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Giovanni Privitera : « Marseille est la ville et l’équipe la plus latine de France »

Le nouveau livre de Giovanni Privitera, 26 mai 1993, paraît en librairie le 19 mai. Une fiction dont le fil conducteur est la finale de Coupe des Clubs Champions entre l’Olympique de Marseille et le Milan AC, vécue au cœur d’une famille marseillaise, plus précisément dans le salon autour de la sacro-sainte télévision. 161 pages de tension qui, au fil de la lecture, mènent à l’insoutenable coup de sifflet final et sacrent Marseille, capitale du football français.


La conférence de presse a eu lieu au club de la presse à Marseille, le 12 mai dernier. L’auteur, l’éditeur et quelques journalistes étaient présents sur place. Aux alentours de 11h, il a été fait une brève présentation de l’œuvre de la manière suivante : “Le fil rouge de l’histoire est la finale de 93 vécue par une famille marseillaise. Le narrateur est un enfant de 12 ans qui est entouré par sa famille, des amis et la télévision Panasonic bien sûr”.

La construction du livre se fait en trois parties :  l’avant match, le déroulé du match puis l’après match. La deuxième partie permet une contextualisation sociologique plus poussée du football et ce qu’il implique. Pour l’auteur : “Le Football a quelque chose à voir avec le rêve et l’imaginaire”. Marseille a un rapport méditerranéen au football, au même titre que Naples ou Palerme et possède un intérêt sociologique tout à fait unique.

Le Football en tant qu’objet populaire de culture générale contient un attrait symbolique particulier dans tout ce qui l’entoure. Pour l’écrivain, grossir le trait de la superstition tout au long du livre permet de faire transparaître “l’irrationnel et le rêve qui se transforme soit en désillusion, soit en réalité”. 

“Ce n’est pas la victoire qui est essentielle, c’est le soulagement de ne pas perdre” car rien n’est plus éphémère que la sensation de victoire, même si elle vous inscrit dans l’histoire pour l’éternité.

Léna Bernard

Nos questions à Giovanni Privitera

Pourquoi mettre des mots sur ce succès ?

C’est un peu particulier. Le choix du match est venu après l’idée de la trame. J’ai publié sur le foot récemment et je me suis rendu compte, au-delà de mon côté passionné, qu’il y avait du répondant. J’ai un doctorat, je suis universitaire et je me suis séparé du foot dans mes études. Mais le fait d’écrire dessus, avec un éditeur, ça m’a complètement libéré ! L’idée de fiction est venue alors que je me référais surtout aux matchs que j’avais vécu avec mon père, de la sélection nationale italienne. Mais étant publié en France, écrivant en français, le choix était assez simple. Il y avait le Saint-Etienne des années 70, mais ça n’est pas ma génération. Et puis je ne connais pas bien Saint-Etienne, alors que je vis depuis des années dans la région. J’aime Marseille, la façon de parler des gens… Le choix du match, c’est générationnel. Marseille est la ville et l’équipe la plus latine de France. C’est ce qui me rapproche du football : l’Italie, l’Argentine… C’était une évidence de choisir ce match.

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Et pourquoi ne pas attendre un an de plus, et profiter du trentenaire ?

Pour tout te dire, je l’ai écrit et proposé à l’OM et Thierry Agnello. Mais ils voulaient le publier en 2023, pour les 30 ans. Et ça ne s’est pas fait parce que j’avais déjà acté la publication à côté. J’ai un caractère pressé, je ne voulais pas attendre ! Mais la journée de lancement sera quand même le 26 mai (rires) !

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C’est le plus grand succès footballistique du championnat français selon vous ?

C’est un succès marseillais avant d’être français et ça me plaît beaucoup. Je suis Sicilien donc le côté local, au sens de sentiment d’appartenance me plaisait bien. J’accorde beaucoup d’importance à la territorialité du supportariat. En Italie, j’aime les clubs du sud, et ici, ce côté « Marseillais avant d’être Français » me fait marrer. Et footballistiquement, en termes de rayonnement, même si ce n’est pas la première victoire sur la scène européenne parce qu’il y a l’Euro 1984 (mais l’Euro ne se jouait qu’à huit équipes, ça valait ce que ça valait jusqu’aux années 90…), je crois que c’est le premier succès national, oui. Il y avait une vraie mobilisation nationale. Le journal télévisé était dédié à l’OM ! Est-ce que ça se ferait aujourd’hui en finale pour le PSG ?

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On ressent aussi le regard du sociologue dans votre livre…

Oui, bien sûr. D’ailleurs, j’analyse mes personnes « en off ». C’est une fiction, donc j’essaie de faire transparaître mon analyse à travers les dialogues, l’apparence des personnages… Le football et la passion du foot ont un rapport à l’enfance. Il y a une dimension philosophique sur le côté éphémère du jeu… Je suis né en 1984, mon père et mes frères me parlaient de 82 donc mon rêve de gamin c’était de gagner la Coupe du Monde ! Et je l’ai eue en 2006, mais j’étais adulte, et puis la victoire c’est surtout ne pas avoir la sensation de la défaite. Gagner, c’est une non-déception, c’est un soulagement.

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Vous haïssez plus la défaite que vous n’aimez la victoire ?

