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Leur Foot à Eux : El nen del Carrer

Avec certes un retard, les championnats européens touchent à leur fin. Place aux vacances pour les joueurs, enfin, pas tous, puisque la première moitié du mois d’aout sera consacrée à la Ligue des Champions. Mais pour beaucoup, c’est le moment de souffler. Et si vous faîtes partie des très chanceux qui bénéficient de congés en cette année particulière, vous aurez certainement envie de partir, voyager, respirer un nouvel air. Mais où que l’on soit, ne nous mentons pas, il y a toujours un ballon qui traine. Que ce soit quelques passes ou jongles avec les copains à la plage ou en attendant que toute la bande soit prête pour l’apéro, le contact du cuir est une drogue bien singulière. Et s’il y a bien un endroit où le football ne s’arrête jamais, c’est Barcelone. Je vous y emmène donc, et évidemment, on a droit à la visite guidée.


Là-bas, je retrouve Sammy. Il étudie à Toulouse et y habite avec sa mère. Mais son cœur est ici, à Barcelone. Blaugrana de la tête aux pieds, Sammy le dit sans aucune hésitation : « Depuis ma naissance, c’est le Barça, rien d’autre. Je n’ai jamais été attiré ne serait-ce qu’un peu par une autre équipe. Je suis né ici, et j’ai grandi dans une famille de supporters. Les jours de matchs, c’est tout le monde devant la télé. Après, j’ai pratiqué en club très tard, mais j’ai toujours jouer dans la rue, au city…»

Les touristes l’été, le foot toute l’année

En marchant le long d’une allée parallèle à la plage il m’explique comment on vit l’été dans la capitale catalane. En montrant des directions avec ses mains, il me décrit un Barcelone à double visage. Il y a celle pour les touristes et celle pour ceux qui y vivent toute l’année. « Au bord de la plage, tu trouves tous les clubs, c’est vraiment bien mais bon, quand tu restes un mois ici, voire plus, tu fais vite le tour. Les clubs, c’est sympa, mais tu t’en lasses. Après t’as le centre-ville. T’auras des bars sympas et pas mal de choses à voir niveau architecture. Après l’été c’est le trop-plein de touristes, faut connaitre les adresses ». 

La veille, avec des amis, on avait atterri dans une sorte de bar-boucherie. Elle se trouvait dans une rue où il n’y avait rien d’autre excepté des sorties de secours des grands magasins. L’étalage de viande était à hauteur du museau, on vous y servait toute la charcuterie catalane qui existe à ce jour, comme si vous étiez chez votre grand-père et qu’il tenait absolument à faire goûter son jambon. Le gros morceau s’étalait devant vous, appuyé sur l’épaule du Catalan moustachu, il en découpait un morceau, vous le tendait directement. On y buvait des vins exquis. D’ailleurs, ils vendaient les bouteilles, mais tu étais obligé de manger un peu, gratuitement, pour pas finir relégable. A chaque fois qu’il vendait une bouteille, il baragouinait « Y por Xavi » ou Iniesta, ça dépendait des fois, comme s’il bénissait la bouteille des pouvoirs d’un saint chrétien. Et dans cette caverne où se mélangeait jambon et pinard, l’œil aguerri trouvait, ici et là, discrètement placés, un maillot ou une écharpe aux couleurs du FC Barcelona. 

Sammy me tirait de mes souvenirs : « Là, j’t’emmène dans la vraie Barcelone, tu vas un peu découvrir l’atelier du foot ». Je profitais de la marche pour le questionner. « Oui, pour moi y a évidemment deux footballs complètement différents. Le foot à onze et celui de la rue ou le en salle, c’est pas la même chose. Dans la rue, on accorde davantage d’importance au dribble, à l’intuition. C’est le foot formateur, que ce soit sportivement mais surtout en dehors du terrain. Le foot de rue, c’est le meilleur moyen de se forger un caractère, d’apprendre à avoir confiance en soi. Et puis pour moi, les meilleurs joueurs viennent du bitume. Ronaldinho, Neymar, Iniesta viennent du foot en salle. Ils ont appris ensuite à se plier à des consignes de coachs, à un collectif ; c’est pour ça que ce sont les meilleurs. Le foot de rue, c’est la liberté ».

Temple sacré et cannettes de soda

On arrivait audit terrain. Un rectangle de bitume, entouré de trois cotés par des murs décorés par les jeunes du quartier, venus colorer leur temple comme des vitraux dans une église. Le dernier coté est fermé par un immense grillage. Le terrain est vide. Des gens attendent devant. Sammy les questionne en catalan, je comprends plus ou moins : « On attends les autres pour jouer ». Les types attendaient devant la porte grillagée que les d’autres arrivent et qu’on puisse faire une 5v5. On avait l’impression d’être devant un lieu réellement saint. On n’entre que si l’on est prêt à jouer, sinon, on attend en dehors. 

