Le Cav' se met au vert

Vianney Boursy et Nicolas Payeur : “Nous étions partis d’un préjugé que le football était sale d’un point de vue écologique, mais nous avons atterris sur de belles surprises”

Etudiants en master à Paris Dauphine, Vianney Boursy et Nicolas Payeur se sont attaqués à la question de la transition écologique du football pour leur mémoire de maîtrise. Sur la base d’une consultation auprès des supporters et d’échanges avec les acteurs du football, leur travail fait l’état des lieux de l’avancée du football sur la question écologique et souligne les perspectives d’amélioration.


Pourquoi ce sujet de mémoire ? Lequel d’entre vous a eu l’idée ?

NP : Vianney et moi étions en cours ensemble. Je voulais faire mon travail sur le sujet du football, parce que c’est ma passion, et je souhaitais mettre un pied dans ce secteur en me faisant des contacts. Vianney a eu la même vision que moi et ça a été un grand plaisir de le faire ensemble. Pour nous deux, la dimension écologique est vraiment importante. Nous avons souhaité allier les deux sujets : le football et le développement durable. Ce sujet est issu de notre passion et de notre jeune conscience écologique.

VB : On est deux gros fans de foot avec, comme beaucoup de jeunes de notre génération, une conscience écologique. Mais nous étions relativement néophytes sur le développement durable. C’était donc l’occasion de plonger dans ce sujet par le prisme du football.

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Dans votre mémoire, vous écrivez : « Nos résultats ont démontré que le football n’est pas perçu comme un sport écologique, mais qu’il peut se positionner comme un leader sur ces sujets s’il était davantage engagé. La consultation auprès des fans de football que vous avez menée révèle que selon 77 % des répondants, le football n’est pas un sport écologique. Comment expliquez-vous cette sensation que le football est en retard en matière d’écologie ?

VB: Nous pouvons dire à la fois qu’il est en retard et qu’il ne l’est pas. Le football est régi par des grandes instances qui possèdent la réponse aux problèmes structurels dans leurs mains. Il est en retard car il existe une vraie inertie des ces instances. En revanche, en creusant les initiatives locales provenant de clubs ou d’équipementiers, nous constatons que le football avance sur le sujet et que les outils existent déjà. Nous avons été positivement surpris sur ce qui est déjà en place, même si cela est trop peu fréquent. Pour que le message rayonne, les grandes instances doivent imposer des règles.

NP : Je suis assez d’accord. Au départ, mon avis sur le sujet était que le football est un sport qui n’est pas doté d’une image soignée sur l’écologie. Rapidement, nous avons cherché des précurseurs sur la question. Nous étions partis d’un préjugé que le football était sale d’un point de vue écologique, mais nous avons atterris sur de belles surprises.

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72 % des répondants ç votre consultation pensent que le football peut être un sport écologique et exemplaire, vous y croyez ?

NP : A 100 %. Il s’agit de l’essence de notre mémoire. Nous sommes partis d’un constat fort : le football a un pouvoir d’influence hors du commun. A tel point que les supporters qui s’associent à des clubs les considèrent comme faisant partie de leur identité. Ce pouvoir d’association est énorme. Dès qu’un footballeur change de coupe de cheveux, il suffit de sortir dans la rue pour constater à quel point cela devient trendy. Partant de constat, notre postulat revient à dire que le pouvoir du football peut générer une influence verte importante si celui-ci parvient à faire sa propre transformation. Les 72 % des personnes qui sont d’accords avec nous confortent cette idée.

VB : C’est vrai que nous avons une vision très optimiste. Pour nuancer, l’écologie reste aujourd’hui un sujet relativement délaissé par le football. En revanche, les moyens pour aller vers l’écologie existent pour les décideurs du football. Certains chiffres dans notre mémoire montrent que le consommateur de football serait prêt à dépenser davantage si son club ou son équipementier mettait en place des mesures écologiques. Comme tout secteur d’activité, le football devra se plier à des exigences écologiques.

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Quelles solutions concrètes peut-on apporter pour verdir les pratiques des clubs de football ? Quels sont leviers pour enclencher la transition écologique du football ?

VB : Le plus gros levier, d’après les échanges que nous avons eu avec les clubs, est celui de l’énergie et des infrastructures. Par exemple, l’Attlético Mineiro, club brésilien, a repensé tout son centre d’entraînement pour le rendre écologique en utilisant 100 % d’énergie verte et une usine à compost pour que tous les déchets organiques soient réutilisés dans leur verger et leur potager, qui sont ensuite utilisés pour nourrir les joueurs. Sportivement, le projet du club est d’être auto-suffisant en formant localement tous leurs joueurs. D’un point de vue écologique, la direction du club souhaite aboutir à un centre auto-suffisant. La métaphore est forte. En Angleterre, nous avons échangé avec le club considéré comme le plus vert au monde : le Forest Green Rovers. Les enjeux sont différents car le club est détenu par le chef d’une entreprise s’appelant Ecotricity, un leader de l’énergie verte en Angleterre. Il se sert du club comme un laboratoire pour montrer l’application concrète de l’énergie verte. Tout le fonctionnement du club est pensé autour de l’écologie.

NP : Parmi les autres acteurs, les instances peuvent également prendre des mesures coercitives et les clubs amateurs peuvent transformer leur organisation à leur échelle et sensibiliser leur licenciés. La transition écologique passe par un changement des comportements et des façons de penser. Cela commence dès le plus jeune âge. Les joueurs professionnels peuvent également servir d’ambassadeurs. La mobilisation de tous ces acteurs renforcera le pouvoir d’influence du football sur la société.

