La semaine de l'arbitrage

Quatrième arbitre, dis moi qui tu es

« C’est le Noir ici, va voir et identifie-le » (en roumain : « Acesta este negrul aici, dute sal vezi și sa l identifici » ). Le 9 décembre dernier, le rôle du quatrième arbitre se retrouve tristement sous les feux des projecteurs. Lors du match de Ligue des champions qui opposait le PSG et Basaksehir, Sebastian Colţescu, le quatrième arbitre de la rencontre, prononce ces quelques mots. Cet événement, qui en plus d’avoir bousculé le monde du football, a jeté une part d’ombre sur ce rôle arbitral peu connu.


Le quatrième arbitre est celui qui tient le tableau de changements et du temps additionnel. Oui, mais pas que. Il chronomètre le match, en plus du chronométrage officiel, il note les sorties, les expulsions, les entrées et les blessures, afin d’être le plus exact possible lorsqu’il affiche les minutes additionnelles. Créé en 1991, celui qu’on appelle aussi “arbitre remplaçant”, est un arbitre principal provenant, la plupart du temps, d’une division inférieure que les autres arbitres officiels. Il occupe avant tout un rôle logistique et est indispensable au bon fonctionnement d’un match. Avec l’ensemble du corps arbitral, il vérifie les procédures d’avant match et est, évidemment, tenu de tester le panneau de changements. L’objectif est aussi qu’il garde ce dernier précieusement durant le match. Sinon, d’autres, influencés par Kiko Casilla en finale de Ligue des champions, pourraient bien s’en emparer… 

3 juin 2017, Kiko Casilla célébrant la victoire madrilène en finale de la Ligue des champions. Le 12 signifiant la 12ème coupe remportée par le club madrilène.

On ne devient pas arbitre pour être quatrième arbitre, explique Philippe Malige, premier arbitre français à avoir exercé en tant que quatrième arbitre lors de la saison 1999-2000 en Division 1, ancêtre de la Ligue 1. C’est pourtant un rôle primordial. Le groupe arbitral fonctionne comme une équipe à part entière. On a besoin de tout le monde. L’arbitre central, c’est le patron, mais sans les autres, sa mission ne peut être réussie”. Ce qui fait de l’arbitre remplaçant un arbitre indispensable, c’est sa fonction première. Comme son nom l’indique, il est celui qui va prendre la place de l’arbitre principal ou d’un des deux assistants en cas de problème physique. De ce fait, il est toujours aux aguets, prêt à saisir les responsabilités d’un autre poste. “C’est rare, je n’ai jamais connu ça personnellement”, précise Philippe Malige qui a exercé en Ligue 1 et Ligue des champions, notamment à l’occasion du choc Bayern-Roma en 2013. Rare, mais trop important pour passer à la trappe. En National, le quatrième arbitre n’existe pas, en cas de blessure, place à l’improvisation ! Lors d’un match Concarneau-Le Mans le 25 août 2018, l’arbitre central, Eddy Rosier, se blesse et est évacué sur civière. S’il a été remplacé par l’un de ses assistants, il manquait une personne pour prendre la place de ce dernier. Le speaker a alors lancé un appel pour savoir si un spectateur disposant des diplômes nécessaires se trouvait dans le stade Guy-Piriou. Un spectateur s’est manifesté, a enfilé la tenue noire et a manié le drapeau rouge et jaune jusqu’à la fin du match. Sans lui, la rencontre aurait été reportée.

«On est la police du banc de touche »

Philippe Malige, ex-arbitre professionnel français.

Policier et couteau suisse

Si les joueurs sur le terrain sont observés par l’arbitre central et les juges de lignes, il faut bien quelqu’un pour surveiller ce qu’il se passe sur le banc de touche. C’est là que le quatrième arbitre intervient. Placé entre les deux bancs, il est le bouclier entre les deux staffs en cas de tension. Logiquement, il est aussi celui vers qui les entraîneurs se tournent quand ils estiment que leur équipe est victime d’injustice. Il devient alors la cible des critiques et doit jouer le rôle du médiateur. “On est la police du banc de touche. Les insultes, on les entend, mais ça ne nous influence pas. Notre rôle est de faire en sorte que tout le monde reste calme, même s’il ne se passe pas un match sans qu’il y ait un peu d’énervement”, précise Philippe Malige.

Les années passant, l’arbitre remplaçant ne cesse de prendre du poids. En 2000, une nouvelle tâche s’ajoute à sa polyvalence déjà non négligeable. Par son placement, il a une vision globale du jeu et ainsi, aide le trio arbitral. Il est habilité à signaler tout comportement agressif se produisant hors du champ de vision de ses collègues et peut donner une information importante sur une faute, un duel ou une situation s’il est mieux placé que l’arbitre principal. 

Octobre 2010 au Camp Nou. Le FC Barcelone affronte le FC Copenhague en phase de poule de Ligue des Champions. Lionel Messi récupère la balle et accélère. Stéphane Lannoy, arbitre principal de la rencontre, lance une alerte aux autres arbitres via leur oreillette. “Comme à chaque fois qu’il prend la balle, il nous demande de regarder ses jambes, explique Philippe Malige. La vitesse de Messi est hors norme, Stéphane a peur de manquer une faute. J’entends : “Regardez les jambes, regardez les jambes !”. C’est dans ces moments là aussi que mon rôle devient primordial.” Doublé de Messi, coup de sifflet final, le quatrième arbitre quitte l’entre-deux-bancs et range son panneau au placard.

Suzanne Jusko (visuel de Thomas Albert)

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