La semaine de l'arbitrage

Jacques Salze : “Il faut toujours avoir un coup d’avance sur les joueurs”

Qui a dit que joueurs et arbitres étaient opposés ? Jacques Salze, ancien capitaine du Clermont Foot et joueur professionnel jusqu’en 2018, a décidé de réconcilier les deux professions. Devenu arbitre après l’arrêt de sa carrière à 31 ans, il officie aujourd’hui en National. Il nous racontait en février le récit de cette métamorphose éclair, les difficultés d’un tel changement de costume mais aussi ses raisons. Du ballon au sifflet, il n’y a qu’un pas.


Pourquoi avoir choisi de devenir arbitre ?

La raison est simple. C’est une continuité et une passion au départ. Quand on arrive à un certain âgé, passé 30 ans, il faut penser à l’après. C’était quelque chose qui était acté depuis que j’avais 26-27 ans. C’est un ancien joueur qui avait fait la passerelle, qui officie désormais en L1 et qui a bien progressé, qui m’a mis la puce à l’oreille à l’époque. Il nous avait arbitrés en match amical et je l’avais reconnu sur ce match. Au fur et à mesure, je me suis aperçu que l’arbitre avait une part importante dans un match et que c’était important d’avoir un relationnel avec cette personne, qui n’est pas juste simplement une personne qui est là pour juger des faits, elle accompagne et elle manage. C’est ce côté-là qui m’a intéressé dans l’arbitrage.

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Quelle place a eu votre blessure dans ce choix de devenir arbitre ?

Pour rentrer dans les détails de ma vie personnelle, j’ai joué 8 ans à Clermont. J’y ai rencontré ma femme. J’ai eu un petit garçon et je suis parti jouer pour Quevilly Rouen un an. Ma femme s’est mise en congé sans solde. Dans l’idée, je ne souhaitais pas m’éterniser comme joueur de foot, c’était quitte ou double. Soit je me relançais une année, je jouais, ça se passait bien et je pouvais espérer choper un contrat de joueur sur deux ans, soit je passais à autre chose.

L’idée était de jouer jusqu’à 31-32 ans au départ, sur le papier. Mais ma blessure et mon faible temps de jeu ont accéléré les choses. De toute façon je savais que je voulais faire ça. En tant que joueur, j’avais fait le tour, je ne voulais pas jouer en National. J’ai préféré arrêter. Et être joueur de foot, c’est beaucoup de contraintes familiales, on est des pions qu’on déplace et on ne se déplace pas tout seul. On est revenu à Clermont, ma femme a récupéré son travail et moi, j’ai pu basculer dans l’arbitrage. Devenir arbitre était un moyen de concilier famille, travail et passion.

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Quelle perception aviez-vous de l’erreur d’arbitrage en tant que joueur, et comment la ressentez-vous aujourd’hui lorsque vous êtes l’auteur d’une erreur ?

Cette perception a évolué. Un arbitre est un humain. On voit beaucoup d’interprétation dans des prises de décision en Ligue 1. C’est subjectif et c’est ce qui fait la beauté de l’arbitrage. C’est aussi ce qui fait la différence entre un arbitre moyen, bon ou mauvais.

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Quelle vision aviez-vous de l’arbitre en tant que joueur et capitaine d’une équipe ?

La vision a vachement évolué dans le sens où quand j’étais jeune, j’étais un joueur un peu insouciant, très fougueux, très agressif. Et donc dans une relation plus conflictuelle avec l’arbitre. Sans jamais être agressif envers un arbitre, mais conflictuel dans le sens où il n’y avait pas de compréhension, mais plutôt de l’incompréhension, sur des cartons par exemple. Au fur et à mesure, avec la maturité et l’expérience, je me suis rendu compte que l’arbitre faisait partie du jeu, il se ratait comme nous on rate des passes des fois… Que c’était une personne et un être humain qui manageait une rencontre et que d’autres paramètres rentrent en compte. C’est ce qui a de passionnant dans l’arbitrage et que je comprends maintenant réellement.

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Peut-on voir un lien entre votre rôle passé de capitaine au sein de votre club et celui d’arbitre actuel ?

