Pour aller plus loin...#BoycottQatar2022
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Footballitik

“L’appel au boycott est peu coûteux, la réalité beaucoup plus difficile”

Caviar est parti à la rencontre de Carole Gomez, directrice de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques, directrice de recherche en géopolitique du sport, et spécialiste des ressorts du boycott sportif, afin de nous éclairer sur les conséquences d’un boycott de la Coupe du monde 2022.


Dans une étude publiée le 23 février, The Guardian fait état de 6500 travailleurs immigrés morts sur les chantiers de la Coupe du monde. Le Qatar semble pourtant minimiser ces chiffres, quel bilan peut-on en tirer du point de vue du non-respect des droits de l’homme ?

Il y a plusieurs choses à avoir en tête. La première, c’est que ce n’était pas quelque chose d’inconnu : on savait que le droit du travail était inexistant ou au mieux pas véritablement respecté, notamment au moment de l’attribution de la Coupe du monde en 2010. Puis il y a eu une attention permanente portée par différentes organisations internationales comme le Bureau International du travail, ou des organisations non-gouvernementales comme Amnesty International, qui ont noté une certaine amélioration.

Les cinq nationalités en question (source : The Guardian)

Par contre, concernant le nombre de décès sur les chantiers de la Coupe du monde, il y a deux éléments qui me semblent importants à souligner. L’article du Guardian est assez intéressant à deux égards : le premier, c’est qu’un certain nombre de personnes estime qu’il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg et que, si ma mémoire est bonne, ils ne prennent en compte que cinq nationalités dans les différentes comptabilités. Mais on peut imaginer que ce chiffre est bien plus important. En revanche, ce chiffre de 6500 est bien sûr dramatique, mais quand on reprend la méthodologie du Guardian, on n’arrive pas vraiment à savoir la raison de ces décès. On nous explique qu’il n’y en a que 37 qui sont morts sur les chantiers et que les autres décès ont eu lieu au Qatar, dans le cadre de leur contrat de travail.

Si je résume ma pensée, l’article du Guardian a fait « l ‘effet d’une bombe » puisque pour la première fois un chiffre était annoncé, ce qui rendait un peu tangible cette situation. En revanche, il va être nécessaire et intéressant de suivre, d’une part, les autres enquêtes du Guardian et de tout autre journal sur le sujet pour avoir plus d’informations sur ce chiffre-là. Voir également comment les autres acteurs vont pouvoir réagir, évidemment le Comité d’organisation de la Coupe du monde au Qatar et la FIFA, qui ne se sont pas encore prononcés ou qui du moins n’ont pas encore communiqués de manière étendue sur ce sujet. 

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Suite à ces révélations, des voix se sont notamment élevées en Norvège pour demander un boycott de cette Coupe du monde. Quelles seraient les conséquences d’une telle action pour l’image du Qatar, qui s’efforce depuis des années, justement grâce à sa politique sportive, de se doter d’une image positive ?

Pour le coup, on est encore loin d’un boycott norvégien, c’est plus certains clubs qui ont appelé à une mobilisation et qui ont fait appel à la fédération norvégienne pour envisager l’éventualité d’un boycott. Mais la Fédération norvégienne ne s’est pas encore prononcée sur le sujet, même si ça ne va sans doute pas tarder. Pour être parfaitement honnête, ce n’est pas quelque chose qui me surprend pour plusieurs raisons. D’une part parce qu’on sait que si l’appel au boycott est quelque chose de très simple et de peu coûteux, la réalité d’un boycott est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre et différents exemples le montre (JO de Pékin en 2008, JO d’hiver de Sotchi en 2014), ça n’a pas empêché grand-monde d’être à la cérémonie d’ouverture et de participer aux Jeux. De façon plus récente dans le foot, en 2018 suite à l’affaire Skripal, le Royaume-Uni avait brandi la menace d’un boycott et s’était très vite fait rattraper par la patrouille de la FIFA, qui avait déclaré qu’il était impossible pour l’Angleterre de prendre position sur un sujet politique, tout en brandissant la menace d’une exclusion de l’équipe nationale de ses compétitions pour une durée de quatre ans (Serguei Skripal était un ancien agent-double du renseignement militaire russe et espion britannique, qui a été empoisonné à Salisbury par deux ressortissants russes, ndlr).