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Effectivement, les clubs de football amateur sont un lieu important de socialisation.  Vous écrivez que 78 % des licenciés d’un club amateur affirment qu’ils seraient prêts à payer leur licence plus cher si ce dernier mettait en place des mesures écologiques. Quels sont les axes de progrès pour le football amateur ?

VB : Le club peut créer un environnement au sein duquel peut se mettre en place l’éducation à l’environnement. 

NP : Les dirigeants de club amateur sont véritablement enclins à se former et être sensibilisés aux sujets écologiques pour répandre la bonne parole. La formation des dirigeants est importante afin qu’ils puissent sensibiliser les jeunes autour des terrains. 

VB : A ce titre, Football Ecologie France est un acteur intéressant puisqu’il peut accompagner sur le terrain ces éducateurs sportifs et les dirigeants de club.

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Votre consultation recueillant l’avis des fans de football vis-à-vis de l’écologie montre-t-elle qu’ils sont sensibles à leur impact environnemental ? Comment permettre à un supporter qui se rend au stade d’être éco-responsable ? 

VB : Comme le disait Nicolas précédemment, le supporter possède un sentiment d’association par rapport à son club. De ce fait, les supporters ont envie d’être fiers de ce que fait leur club, dans tous les domaines. Cette notion est véritablement à exploiter pour impliquer les supporters dans le changement des comportements. Le stade constitue une plateforme d’échange importante où des personnes néophytes peuvent découvrir l’écologie par le biais de leur club. Les initiatives écologiques mises en place dans les stades rendent fiers les supporters, qui peuvent les transposer dans leur vie quotidienne. Au Forest Green Rovers, seulement de la nourriture vegan est servie au stade. Le CEO du club a constaté des transferts d’habitudes alimentaires entre le stade et chez les gens. Le virage écologique du club a permis de modifier les comportements des supporters. Le football permet de créer un environnement où le supporters peuvent se comporter de manière écologique et en être fiers.

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Les clubs professionnels en France multiplient les initiatives écologiques, en particulier pendant cette période de crise sanitaire. Est-ce simplement de la communication et du marketing ou une véritable volonté de changer de modèle ? 

NP : C’est la question piège (rires). Le fait de prendre une résolution verte et d’en faire un outil de communication est l’essentiel du green-washing. Cela ne concerne pas uniquement le football. Maintenant, quelle est la limite entre les structures qui mettent en place un changement sur le long terme et celles qui font un petit coup de communication et basta ? La réponse est difficile. Par exemple, Nike sort des articles issus de produits recyclées et communique en grande pompe. Lorsque tu te rends compte que la série est ultra-limitée, tu constates qu’il n’existe pas de volonté de vendre massivement des produits éco-responsables. 

Malgré tout, je pense que nos clubs français professionnels sont sur la bonne voie. Cela peut être reçu comme des demi-mesures, mais je suis persuadé qu’ils commencent à se rendre compte de l’importance de l’écologie. Ils ont des intérêts, non seulement d’image mais aussi économiques, à mettre en place des mesures vertes. Economiser de l’énergie, ça rapporte de l’argent. Du matériel qui dure plus longtemps diminue les dépenses. L’image verte est monétisable et attire les partenaires. Les Forest Green Rovers sont un exemple frappant, car ils ont récupéré les plus gros sponsors de leur ligue.

VB : Sur la question écologique, le football subit un problème légitime causé par les paradoxes qu’il entretient. Le PSG fait son centre d’entraînement vert à côté de Poissy, mais il a longtemps été sponsorisé par des compagnies aériennes. Nous pouvons nous demander où est la logique. Ces paradoxes risquent de perdurer, mais toutes les mesures vertes qui seront prises vont influer positivement une bonne partie de la population. Il faut s’en réjouir. Aujourd’hui, pour le football comme de manière générale, le consommateur a besoin de transparence et d’authenticité. Si les clubs ne jouent pas le jeu, cela se retournera contre eux.

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Si vous devez retenir quelques propositions de votre mémoire – qui en contient de nombreuses – lesquelles seraient-elles ?

NP : La question importante est de savoir qui commence à prendre des mesures fortes. Si une instance décide des mesures coercitives fortes envers les clubs, cela va avoir un impact différent par rapport à un petit club amateur qui fait son action dans son coin. Toutes les mesures n’ont pas le même impact.

VB : Je pense que le changement viendra d’abord des clubs professionnels, car les instances sont plus lentes à agir, du fait de leur inertie. La priorité réside dans le fait d’avoir des stades plus économes et écologiques, qui soient capables d’offrir une expérience verte aux supporters, où ils peuvent apprendre à devenir éco-citoyens. A ce titre, de nombreuses initiatives sont prises par les clubs pour réduire les déchets et améliorer le tri sélectif, notamment en créant des jeux pour les supporters.

NP : De mon côté, je dirai que le football amateur devrait davantage sensibiliser les pratiquants, car cela représente le départ pour créer des comportements avertis sur le développement durable. L’État peut également subventionner les bons comportements des municipalités et des clubs. Les instances peuvent mettre en place un système de bonus-malus pour récompenser les bons comportements et sanctionner les mauvais élèves.

Propos recueillis par Guillaume Vincent.

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