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(8) : Parc Gezi, l’ombre des guerres médiques

Le panthéon, le matin après l’incendie – J.M.W. Turner

[Avant-propos] : si le numéro présent devant le titre de cet épisode est le 8, ceci n’est pas le fruit d’une confusion mathématique de ma part mais parce que cette série, Football apolitique, par-delà le mythe, a démarré sur ToutLeMondeSenFoot (les précédents épisodes sont disponibles ici). Elle arrive donc sur Caviar désormais pour longtemps et son objectif est toujours le même que celui défini dans le prologue de la série. Bonne lecture à toutes et à tous !


Depuis quelques semaines, la France connaît une extension du domaine autoritaire. Du projet de loi contre les séparatismes au vote de la loi dite “Sécurité globale” en passant par les multiples actes de violence policière médiatisés sur les réseaux sociaux, l’atmosphère au sein du pays est telle que des manifestations importantes ont réuni plusieurs centaines de milliers de personnes samedi 28 novembre. Pour autant, l’on peine à entrevoir une réelle union des forces de gauche dans la lutte contre ces différentes lois. Peut-être faut-il prendre plus de recul et étudier ce qui a pu se faire à l’étranger, notamment en Turquie durant l’année 2013, pour s’en inspirer.

Cette année-là, Istanbul a effectivement connu une mobilisation de grande ampleur à l’encontre d’un projet mené par le président turc (qui était alors encore premier ministre, la constitution ne connaissant une modification que plus tard) Recep Tayyip Erdoğan. À l’origine du mouvement dit du Parc Gezi ou de la place Taksim se trouvait la volonté du pouvoir turc de bétoniser le parc, un des seuls espaces verts de la ville, et de détruire une ancienne caserne ottomane. Le mouvement qui a rassemblé plusieurs millions de personnes a subi une forte répression. Les ultras stambouliotes ont, à l’occasion de cette mobilisation, grandement participé à l’organisation de la contestation d’une manière qui n’est pas sans rappeler l’union des cités Grecques face à l’empire Perse lors de la deuxième guerre médique.

La surprenante convergence

De la même manière que le rapprochement entre les cités de la Grèce antique durant l’année 481 avant notre ère fut le fruit de quelques acteurs (en l’occurrence Sparte et Athènes), la convergence entre les ultras stambouliotes dut beaucoup à la force motrice des Ultras Çarşı, le principal groupe de supporters du Beşiktaş J.K. Non seulement ce groupe a fait partie des principaux acteurs de la contestation mais il a également permis la création d’Istanbul United, un rassemblement temporaire des ultras issus des trois grands clubs stambouliotes à savoir Fenerbahçe et Galatasaray en plus du Beşiktaş alors même que les relations entre ces ultras sont, en temps normal, plus ou moins conflictuelles.

Cet engagement des ultras stambouliotes dans le mouvement a sans aucun doute permis à celui-ci d’amoindrir les effets de la répression. Comme en Égypte où les ultras cairotes ont joué un grand rôle dans la destitution de Hosni Moubarak (l’épisode 5 de cette série leur est consacré), les membres d’Istanbul United ont apporté non seulement leur soutien moral aux manifestants qui pouvaient par moments être abattus tant la répression était violente mais surtout enseigné auxdits manifestants les techniques de guérilla urbaine permettant de freiner les forces de l’ordre par la mise en place de barricades et autres éléments urbanistiques répondant à cet objectif. Les ultras turcs – comme presque tous les ultras sur la planète – sont effectivement rompus à la lutte urbaine contre les forces de police.

Convergence surprenante mais éphémère

Si le rôle d’Istanbul United a été important durant la mobilisation, le devenir de cette union est tout aussi crucial que ses actes en tant que tel. Créée à l’initiative des Ultras Çarşı, cette réunion était vouée à ne durer que le temps du mouvement Gezi. À cet égard, le fait qu’une nouvelle structure ait vu le jour n’est sans doute pas anodin, il s’agissait par cela non seulement de montrer l’unité des ultras stambouliotes pour un temps mais aussi de formellement écarter la croyance en une action concomitante des trois groupes : il ne s’agissait plus de trois groupes ultras qui agissaient de concert mais plus assurément de citoyens stambouliotes mettant leurs différends de côté pour une cause qui les dépassaient.


De ce point de vue, le parallèle avec la deuxième guerre médique est particulièrement pertinent. Lors de celle-ci, les troupes grecques furent conduite par des généraux spartiates (Léonidas Ier pour les fantassins et Eurybiade pour la flotte) car Sparte était alors considérée comme étant la Cité grecque la plus puissante militairement mais une fois les Perses vaincus, chacune des Cités s’en est retournée à ses affaires. De cette union de circonstances ne naquit aucune paix durable entre elles, si bien que moins d’un demi-siècle plus tard éclata la guerre du Péloponnèse qui opposa Athènes à Sparte durant près de 27 ans. À l’heure où les tensions sont croissantes entre la Turquie et la Grèce sur fond de ressources gazières sous-marines, il n’est sans doute pas inutile de rappeler que le bassin méditerranéen possède plus de ressemblances que de divergences.

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