La différence c’est qu’en tant que capitaine, on a un rôle d’image important par rapport au groupe. Moi je prenais mon rôle de capitaine plus dans un cadre de transmission de savoir, de faire grandir les petits jeunes et faire évoluer le groupe. Je le prenais plus en montrant l’exemple et en montrant les choses qu’il fallait faire et ne pas faire. Alors que quand on est arbitre, c’est d’autres responsabilités. On a 22 joueurs à manager sur un match. Quand on est capitaine, sur un match, on va recadrer un ou deux joueurs mais on ne peut pas tout gérer parce qu’il y a aussi sa performance à faire. Alors que quand on est arbitre, on se concentre vraiment là-dessus et c’est beaucoup de management parce qu’il y a 22 joueurs plus les coachs, les bancs… Il y a tout à gérer. C’est complétement une autre approche. Et on a un devoir de performance aussi, avec des décisions justes à prendre. Tout associé, c’est ce qui fait la difficulté et la beauté de l’arbitrage.

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Pourriez-vous arbitrer vos anciens coéquipiers ?

Ça arrive déjà, fréquemment même. On est même un peu plus dans l’attente des joueurs qu’on connaît, plutôt que d’autres. On a une attente particulière, notamment avec des « amis » je dirais, où on demande à ce que ça se passe bien, qu’ils calment tel ou tel joueur pour éviter qu’ils prennent un carton bêtement. On s’en sert quelque part d’appui.

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Aujourd’hui, vous inversez les rôles. Pensez-vous qu’il y ait une différence d’arbitrage entre un arbitre de formation et un ancien joueur reconverti arbitre ?

C’est compliqué et simple à la fois. Un ancien joueur devenu arbitre va avoir beaucoup de lacunes techniques… Exemple : match à Laval en National 1. En tant qu’ancien joueur, on a beaucoup de « retard » technique parce qu’on n’a pas autant d’expérience que les arbitres de formation qui ont peut-être 500 matchs dans les pattes a minima. Moi j’en ai 40, 45 peut-être. Ce n’est pas comparable, c’est comme comparer un joueur à 500 matchs à un petit jeune qui débute. L’expérience donc, on ne l’a pas. Mais on compense par le ressenti du joueur, la lecture du jeu. Chose que les arbitres de formation mettent du temps à acquérir. C’est pour ça qu’on évolue assez vite, la lecture du jeu qui est dure à acquérir et la sensibilité foot que l’on a, un arbitre lambda mettrait un peu plus de temps pour l’avoir.

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L’arbitre ne bénéficie pas souvent d’une image positive. On le critique, lui manque de respect et même parfois le bouscule, l’insulte. Comment expliquez-vous cela ? Comment lutter contre ce phénomène ?

C’est dur de trouver un sport où les arbitres sont autant contestés que dans le foot. C’est ancré dans les mœurs, c’est ancré dans le vice du joueur de foot. Moi j’étais un joueur vicieux. Je sais que si je pouvais passer à l’acte sur une ou deux fautes, bah c’était bien. Maintenant, quand tu es de l’autre côté, quand tu es arbitre, c’est compliqué. Parce que tu te dois d’être uniforme par rapport aux attentes de la fédération française de football qui nous donne des directives. On se doit de les respecter pour que chaque décision soit comprise et soit lisible. Même si c’est compliqué en termes de contestation, parce qu’il y a des mains que les gens ne comprennent pas.

Je pense que les gens ne sont pas assez informés sur l’arbitrage et sur les règles du football. Moi-même j’en ai apprises après avoir été professionnel une dizaine d’années. Les termes par exemple, un corner c’est un coup de pied de coin, un 6 mètres un coup de pied de but. Dans le langage arbitral, ça se dit comme ça. Après, sur les mains, quand on est joueur de foot, pour moi c’est nécessaire qu’un arbitre vienne chaque début de saison pour expliquer comment ça se passe. Pour ne pas qu’il y ait de mal entendu sur le début de saison.

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Quel est le match le plus difficile que vous ayez eu à arbitrer jusqu’ici ? Celui qui vous a le plus marqué ?

