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Quand l’identité basque dicte la politique de formation en Euskal Herria

Le 3 avril 2021 aura lieu la finale de la Copa del Rey édition 2020 , entre les deux mastodontes du football basque espagnol : d’un côté l’Athletic Club représentant la capitale régionale Bilbao, et de l’autre la Real Sociedad de la seconde ville la plus importante, Saint-Sébastien . L’occasion rêvée de s’intéresser à la région pour des raisons footballistiques et culturelles, et plus particulièrement à ce qui lui permet encore aujourd’hui d’être une des places fortes du football espagnol.


Une rivalité régionale intemporelle

Bilbao/Saint-Sébastien, avant d’être un derby footballistique il s’agit d’un derby identitaire. Si semblables et pourtant si éloignées, la lutte fratricide se joue jusque sur le rectangle vert, comme nous le précise d’emblée Robin Le Normand défenseur central français de la Real  : “La finale de la Copa del Rey sera le match le plus important contre Bilbao en plus le rival, on a travaillé dur l’année dernière pour se qualifier en finale et ça va être un match fantastique, tout le monde veut le jouer et le gagner, c’est le RDV que tout le monde a coché depuis des semaines. C’est l’effervescence dans toute la ville et les supporters qui attendent également beaucoup de ce match, ça faisait des années que le club ne s’était pas qualifié pour une finale de coupe du roi, on en est tous conscients et on va tout donner .”

Le trophée tant disputé

L’Athletic Club Bilbao, club historique du championnat espagnol qui n’a jamais connu la relégation, fondé en 1898 joue à fond la carte identitaire : par son nom, sa politique de recrutement et le maintien de préceptes anciens sur ces sujets. De l’autre côté, la Real Sociedad, fondée en 1909, est marquée du sceau de la famille royale espagnole elle-même. C’est en effet le roi Alfonso XIII qui donna au lieu de villégiature traditionnel de la monarchie espagnole ses titres de noblesses. Un certain nombre de club ont par ailleurs hérité du titre honorifique de « Real » cette année-là, à l’instar de l’Espanyol Barcelone. Première différence entre les deux géants, différence cruciale aux yeux de certains en particulier dans le contexte post-franquisme, avec le retour en grâce de la monarchie.

La période franquiste, de part l’exaltation au forceps de l’ « espagnolisme » au détriment des cultures minoritaires régionales qui composent la péninsule ibérique (Catalogne, Basque, Galice…), a produit une réaction non escomptée, démultipliant le sentiment d’appartenance régionale ardemment réprimé. La région restera fortement marquée par cette période et les exactions commises par la dictature durant la Guerre Civile dans un premier temps, puis sous le règne du Caudillo, à l’image de la très célèbre peinture de Pablo Picasso Guernica. Lorsque la dictature prend fin en 1975 avec la mort de Franco, la région basque commence à réclamer avec force son indépendance, et voit d’un mauvais œil le retour d’une figure royale, accusée d’être l’héritage politique caché du défunt dictateur. Durant ces années, tout comme pour la Catalogne, le football était en effet le principal refuge légal des revendications régionales.

Une sélection régionale officielle mais non-reconnue par les instances footballistiques s’est par ailleurs mise en place sous le nom d’Euskal Selekzioa, pour que les plus grands talents régionaux (de la partie espagnole et française) puissent évoluer sous le même maillot.

Euskal Selekzioa dans l’antre de l’Athletic

Footballistiquement, les premières tensions apparaissent entre l’Athletic et la Real dès 1911 à propos (déjà) de joueurs non basques. La Fédération Royale Espagnole de Football avait établi un critère de nationalité pour la Copa del Rey et un imbroglio s’en était suivi entre les deux formations, marquant le début de la politique de recrutement nationaliste basque.

Deux politiques sportives identitaires

Règle tacite et non-écrite, établie seulement à partir de l’année 1912, forgeant ainsi la légende du football basque : les effectifs ne doivent comporter que des joueurs nés au Pays Basque (critère englobant également les joueurs nés en Navarre), les tenants d’une telle réglementation pouvaient différer d’un club à l’autre. En particulier concernant leur bassin de recrutement.

Bilbao, située au cœur de la province de Biscaye, s’évertuait à faire briller sa localité, tout en élargissant sa supervision au reste de la région d’un côté comme de l’autre de la frontière franco-espagnole. La Real en revanche avait une tendance plus forte à recruter dans sa province d’origine : Gipuzkoa. Malgré cet « handicap » face aux autres écuries qui commencent à recruter des joueurs étrangers, les formations basques tiennent le cap et parviennent à réaliser des performances honorables (Bilbao a réussi à remporter le championnat deux ans de ensuite en 1983 et 1984 ainsi que la Copa del Rey également en 1984 , succédant ainsi à son voisin de Saint-Sébastien qui avait connu le même succès en championnat en 1981 et 1982 tout en se hissant jusqu’aux demi-finales de C1 en 1983).

Les sirènes de la modernité

Pendant plusieurs décennies, les deux mastodontes basques se sont restreints à ne recruter que des joueurs du crû. Néanmoins, face à la hausse de la mondialisation et du foot business, les phares de la modernité se sont fait entendre jusque dans les contrées d’Euskal Herria.