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« Viens, on va chercher une cannette. Du coup ouais, on attend les autres, ils vont pas tarder. On est arrivé un peu tôt. Sinon j’te disais, Neymar. C’est pas que je l’admire ou quoi, mais j’aime beaucoup son jeu. Comme pour Ronni, il fait partie de ceux qui sont encore les représentants d’un foot qui se perd, celui qui se joue avec le caractère. Quand tu les vois jouer, tu connais tout de suite sa personnalité. Le sourire de Ronaldinho se voit dans son jeu. L’extravagance et le côté provocateur, un peu moqueur presque de Neymar se retrouve dans ses jambes. C’est des mecs qui ont réussi à implanter un trait de personnalité dans leur football et les adversaires doivent jouer contre des caractères. Mais c’est pas les seuls, t’as Hazard aussi et même Ben Arfa. C’est eux qui font vibrer les stades et rajoutent sans cesse des couleurs à la palette du football. Par moment, ce que Ronaldinho a pu faire, c’est de l’art. Malheureusement, ça se voit de moins en moins, on tombe dans le trop tactique. Défendre à onze, attendre la contre-attaque qui fera mouche ».

On revenait au terrain, coca cherry et tropico à la main. Des types arrivaient en même temps. On peut enfin entrer sur le terrain. Ça chausse les baskets pour ceux qui veulent, certains préfèrent jouer pieds nus. Trois équipes de cinq, cinq minutes, le vainqueur reste. « On va voir qui maitrise et qui s’emmêlent les pinceaux ». Surprenant mais vrai, Sammy n’est pas un grand dribbleur. Il élimine quand il n’a pas le choix. « Seul le dribble inconscient, le dribble réflexe fonctionne ». Sinon et ça se voit : Sammy a grandi sous Guardiola, une touche de balle seulement, toujours se rendre disponible. « S’il y a un joueur que j’aime vraiment, c’est d’ailleurs pour beaucoup de gens ici le meilleur joueur espagnol de l’histoire, Xavi Hernandez. Pour moi, c’est lui le maitre à jouer. Pas mal dans l’ombre, mais si le Barça doit sa réussite et un Tiki Taka qui fonctionnait à merveille, c’est grâce à lui. On lui doit la réussite de la Roja aussi. »

Le temple. Crédit photo : Paul Laurens

Les matchs sont courts mais s’enchainent à haute intensité. Je vous dois la vérité, je cracherai plus tard mes poumons. Avant que la nuit tombe, on décida de quitter le rectangle gris. « C’était du football ça. Bronzer c’est bien, mettre des petits ponts c’est mieux ». Je lui demandais s’il avait des souvenirs particuliers, qui le font se sentir Barcelonais davantage qu’il ne l’est déjà. Rapidement il répond « Le 6-1 ». J’éclate de rire et il poursuit : « On a beau dire ce qu’on veut, qu’il y ait du favoritisme, de la triche ou je sais pas quoi, quand tu gagnes le match aller 4-0 et que tu prends 6-1 derrière, t’as rien à dire. Après je pense au but de Iniesta en 2010 et donne une étoile au pays. C’était un but libérateur, et qu’est-ce qu’il était beau ! Sinon, de manière générale, quand t’es Barcelonais, des souvenirs, tu en as presque trop. Chaque classico reste en mémoire. Ca me fait pensait, il y a deux ans, on approchait de la fin du match, 2-2 et Messi marque, offre la victoire à l’équiper, enlève son maillot et montre son nom à tous les supporter madrilènes. C’est provocateur, mais c’est pas méchant. Et puis ça marque. C’est ça le foot. D’ailleurs j’aimerais bien assister à une finale de Ligue des Champions, Barça-Réal ; histoire de mettre fin aux débats ». 


On se quittait devant mon hôtel. Sammy est un Barcelonais pure souche. Même quand il part en voyage, il choisit Rio de Janeiro comme destination et n’hésite pas à taper l’incruste dans les city stades locaux. Il avoue moins jouer qu’avant durant l’année, une fois par semaine normalement mais il lui arrive encore de ne rater aucun match de son équipe de toute la saison, match de préparation, de Ligue des Champions ou de coupe contre une équipe de D3, il regarde tout. C’est peut-être ça le supporter. Il regarde, suit, encourage son équipe, même à 330 km. Il ne prête pas attention aux « à coté », le business et le reste. Ça ne l’intéresse pas. Il veut simplement découvrir de nouveaux artistes qui continueront à colorer le football.

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