Le plus difficile, c’est les début. C’est compliqué parce que c’est dur, l’arbitrage. L’expérience ne s’achète pas, elle s’acquiert en faisant des erreurs. Par exemple, j’ai mis un avantage, le mec part au but, je reviens et je mets deuxième jaune, rouge. Pour une faute qui existait mais en termes de lisibilité, parce qu’on me demande d’être lisible, je n’aurais pas dû mettre ce deuxième jaune et le match s’est mal passé à cause de ça. Mais il y a tellement de paramètres à prendre en compte quand on arbitre.. On pourrait en parler pendant des heures et des heures, c’est sans fin. Et la progression est sans fin également parce que les situations à gérer sont complètement différentes les unes des autres. Il y a tellement de paramètres qui rentrent en jeu et on a à chaque fois une seconde, même pas, pour réfléchir, prendre la bonne décision et être sûrs de nous. Le match qui m’a le plus marqué, le dernier match en National (en février dernier), puisque c’est le niveau le plus haut où j’ai arbitré. Laval-Béziers. Ce sont des matchs plaisants parce qu’il y a un peu de monde au stade. J’ai arbitré à Bastia aussi, ils font encore 5000 personnes, ce sont des matchs où je retrouve ce que j’avais quand j’étais joueur, c’est agréable.

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“Un rappel à l’ordre, pourquoi on le fait ? Parce que ça montre les limites à ne pas dépasser. Tout est de l’anticipation, de la gestion de match et du management.”

L’arbitre est d’une certaine manière le garant de la paix sur le terrain. Un bon arbitre, c’est un arbitre qui ne met pas de cartons ?

Je n’irais pas jusque-là. Je dis souvent que l’arbitre qui met des cartons ne prend aucun plaisir à le faire. On manage une rencontre pour que ça se passe bien, dans le meilleur état d’esprit. Il faut toujours avoir un coup d’avance sur les joueurs, s’il a fait ça et qu’on tolère ça, qu’est-ce qu’il va se passer après ? Il n’y a rien d’anodin. Un avantage laissé, une faute sifflée, un carton jaune, tout est calculé. C’est pas pour rien qu’on fait les choses, tout a un sens. Un rappel à l’ordre, pourquoi on le fait ? Parce que ça montre les limites à ne pas dépasser. Tout est de l’anticipation, de la gestion de match et du management.

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Pensez-vous que le rôle d’arbitre soit d’autant plus crucial dans les matchs à haut risque ?

Déjà, on ne peut comparer l’arbitrage Ligue 1, Ligue 2 et National (qui se fait à trois), c’est une autre planète. L’arbitrage en Ligue 1 avec la VAR et toutes les attentes, les médias, les caméras, ce n’est pas comparable avec ce que je vis tous les week-ends. Et ce qu’il se passe en Ligue 2, même si moi je fais 4ème arbitre en L2, c’est pas comparable non plus. Ce sont deux choses distinctes.

Mais certes, sur les matchs à haut risque, le rôle de l’arbitre est crucial. Pour autant, on n’arbitre pas tout seul à ce niveau-là, il y a deux assistants, avec des oreillettes, un 4ème arbitre, deux délégués qui gèrent les bancs… Chaque rôle est défini en amont et par exemple, ce qui se passe en tribune ne va pas impacter le central, à moins que l’intégrité physique des joueurs ou la visibilité ne soient affectées. Le central n’aura pas à se préoccuper d’une banderole, des insultes, etc.

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Dans quelle mesure l’arbitre doit-il alors prendre en compte l’extra-sportif, par exemple les actions des supporters en tribunes ? Lorsque des actes racistes sont signalés par exemple.

Au haut niveau, c’est le travail des délégués. Moi, oui, je le prends en compte. Et encore, j’ai des délégués qui m’aident aussi. Il y a un protocole. Si l’arbitre s’en rend compte, c’est que tout le monde s’en est déjà rendu compte autour. Il faut donc intervenir avec première annonce au micro, ensuite on suspend le match. L’arbitre est capable de suspendre, arrêter momentanément ou arrêter définitivement. C’est lui qui prend la décision. Après, c’est bien d’être sur la même longueur d’onde entre les arbitres, pour essayer de montrer l’exemple. Et c’est important. Pour comparer au rugby, c’est rare au foot de voir des familles avec les femmes qui viennent au match. Au rugby, c’est plus fréquent. Ce climat-là n’est pas bénéfique pour l’image que ça renvoie.

