bretagne s’est déroulée à Montevideo. Evidemment face à l’Argentine pour une victoire 2-3 de l’Albiceleste. Ce match et les suivants sont marqués par une animosité si forte qu’elle se caractérise par de la violence excessive. Ils sont catégorisés comme amicaux mais n’en ont pas vraiment l’apparence. Entre les deux Jeux Olympiques de 1924 et 1928 -remportés par la Celeste– les deux pays se rencontrent pour savoir qui est vraiment la meilleure équipe du monde. Question toujours en suspens car une bagarre et un envahissement de terrain a obligé l’arbitre à mettre fin à la confrontation.

Les vingt-deux acteurs du quart de finale de 1986 avaient en tête la Guerre des Malouines. Celle-ci avait eu lieu quatre ans plus tôt et avait fait plus de 900 morts dont 649 dans le camp argentin. Ce contexte politique est évidemment plus fort que celui qui ne dépasse pas le cadre du terrain de football. Cependant, à chaque Argentine-Uruguay, les joueurs se voient rappeler l’histoire désormais mythique de la bataille de La Plata. Aucun mort mais de nombreuses menaces de passage à l’acte en cas de victoire argentine lors de la finale du mondial 1930. Celui-ci est organisé en Uruguay, la Celeste est en finale tout comme l’Albiceleste. Selon la légende, assez grande autour de l’événement, 30 000 Argentins se déplacent dans la capitale du pays frontalier et 10 000 rentrent dans le Parque Central face à des supporters locaux six fois plus nombreux.

Les deux pays à la culture presque identique se disputent donc une deuxième finale internationale en deux ans après celle des Jeux Olympiques d’Amsterdam. Comme en 1928, ce sont les Uruguayens qui s’imposent mais dans un climat bien plus hostile. Les pétards se mêlent aux cris et ces derniers mettent le feu aux poudres avec notamment des phrases comme “la victoire ou la mort”. Alors que l’Argentine rentre aux vestiaires en tête, le score va passer de 1-2 à 4-2 en l’espace d’une mi-temps. Les visiteurs se montrent très fébriles durant la pause, le défenseur Fernando Paternoster dit même : “Il vaut mieux que nous perdions, sinon nous allons tous mourir ici !“. C’est ce qu’ils ont fait, attendant ainsi 1878 pour, enfin, remporter une Coupe du monde. Celle de 1986 permettra à l’Argentine d’égaler le total de l’Uruguay.

Entre la finale du mondial 1930 et le huitième de 1986, les deux pays se confrontèrent une soixantaine de fois mais la tension baissa au fil des années. La rivalité est devenue plus saine autour de débats plus futiles comme autour de l’origine de l’asado ou du maté. Cependant, les histoires existaient bien et Maradona savait que pour aller chercher “sa” coupe du monde battre l’Uruguay aurait une saveur particulière. A l’instar d’éliminer l’Angleterre au tour suivant. Plus tard, les affrontements face à la Belgique ou l’Allemagne de l’Ouest ne seront pas entourés de la même aura historico-politique. 

LA BATAILLE DE 1986

Après avoir posé les bases de ce contexte, ô combien important, nous pouvons nous concentrer sur ce huitième de finale entre les deux nations rivales. Direction Puebla, quatrième plus grande ville mexicaine, où les équipes jouent sous un soleil de plomb. La rivalité n’est pas oubliée pas Maradona qui explique : “Contre l’Uruguay, tu joues toujours la mâchoire serrée. Les autres peuvent te marcher dessus. Les Uruguayens, eux, te regardent en face, te choppent et savent te faire mal”. Si l’équipe est moins talentueuse que son rival, elle compte tout de même dans ses rangs le prodige de River Plate. Numéro 10 dans le dos, Enzo Francescoli va tenter de se mettre à la hauteur d’El Pibe de Oro. Mais comme l’ensemble de son équipe, El Principe ne pourra pas contenir le génie de l’Argentin. En plus de son talent, Diego Maradona voit ce match et les suivants comme des missions à accomplir pour son pays. Il est sur une forme impressionnante, sort d’une très belle saison avec Naples et est décisif sur dix des quatorze buts argentins du mondial ! Sur les sept matchs de la compétition, il est impliqué sur les buts de six matchs.

La seule rencontre où il ne marquera pas ou ne fera pas de passe décisive est celle face à l‘Uruguay. Dans son autobiographie Yo soy el Diego de la gente, le principal intéressé disait pourtant que c’était “le meilleur match de cette Coupe du monde. Et de loin”. Plus tard, il dira même pour El Grafico, que sa performance la plus aboutie de sa carrière était “contre l’Uruguay, à Puebla, à la Coupe du monde 1986. Ce jour-là, j’ai été encore meilleur que contre l’Angleterre et je les ai tous surclassés. Tous”

Le match n’est toutefois pas propice aux exploits individuels. Il est très haché. Pour preuve, il accouchera d’un total de 65 fautes. Dix seront sur l’unique numéro 10 argentin. A plus de 2 000 mètres d’altitude, certains joueurs peinent à reprendre leur souffle après certains duels ou autres séquences rythmées. Le rugueux Jorge Barrios est au marquage individuel de Maradona. Durant le premier quart d’heure, il ne lui laisse pas un centimètre d’espace. Le meneur de jeu de l’Albiceleste explique, dans son autobiographie, sa stratégie : “Triballer Barrios partout sur le terrain, à droite, à gauche. Et de le faire courir un maximum. Sur la toute première action, j’accélère ainsi sur la droite avant de terminer ma course dans un panneau publicitaire. Sur la deuxième, je déborde cette fois à gauche et je centre, comme un ailier.J’adorais ce geste. Corner. Ç’a été le signal… Au bout de cinq minutes à peine, j’ai compris que c’était par la gauche qu’il fallait passer. Il était grand, bien plus que moi, mais dès que je prenais de la vitesse, impossible pour lui de m’arrêter”.