En revanche, il y a deux choses. La première quand vous parlez de sanctions, de boycott de compétitions internationales, il faut se demander quel est l’objectif. : l’annulation de l’évènement, ce qui est à mon sens impensable pour ce cas, ou alors est-ce une façon de faire pression pour provoquer un changement qui arrivera parce qu’il y aura trop de pression mise sur les organisateurs, et donc de provoquer une amélioration des conditions ? Ce qui me semble primordial, c’est le fait d’attirer l’attention, qui me semble être quelque chose de faisable ou du moins entendable. Ensuite, ce que vous soulignez, c’est que ce sont les Fédérations qui se mobilisent, ce qui à mon sens me semble très compliqué, puisqu’il faut créer un rapport de force qui aujourd’hui ne me semble pas en mesure de s’opposer à la FIFA. Le second point, c’est l’existence d’autres acteurs, les joueurs peuvent aussi être des « game changers ». Si pendant très longtemps on a pu dire qu’on ne les entendait pas sur des questions politiques, j’ai l’impression depuis quelques années que c’est un peu en train de changer, même si ce n’est pas aussi simple que cela puisqu’on demande à des joueurs de prendre des positions politiques et de faire autre chose que leur métier. On leur demande de dépasser leur statut pour des sujets, pour le coup, qu’ils ne maîtrisent pas forcément ou qu’ils voudraient maîtriser, mais pour l’instant ils n’ont pas l’envie, le temps ou les connaissances pour le faire. Là encore, il va être intéressant de voir ce qui va se passer dans les prochaines années, mois, semaines pour voir comment tout cela va se terminer.

Mais en réalité, l’attention publique est portée sur le Qatar depuis décembre 2010 et le moment de l’attribution, où il y a eu un coup de tonnerre sur la planète foot mais plus largement dans toutes les diplomaties sportives. La diplomatie sportive, ce n’est rien d’autre que de mettre votre pays pendant x années, x mois, x semaines sur le devant de la scène et sur lequel une lumière crue va être braquée. Donc toutes les choses positives et d’autres plus négatives vont ressortir. A ce titre, cela peut rendre moins profitable cette expérience et cet affichage, c’est pour ça qu’il va falloir suivre les communiqués officiels des organisations gouvernementales et des instances footballistiques.

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Tout comme la réaction des supporters sensibilisés à ces questions, s’ils vont « boycotter » ce mondial ou pas , si la compétition sera autant suivie que les précédentes éditions…

C’est intéressant, pour être parfaitement franche avec vous, c’est une question qui m’a déjà été posée à deux reprises et pour laquelle je suis embêtée. Au vu du passé, je ne suis pas sûre que les supporters se mobilisent. A mon sens, et si l’on reprend les exemples précédents, ça n’a pas empêché les gens ni de regarder ni de se rendre sur place (Pékin, Sotchi, Rio). Je n’ai pas eu l’impression qu’il y ait eu une volonté forte des spectateurs et des téléspectateurs de sanctionner cela. Je ne saurais pas répondre de manière certaine à cette question, c’est donc quelque chose qui sera intéressant à suivre, même si je doute qu’il puisse y avoir un réel changement sur ce sujet.

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Quelles seraient les conséquences d’un  boycott au niveau des relations internationales ?

C’est le propre des relations internationales d’essayer de continuer à maintenir des relations entre les pays. A l’échelle française, on a pour l’instant une très bonne relation avec le Qatar au regard de différents accords culturel, politique, économique, diplomatique, sportif et même scientifique qui ont été passé de manière bilatérale entre Doha et Paris. Il s’agira de voir comment les choses vont évoluer. Là encore à mon sens, j’ai beaucoup de mal à envisager un appel au boycott aussi important et fort que cela a pu se produire lors des précédents cas de figure.