Le clap de fin des Eighties induit un tournant majeur pour la politique sportive identitaire de la Real. En effet à partir de 1989, le club de Donostia met fin à sa politique de recrutement régionaliste en finalisant le transfert de l’Irlandais John Alridge.

La Real met alors fin à 77 ans de monopole de recrutement cent pour cent basque et s’évertue à chercher ailleurs de nouveaux talents. Robin Le Normand nous fait part de sa propre expérience : « Le club est venu me superviser pendant une saison lorsque j’évoluais avec la réserve de Brest. Puis lorsque Brest m’a annoncé qu’ils ne me gardaient pas, (Eric) Oethals m’a dit qu’il croyait en moi et m’a proposé un essai d’une semaine avec la réserve de la Real Sociedad. La période d’essai a été concluante et ils m’ont proposé un contrat de deux ans avec la réserve du club, puis j’ai fini par intégrer l’équipe première ».

Alridge sous la tunique des bleus et blancs

Si l’Athletic ne renonce pas de manière aussi tranchée à ce qui fait son essence, les Leones sont tout de même obligés de réviser leur politique de recrutement pour rester compétitif. Le club d’El Botxo opère donc quelques changements dans sa politique de recrutement : le seul critère de naissance est rendu caduque, désormais les joueurs pouvant revendiquer une ascendance basque « pure » (père ou mère originaire de la région et plus particulièrement de la province de Biscaye) peuvent désormais être recrutés par le club.

La politique de formation des Leones se modernise également pas à pas, puisqu’il est également acté que les joueurs formés dans la région basque sont susceptibles d’être à leur tour recrutés.

La formation, enjeu majeur du renouveau basque

La nouvelle politique de l’Athletic ne fait pas que des heureux et provoque même de l’inquiétude chez ses concurrents régionaux. En effet, le possible recrutement de joueurs formés dans la région rend officielle la possibilité d’opérer des transferts intra-clubs. Transferts qui rendent palpables les tensions entre les principaux clubs du Pays Basque et de Navarre, comme en 2018 lorsque Iñigo Martinez a quitté la Real pour son rival.

Martinez lors de son arrivée en Biscaye

Le critère régional est lui aussi flexibilisé puisque l’ACB a pu s’entendre avec des équipes de la Communauté Autonome voisine (La Rioja) qui ne fait pas partie historiquement de « la grande région basque », contrairement à la Navarre, pour effectuer des transferts. Ce fut le cas en 2018 notamment lorsque, pour renforcer la Cantera bilbaina, le club a recruté un jeune défenseur colombien Deiby Ochoa qui a grandi et joué uniquement pour des clubs de La Rioja.

Illustration de cette modernisation, la Cantera de l’ACB et le centre de formation bilbaino deviennent la pierre angulaire du projet sportif du club. Partenariats, création d’écoles de football et renforcement des liens avec les clubs régionaux sont les maîtres mots du renouveau de sa politique sportive. L’exemple le plus probant demeure le défenseur français Aymeric Laporte, né à Agen mais formé à l’Aviron Club Bayonnais, intégré à la Cantera des rouges et blanc puis à l’équipe première avant de filer en Angleterre chez les Citizens.

Concernant la Real Sociedad, après avoir abandonné le critère de recrutement basque en 1989 ; l’institution Txuri-urdinak décide en 2002 de mettre fin à une autre règle : celle de la restriction d’importation nationale. Cette règle disposait que les joueurs de nationalité espagnole mais non basques ne pouvaient pas être recrutés par le club. Le transfert de Sergio Boris depuis le Real Oviedo (Asturies) abolit ainsi l’ultime règle restrictive en termes de nationalité pour les pensionnaires d’Anoeta. Désormais, tout joueur de toute nationalité peut intégrer l’équipe des bleus et blancs. Ce renouveau est illustré à merveille avec l’arrivée du Mâconnais Antoine Griezmann au centre de formation de la Real en 2005, ou plus récemment de Robin Le Normand, breton d’origine, aujourd’hui numéro 24 de l’équipe première de la Real.

Robin Le Normand lors de sa prolongation avec les Txuri – Urdinak

Néanmoins, cette subite intégration de joueurs « étrangers », non familiers avec la région peuvent entraîner quelques difficultés d’adaptation pour les joueurs néophytes : « Mon adaptation fut assez difficile au début surtout par rapport à la langue parce que je ne parlais pas du tout l’espagnol mais mes coéquipiers m’ont beaucoup aidé et ont été exigeants avec moi pour que je fasse le moins d’erreurs possibles ce qui m’a permis de progresser rapidement » : Robin Le Normand sur son expérience personnelle pour souligner les difficultés d’intégration pour les joueurs non basques.


Le football basque semble encore aujourd’hui un bastion du football d’antan : celui où l’on supportait l’équipe du coin, ce coin si particulier qui nous a vu naître. Malgré leurs choix opposés, on ne peut enlever à ces deux équipes leur faculté à s’adapter aux affres du football moderne sans pour autant réfuter pleinement ses valeurs intrinsèques, tout en réussissant à performer dans le football d’aujourd’hui.

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