Le Cav' se met au vert

Seigneur, entends la prière qui monte de nos cœurs

Il fait chaud. Aux alentours de 28 degrés Celsius, peut-être même plus. Et Bakou est en effusion. Une finale de Ligue Europa, ce n’est pas rien. Enfin pour José Mourinho si, mais pour la Capitale de l’Azerbaïdjan, c’est un évènement aussi unique que parfaitement inédit. Alors Bakou s’est mise sur son trente-et-un. Jeux de lumières, tapis rouge et paillettes, tout est bon dans le cochon pour accueillir les invités occidentaux avec la manière. Cerise sur le gâteau, Jonas Blue qui se produit non pas sur scène, mais bien sur le rectangle vert en attendant l’entrée des 22 acteurs. Le spectacle grandiloquant laisse finalement place au jeu : tout est en place pour le coup d’envoi de cet Arsenal-Chelsea, 49e finale de cette compétition européenne… délocalisée en Asie.

Le rectangle n’est plus si vert. Car sur ces dix dernières années, malgré les belles paroles de l’UEFA, de la FIFA et des différents championnats, les délocalisations fleurissent au péril des enjeux écologiques. La Ligue 1 (Conforama ou Uber Eats, on s’y perd à force) regarde avec insistance en direction de l’Empire du Milieu, la Liga s’apprête à siffler le coup d’envoi de son classico à New York, la Serie A se met à l’heure chinoise et la Premier League se tourne vers l’Afrique. Elle y voit un marché, fait d’opportunités de développement et de solutions infinies d’exportation de ses droits de diffusion, sans même évoquer ses produits dérivés. L’écologie ? Beh, c’est l’enjeu de demain. Pas d’aujourd’hui. Et puis, on vous l’a déjà expliqué, notre modèle est respectueux de l’environnement. On l’a baptisé : « capitalisme vert ». Ça claque, pas vrai ?

Tandis qu’il s’efforce de conquérir ces nouveaux marchés, ce football ne fait plus qu’un avec les intérêts financiers. Invisibilisant totalement les premiers acteurs de ce sport, les supporters, qui ne sont plus qu’un des multiples paramètres visant à réguler cet opium du peuple, volé au peuple. Les joueurs également n’ont plus leur mot à dire. On attend toujours l’avion de Monsieur Henrik Mkhitaryan à Bakou. Ceci est un avis de recherche : quelqu’un aurait-il aperçu l’ailier arménien d’Arsenal convoqué par Unai Emery en Azerbaïdjan ? Mais les stades vides qui jalousent le Puy du Fou et quelques imbroglios géopolitiques sont le cadet de nos soucis face à la catastrophe vers laquelle nous courrons tout droit, avec toujours un peu plus de vigueur. L’Euro 2020 (devenu 2021) et ses avions qui circulent partout sur le continent pour transporter les équipes d’un pays à l’autre, les rencontres délocalisées à 10 000 kilomètres ou encore la Coupe du monde 2022 au Qatar. Voilà ce qu’est devenu le football : un business.

Parce que oui, ces délocalisations ont beau être sensées économiquement, elles ont beau permettre aux divers acteurs d’accéder à de nouveaux marchés aux intérêts toujours plus juteux, ce sont des aberrations sans nom sur le plan écologique. Quand on parle de préservation de la planète, ça peut paraître étonnant pour certains, mais un classico à Pékin, ça ne fait pas bon ménage. L’empreinte carbone devra un jour être prise en compte par les institutions footballistiques si elles souhaitent voir le cuir se promener d’un pied à l’autre pendant quelques décennies encore.

Alors, Seigneur, entends la prière qui monte de nos cœurs. Cette prière désespérée. Envolée. Isolée. Qui nous rappelle ce besoin de repenser le football, de le sauver de ce modèle capitaliste dérégulé. De prendre en considération les nouvelles contraintes environnementales. De respecter tous les acteurs de ce sport, sans exception. Et de stopper cette course frénétique vers la croissance infinie qui n’a ni queue ni tête. Entends cette prière qui croît en un modèle décroissant, en ce football du « monde d’après ». En un football qui puisera certainement les réponses de son évolution dans son riche passé. Car rien de mieux qu’un retour aux sources pour combattre les travers de ce « modern football » assassin.

Un jour, il faudra payer les pots cassés. Et ce jour approche. Irrémédiablement. « Les dettes qu’on paie font des trous ; celles qu’on ne paie pas font des tâches » s’amusait à prêcher notre tendre et si progressiste Eglise catholique en son temps. Il n’y a plus qu’à prier donc. Ou agir, au choix.

Jules Grange Gastinel

0