En revanche, ce qui me semble intéressant et dont on n’a pas encore forcément parlé pour le moment, c’est comment les autres acteurs de la zone autour du Qatar vont réagir. On sait qu’il y a une concurrence, voire même une défiance entre le Qatar et un certain nombre de ses voisins. On peut évidemment penser à l’Arabie Saoudite ou aux Émirats-Arabes-Unis. Il va donc falloir suivre avec une grande attention, à la fois les déclarations de ces pays là, mais également comment ces pays vont intervenir sur ce sujet. S’il va y avoir une tentative d’apaisement ou au contraire une volonté de continuer d’exercer une pression considérable. Il va donc être intéressant de voir quel sera le « rôle de l’ombre » porté par certains pays.

Mais là encore, et c’est peut être mon côté pragmatique, je trouve qu’on va peut-être un peu vite en besogne en insinuant qu’il va y avoir obligatoirement un appel au boycott de cette Coupe du monde, alors que pour l’instant on en est encore très loin. Après, les choses peuvent évoluer très rapidement dans un sens comme dans l’autre.

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Noël Le Graët, président de la FFF, a déclaré que la France participerait coûte que coûte à la compétition. Qu’est-ce que cela traduit des intérêts français au Qatar et plus globalement dans la région du Golfe?

Trois éléments me semblent importants à aborder. Premièrement, c’est le pragmatisme de la France. On n’a pas souvent participé à des campagnes de boycott sportif au cours de notre histoire, on se rappelle qu’il y a eu une très longue discussion pour les JO de Pékin en 2008, idem pour 2014 puis ça avait été balayé d’un revers de main, pareil pour 2018 en Russie. Je pense donc qu’il y a aussi cette culture française qui n’est pas forcément portée sur le sujet. Deuxièmement, il faudrait voir la position traditionnelle de la Fédé sur ces différents sujets. Est-ce que c’est dans l’histoire de la Fédé de systématiquement refuser le boycott ? Il y a eu un certain nombre de précédents, comme l’Argentine en 1978, où on savait très bien qu’il y avait des camps de torture à moins d’un kilomètre du stade qui a accueilli la finale. Dernier élément qui me semble important à souligner, c’est que ce n’est pas la première fois que Noël Le Graët rappelle à quel point le sport doit être non politique et que les deux doivent être bien séparés. On est bien d’accord que c’est complètement illusoire, que c’est un mythe qui a été démonté à plusieurs reprises de façon régulière et récurrente car c’est ce qui permet au sport de continuer d’exister, de fédérer et aussi de se mobiliser.

Quant à la question des intérêts de la France, pour le coup, je n’ai pas lu de déclarations de la part de la ministre déléguée au sport (Roxana Maracineanu). Il serait intéressant de suivre ce sujet dans les prochaines semaines ainsi qu’éventuellement celles de Jean Castex, puisque je n’ai pas vu de la part de l’exécutif français une prise de position ferme sur ce sujet. Je sais qu’il y a eu une tribune de la part de parlementaires qui demandent à suivre avec attention ce qui est en train de se dérouler, sans appeler pour autant au boycott. Il faudra donc voir si la position officielle sportive donnée par la Fédé va être suivie par les joueurs et l’exécutif français.

De toute manière, c’est une vraie question de rapport de force. Quand vous êtes tout seul à vouloir appeler au boycott, vous vous retrouvez forcément en minorité et mis de côté, alors que c’est la situation inverse que vous vouliez déclencher. En revanche, si il y a un mouvement plus général de sympathie ou d’adhésion qui se met en œuvre, là ça pourrait être intéressant de le suivre, même si on en est encore un peu loin.


Léna Bernard et Blaise Mouriec

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