La cage et le cuirLa Signature

“A la recherche du temps perdu”

ON A VU : Looking for Eric, de Ken Loach, 2009, Royaume-Uni, France, Belgique, Espagne, Italie, 116 min, Sixteen Films, Why Not Productions, Wild Bunch, France 2 Cinéma.

Comme l’indique subtilement le titre, Looking for Eric (“La recherche d’Éric”), retrace la double quête d’un quarantenaire anglais résidant dans la ville de Manchester. Éric Bishop représente la figure type du common guy, cet individu ordinaire qu’affectionne tant dépeindre Ken Loach dans ses films. Ni bon ni mauvais, ce facteur n’a rien d’exceptionnel. Dans le nord de l’Angleterre il mène une vie monotone et même plutôt franchement peu enviable dans un taudis en compagnie de ses deux beaux-fils, Ryan et Jess, la vingtaine, qui lui en font voir de toutes les couleurs. Éric est par ailleurs célibataire et seul, désespérément isolé depuis que son ex-femme Lily a décidé de le quitter du fait même de son flegme débordant. Incapable d’imposer une quelconque autorité vis-à-vis des deux jeunes qui partagent son toit, abandonné par son amour de jeunesse et croulant sous le courrier à distribuer, Bishop déprime. Un soir de solitude comme un autre, pris par la détresse, Éric s’adresse à Éric. Dépité par sa situation cauchemardesque, l’homme se prend à rêver et se lance dans une conversation avec son idole de toujours, Cantona, partout présent par posters sur les murs de sa chambre. C’est alors, qu’en véritable évêque, Bishop parvient à faire jaillir l’Esprit Saint ; la figure jusqu’alors figée du « King » s’incarne concrètement. Le Christ est vivant ! Éric Cantona en personne fait son apparition sur le pas de la porte. Le ton grave, le regard assuré, le si fameux Éric se transforme dès lors, sans transition, en coach de vie de son ordinaire homonyme. Canto troque alors son fameux maillot rouge frappé du numéro 7 contre la toge du philosophe pour enchaîner les belles maximes d’encouragement à son plus grand fan. « Affronte le danger, si tu veux surpasser le danger ». D’un revers de main, Éric Cantona dépoussière la vieille caisse à souvenir d’Éric Bishop afin qu’il se lance à la recherche du temps perdu. On suit ainsi tout au long du film la lente reprise en main de sa vie par le personnage principal sous l’effet d’apparitions ponctuelles du « King ».

“Je ne suis pas un homme, je suis Cantona”

Le football n’occupe finalement qu’une place minime dans cette œuvre mais apparaît tout de même constamment en filigrane. En effet, si la vie de ce postier s’avère bien morne, Ken Loach parvient à montrer avec brio le rôle de ce sport en tant que formidable vecteur de rassemblement et de cohésion. Si la vie de Bishop de tient qu’à un fil, celui-ci est grandement constitué par le ballon rond : « C’est tellement bon que ça nous fait oublier le merdier de notre vie pendant des heures » résume le postier. Crier, rire, chanter et surtout partager représentent l’ensemble des possibilités offertes par le match de football selon le réalisateur. Une vision sociale de ce sport que partagent donc aussi bien Ken Loach et Paul Laverty que Bishop et Cantona : « Mon plus beau moment dans ma carrière ? Ce n’est pas un but mais une passe décisive », un caviar, en somme. Le clin d’œil aux premiers mots du film (« Tout commença par une superbe passe d’Éric Cantona ») est d’ailleurs ici subtilement réalisé. Le football est en fait ce qui permet au personnage principal de rester relié socialement et surtout, par l’intermédiaire des interventions nocturnes du « King », de continuer à avancer dans sa vie, renouer avec son ex-femme et gérer la délicate situation familiale déclenchée par les fréquentations de Ryan.

Ce film dépeint particulièrement bien la figure du supporter et ses antagonismes ; un homme qui peine à reconnaître sa sensibilité et ses émotions, doutant même de leur existence, face à l’explosion de joie et les sentiments que lui procure l’adrénaline footbalistique. Bishop est faible, il le sait, mais il serait encore plus faible s’il reconnaissait les tourments qui le torture. La meilleure solution ? Laisser sa vie et ses proches aller à vau-l’eau, Lily, ses enfants, et bien évidemment lui-même. C’est tellement plus simple qu’affronter ses problèmes et reconnaître ses erreurs, ce que lui apprendra son alter ego plus tard. Ken Loach nous livre ici un film d’une grande ouverture d’esprit, rehaussé de belles images sur l’amitié, la famille, qui même brisée arrive à entrevoir à travers les fêlures de chacun la lumière pour tous. On pourrait reprocher au film sa fin peut-être trop heureuse, mais il semble nous dire que lorsqu’on est bien et solidement entourés on arrive à surmonter et dépasser l’inenvisageable caractérisé par la solitude. Paul Laverty signe avec ses personnages une belle équipe, avec Cantona en coach, et Bishop en numéro 10, distribuant des caviars à des coéquipiers dont il a enfin appris à faire confiance.

L’AVIS DU CAV’

Plus que le but, c’est la passe elle-même qui compte, car c’est un cadeau pour faire briller l’autre. On peut douter de tout, mais jamais de ses coéquipiers, et ça nous à Caviar on l’a sûrement plus compris qu’ailleurs. On appréciera donc ce bel éloge du football, formidable outil cathartique pour de nombreuses personnes, y compris et même surtout pour celles doivent souvent lutter avec les affres du quotidien. On connaît Ken Loach et son goût pour mettre en scène les « petites gens » mais au vu des quelques chefs d’œuvre récents qu’il a pu réaliser (Sorry We Missed You, Le vent se lève, Moi, Daniel Blake, entre autres), on ne peut que rester sur notre faim après, justement, une fin trop parfaite, inhabituelle du bonhomme et un brin décevante. Cette « comédie dramatique » n’a finalement pas grand-chose ni d’une comédie ni d’un drame et relève en fait plutôt d’un film léger, vraiment pas désagréable mais loin d’être excellent, globalement terne et sans grande saveur. Si les apparitions quasi christiques d’Éric Cantona ont dû plaire au jury œcuménique du festival de Cannes en 2009 qui a adressé son prix au film, elles s’apparentent à une succession de maximes dénuées de vigueur pour ne nous donner à voir qu’un mirage de La Rochefoucauld. Ici, pas non plus de conversations à valeur de dialogue platonicien faisant accoucher d’un quelconque savoir enfoui en soi mais des échanges faisant émerger les souvenirs de jeunesse d’un personnage à qui tout à coup tout réussit. Trop beau pour être vrai.

Par Louis Fabre et Etienne Nayral

Eric et Eric sont dessinés par l’inévitable Pauline Girard.

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