“A terme, l’objectif minimum est d’arbitrer au niveau auquel j’ai joué, c’est-à-dire en Ligue 2. C’est vraiment l’objectif. Et puis après, c’est durer, le plus longtemps possible, même en National 1.”

Quel avis portez-vous sur la VAR en tant qu’arbitre ?

Je trouve ça bien parce que ça uniformise les choses, ça rééquilibre. Quand on est arbitre, c’est important d’être intègre, même si on a le droit de se tromper. C’est important d’avoir une certaine équité et des décisions justes. Qui peuvent paraître injuste pour les clubs, mais à un moment donné, il faut qu’ils se posent les bonnes questions. La VAR n’intervient pas dans n’importe quelle situation. Il suffit juste de télécharger l’application de l’Ifab, tout est expliqué dedans, car il faut que les gens soient mieux renseignés.

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Plusieurs idées ont été soumises pour corriger les « défauts » de la VAR. Que pensez-vous d’un challenge ainsi que d’une « tolérance » concernant le hors-Jeu ?

C’est subjectif mais le challenge, je trouve ça intéressant. Que ça se fasse ou non, ça ne peut être qu’une plus-value en termes de management car le coach se sentira moins frustré en ayant la certitude que les images sont vérifiées. Pour autant, ça ne changera rien car les images sont déjà toutes vérifiées par la VAR.

Pour le hors-jeu, c’est binaire, on est hors-jeu ou on ne l’est pas. Il faut donc les bonnes instrumentalisations avec un technicien qui soit performant. Il faudrait cependant que les stades soient mieux équipés en caméras pour passer moins de temps à chercher un bon angle et à fixer la ligne. Quand on est joueur et qu’on est dans un temps fort, coupé par la VAR, c’est forcément pénible. Limiter le temps d’attente, c’est important. Mais c’est vraiment difficile : sur un hors-jeu, à partir de quel moment on décrète le hors-jeu ? Il faut prendre la bonne photo et le bon timing, ça se joue à des millimètres parfois.

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Pour vous, c’est allé assez vite en termes de progression puisque vous arbitrez déjà en National 1. Quelle est votre ambition pour la suite ?

Chaque chose en son temps. Je pense que c’est important d’avoir une longue phase d’apprentissage et de rencontrer plein de situations différentes en tant qu’arbitre. Le plus important dans ma situation, c’est de prendre de l’expérience et de faire des matchs, que ce soit du National 1, 2, 3 ou même du Régional, ça ne me dérange pas. Je prends de l’expérience et chaque match est différent. C’est ça qui est intéressant et qui fait progresser, se remettre en question tout le temps.

A l’heure actuelle, j’ai encore à travailler pour être au niveau d’un arbitre de National 1. J’espère y être bientôt. A terme, l’objectif minimum est d’arbitrer au niveau auquel j’ai joué, c’est-à-dire en Ligue 2. C’est vraiment l’objectif. Et puis après, c’est durer, le plus longtemps possible, même en National 1. Je ne regrette absolument pas ce choix. Même si ça ne marchait pas, je ne le regretterais pas car c’est une telle école de la vie… Même pour des jeunes qui ne sont pas forcément joueurs de foot, car on apprend à manager, à diriger, à se faire respecter.

Pour une personne timide, ça permet de sortir de sa coquille. Pour un jeune de 15 ans, arbitrer lui fait une petite rémunération les week-ends et ça peut être une réelle plus-value personnelle, un vrai enrichissement. Même pour moi, si dans cinq ans je ne suis plus arbitre, à mon grand regret, ça voudra dire que je n’ai pas été bon ou fait ce qu’il fallait, mais je ne regretterai jamais de m’être investi là-dedans comme je l’ai fait.

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Tristan Boissier (visuel de Thomas Albert)

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