En plus du génie de l’Argentin, la réaction de Carlos Bilardo a fait changer la physionomie de la rencontre. Le sélectionneur a, en effet, complètement changé son système de jeu quinze minutes après le coup d’envoi. Il décide d’abord de débuter avec une défense centrale composée de José Luis Brown et José Luis Cuciuffo mettant ainsi Oscar Garré et Oscar Ruggeri respectivement sur le flanc gauche et droit. Son 4-2-3-1 va alors se transformer en 3-7-0 ! Bilardo décide de placer Brown tel un libéro avec, à ses côtés, Cuciuffo et Ruggeri. Garré, lui, se greffe à un milieu très fourni. Batista et Giusti restent en place et laissent le secteur offensif à Garré et Pasculli, sur les ailes, et Burruchaga et Valdano, dans l’axe. Un cran plus haut, Maradona n’a pas de place attitré dans ce système puisqu’à partir du quart d’heure de jeu, il couvre l’ensemble du terrain. 

SOLISTE DANS UN ORCHESTRE

Malgré qu’il ait vu la faiblesse de Barrios sur le côté gauche, Diego Maradona ne cesse de dézoner et joue un nombre incalculable de ballons dans l’entrejeu. Lorsqu’il descend, Jorge Burruchaga et Jorge Valdano partent en profondeur. Ce dernier dit à propos de son ami : “En 1986, il est à la fois milieu offensif et attaquant. Après, avec Diego, tout devient plus simple, plus fluide (…) c’était un facilitateur de jeu”. Même Pasculli se retrouve quelquefois dans la surface adverse. C’est d’ailleurs dans cette zone qu’il inscrit l’unique but de la rencontre. L’orchestre mis en place par Carlos Bilardo a alors été sublimé par la prestation de Maradona. Un solo qui a duré soixante-quinze minutes ! Le virtuose a improvisé une partition qu’il connaissait déjà par cœur et maîtrisait à la perfection. 

La facilité nous ferait choisir le quart d’heure de jeu et le changement de système pour dater la première note de l’artiste mais la plus marquante est marquée six minutes plus tard lorsque son coup-franc s’écrase sur la barre transversale uruguayenne. Ce coup de pied arrêté montre toute la palette technique de Diego Maradona mais c’est dans le jeu qu’il impressionne tout le monde ce jour-là. Il s’offre le luxe de toucher le ballon soixante-quatorze fois et plus de soixante fois dans la partie adverse. Chaque touche est magnifiée dès le contrôle. Souvent habitué à le voir dynamiter les défenses adverses par le dribble et les courses, il se distingue davantage en meneur de jeu classique durant ce match. 

Son intelligence de jeu frappe les amateurs de football mais son festival de la deuxième période marque même le grand public. “En seconde période, je commence le show” dit le principal intéressé. Il semble tout réussir. Les contrôles, les dribbles, les duels ou les passes. Sa capacité à remporter les duels est toujours aussi déconcertante. Malgré les dix fautes contre lui, il n’esquive aucun contact et se relève à chaque fois. L’ensemble de son deuxième acte est parfait mais n’est ponctué d’aucun but. Il estime pourtant que le score aurait mérité d’être plus lourd face à la Celeste. Cette courte victoire ne doit cependant pas faire oublier le solo d’un artiste au milieu d’un orchestre organisé sur mesure. Non, Maradona n’a pas gagné ce mondial seul mais lorsqu’on voit ces échanges avec Burruchaga ou Valdano, on comprend comment une individualité peut sublimer un collectif.

La rivalité entre l’Argentine et l’Uruguay a atteint des sommets déraisonnables au début du siècle dernier mais a également donné lieu à l’un des meilleurs matchs de la carrière de Diego Maradona. Le huitième de finale de la Coupe du Monde 1986 est moins connu que le tour suivant. Mais la prestation du numéro 10 est peut-être plus complète. Moins remarquable évidemment, moins décisive également. L’un des rares matchs où il ne marque pas ou ne fait pas marquer, le seul de la compétition. Mais le chef-d’œuvre de Maradona, en plus de son génie technique habituel, est marqué par une intelligence de jeu inouïe. 


Carlos Bilardo a d’abord semé le doute dans la tête d’Omar Borras sur le banc adverse. Diego Maradona a continué à désordonner le jeu uruguayen. Tantôt sur l’aile gauche, tantôt dans l’entrejeu, il fait briller ses coéquipiers et joue lui-même à la perfection. Une prestation exceptionnelle qu’on ne mentionne cependant que très peu lorsqu’on parle de sa carrière, voire de sa Coupe du Monde 1986. De quoi placer un homme.

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