La cage et le cuir

Le Ladies Football Club : Guerre, football et lutte des classes


Jeanne d’Arc aurait-elle été une grande avant-centre ? Qui dans sa vie a réellement souhaité devenir gardien de but ? Les femmes peuvent-elles délibérément jouer au football ? Et en l’absence de leurs maris ? Autant de questions que pose Stefano Massini dans son roman « Le Ladies Football Club », sans pourtant parvenir à y répondre.

Le 6 avril 1917, onze ouvrières jouent au football dans la cour de leur usine en Angleterre. A leurs pieds, non pas un ballon, mais une réelle bombe « Bomb 4 » fabriquée dans leurs entrepôts. Si l’utilisation de cette arme de guerre est un accident, les joueuses la perçoivent comme un signe pour persévérer dans la discipline. Un signe de dieu pour certaines, du destin pour d’autres, ou encore de l’inarrêtable histoire façonnée par la lutte des classes pour quelques-unes. Les onze ouvrières débutent alors une brève aventure dans le monde du football et de ses émotions. Elles rencontrent d’ailleurs leurs premiers obstacles, en tant que femmes, épouses, mères, filles et prolétaires : rien ne les autorise à pratiquer ce sport dit « masculin ». Or, comme les hommes sont à la guerre, le Ladies Football Club tente de faire fis des attendus moraux et sociétaux, et combat ardemment les défis lancés par Hubert Walker, le patron de l’usine. Bardé d’un maillot cousu dans le tissu des linceuls du cimetière local, un ange de la mort sur le torse (ou un aigle, ou un corbeau, choisissez votre favori), ce onze prolétaire affronte les quelques équipes constituées sans les hommes partis au front. Gueules cassées, fils d’ouvriers, moines franciscains … celles qu’on surnomme désormais les « Aigles noires » ne font qu’une bouchée de leurs adversaires. Elles affrontent même une équipe féminine allemande d’une usine locale, dans une finale avant l’heure de l’Euro 2022. Mais la fête s’achève lorsque les hommes reviennent du front … Le football féminin ne serait-il qu’une parenthèse ?

Sur un fond de lutte des classes, de proto-féminisme, de citations de Marx et Engels, et de magazines de presse féminine, Stefano Massini réussit la prouesse de nous faire toucher du doigt l’expérience de ces ouvrières-footballeuses. A travers un ton léger et plein d’humour, l’auteur décrit les profils et personnalités uniques de toutes ces femmes, toutes plus originales les unes que les autres. Ces ouvrières qui, selon la presse locale ne jouent pas au football mais « courent derrière un ballon », sont les pionnières de la discipline au féminin. Les lectrices qui sont également joueuses pourront facilement reconnaître le sentiment d’imposteur qui emplit les Aigles Noires au moment d’entrer sur le terrain face à l’adversité des hommes. Que ce soit le manque de moyens, l’opposition de la famille ou de l’époux, du clergé local ou de l’employeur, le mépris des joueurs masculins, 100 ans plus tard, quelques-unes des problématiques abordées par Stefano Massini semblent tristement toujours d’actualité.

Un court roman à mettre d’urgence entre toutes les mains, notamment en cette période d’Euro 2022. Le livre est disponible en version française au prix de 7,10 euros, aux éditions 10/18. Pour soutenir les commerçants locaux, n’hésitez pas à le commander en librairie indépendante.

Lisa Damiano

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