Oui, largement ! Je le lie à une incapacité à tuer l’adversaire, donc peut-être que j’ai une espèce de pudeur vis-à-vis de la victoire. Mais c’est lié à la passion : les défaites de l’Italie, j’en étais malade ! J’avais du mal à me lever le matin, à m’endormir… L’Italie ne va pas être à la Coupe du Monde, mon Dieu !

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Vous ne vous sentez pas Sicilien avant d’être Italien ?

Le fait de vivre à l’étranger a renforcé mon amour pour l’Italie je crois. Et puis l’équipe nationale italienne dépasse largement le côté patriotique, nationaliste… Étant donné que l’Italie est un pays avec une diaspora immense depuis plus de 100 ans, l’équipe nationale est devenue un marqueur, une représentation des communautés italiennes dans le monde.

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Vous parlez souvent d’identité méditerranéenne, vous voyez un parallèle entre Palerme ou Catane et Marseille ?

Je me sens plus Méditerranéen qu’Européen, donc oui la vision qu’on retrouve dans ce bouquin, c’est ma vision de Marseille. En termes de ferveur, il y a des liens à faire avec Palerme, avec Naples… avec des nuances bien entendu. L’Italie a une histoire plus ancienne avec le football, notamment pour ce qui est du supportérisme. Le mouvement ultra vient d’Italie et il a une forte influence sur le supportariat marseillais.

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Vous laissez également transparaître une certaine orientation politique dans ce livre. Ça n’est un secret pour personne, vos travaux sont marqués à gauche, et vous évoquez le cas de Milan, l’adversaire de l’OM dans cette finale, club de gauche, repris par l’ultra-libéral Berlusconi, l’âme de la droite italienne. C’est un évènement qui vous a marqué personnellement ?

J’étais trop petit quand ça s’est fait. Mais Berlusconi a gardé Milan presque 25 ans, donc j’ai déjà entendu des gens, même très instruits, se réclamer de gauche mais voter Berlusconi parce qu’ils supportaient Milan. Avec la conscience de l’absurdité de leur geste ! En Italie, le football est politisé depuis les années 70, si ce n’est plus. Historiquement, les trois grandes villes du triangle industriel ont chacune deux clubs : un tourné vers l’avenir et l’Europe, plutôt de droite (l’Inter, la Sampdoria et la Juventus) et un club plus localiste, plus traditionnel, plus ouvrier, de gauche, souvent communiste (le Genoa, le Torino et le Milan). Mais aujourd’hui, les tifoseries les plus bruyantes sont d’extrême droite, ce qui ne veut pas dire qu’il ne reste pas des groupes ultras de gauche, notamment appartenant à la mouvance antiraciste. Mais ce ne sont pas ceux qui font le plus parler d’eux.

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A Marseille, le supportariat reste marqué à gauche et conserve une dimension populaire…

Ça a joué dans mon choix ! Je n’aurais pas pu prendre Nice par exemple. Ou alors j’en aurais parlé autrement mais là j’aborde clairement le supportariat, on voit indirectement le monde ultra… La mère, qui est d’origine italienne et lit le Manifesto, un journal communiste italien, est outrée par Berlusconi. Marseille est une ville où le FN a fait de gros scores et la droite a longtemps gouverné, donc il ne faut pas être utopiste et croire que le stade est acquis à la gauche. Mais il y a un esprit très populaire qui est resté et qui est sûrement inspiré des stades italiens.

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C’est peut-être le seul club français avec trois à quatre groupes clairement marqués à gauche, est-ce qu’on peut parler de club avec des valeurs propres ?

Je ne suis pas particulièrement supporter marseillais et ce n’est pas un livre de supporter mais je dirais que ça dépasse le rationnel. Marseille est intrinsèquement une ville populaire, et cela imprègne le supportariat. Pendant les moments de match, il y a une poussée de gauche entraînée par ces groupes. Et, historiquement, ça s’inscrit dans la continuité d’un multiculturalisme également prôné dans le recrutement avec des Comoriens, des Arméniens…

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Par rapport à la financiarisation du foot, quel avenir pour ce football régionalisé dont vous vantez les mérites ?

En faisant un pas de côté, la tendance ne se concentre plus suffisamment sur le rapport au territoire. Mais Marseille est à contre-courant, comme Saint-Etienne dans les années 70. La finale de l’OM est nationale : à la fin du match, Thierry Roland dit « la France a gagné la coupe d’Europe ». Impossible aujourd’hui ! Donc il y a un paradoxe : l’OM a réussi à fédérer par des épopées comme celle-ci, grâce à la diffusion des matchs sur des chaînes gratuites notamment. Petit, si tu m’avais demandé, je t’aurais dit que je rêvais de pouvoir regarder autant de matchs qu’aujourd’hui. Mais c’est une dérive, liée à la financiarisation. On perd la belle rareté. La rareté fait la préciosité et l’unicité. En Argentine, certains matchs de championnats sont diffusés sur des chaînes publiques, gratuitement. Avec la démultiplication des matchs en Europe, c’est quelque chose de presque impensable en France ! Je suis assez radical sur cela, et c’est peut-être paradoxal pour quelqu’un de gauche, mais je préfère éviter cette évolution. Bielsa disait : « Les joueurs passent, les dirigeants passent, les entraîneurs passent, ce qui reste, ce sont les supporters et le logo. » Et le football, c’est peut-être cela au final.

Propos recueillis par Jules Grange Gastinel.

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