Le Cav' se met au vert

Antoine Miche : « Si on peut aider à travers une structure simple et citoyenne, ce sera tout bénéfice pour le football, le sport et la société. »

Créée en juillet 2019, l’association « Football Ecologie France » vise à accompagner les acteurs du football afin qu’ils accomplissent leur transition écologique. Le président de l’association, Antoine Miche, nous raconte cet ambitieux projet.


Vous êtes directeur financier au groupe La Poste depuis 12 ans. Vous êtes Président-Fondateur du Réseau français des étudiants pour le Développement Durable (REFEDD). Pourquoi avoir le choisi le football pour assouvir votredésir dechanger la société par l’écologie ?

Tout d’abord, dans le panorama des acteurs qui essaient de transformer la société positivement sur les enjeux écologiques, nous nous apercevons que le sport n’est pas forcément actif alors qu’il est très dépendant de son environnement. Pour faire du sport, un environnement sain est nécessaire, donc le sport est totalement concerné par les évolutions environnementales. Le minimum est donc de faire attention à son environnement. Ensuite, le football est le premier sport populaire et planétaire. Pour changer les choses dans le sport, il vaut donc mieux s’adresser au football.Enfin, le football permet de s’adresser au monde professionnel et au monde amateur. Ce dernier est très axé sur l’aspect éducatif du sport, donc il est important de faire grandir des jeunes en lien avec des valeurs fortes. Le monde professionnel est devenu un sport-business extrême. L’idée est d’adresser les enjeux écologiques à travers ces deux mondes. Il y a des citoyens et des entreprises derrière les clubs sportifs. Notre objectif est de les accompagner selon leurs envies, car aujourd’hui il y a une envie d’agir, mais les gens n’ont forcément pas les moyens ou la connaissance du sujet. Si on peut les aider à travers une structure simple et citoyenne, ce sera tout bénéfice pour le football, le sport et la société.

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Comment s’est crée le projet FEF ?

Le projet est parti d’une réflexion il y a un an et demi de la part de personnes qui connaissaient bien le monde du sport et l’écologie. La structure a officiellement été montée en juillet 2019. Nous avons été voir les différents grands acteurs du football, notamment en France, et nous nous sommes aperçus qu’il y avait une envie de faire de l’écologie dans le football. Il manquait dans le paysage une structure citoyenne pour travailler avec l’ensemble des acteurs, que ce soit les instances, les clubs, les entreprises du secteur, les mairies etc. A l’heure actuelle, il y a 200 membres un peu partout en France, dont 80 experts qui connaissent très bien le football et l’écologie.

Quelles solutions concrètes peut apporter FEF pour verdir les pratiques des clubs de football ? Comment véritablement engager dans cette dynamique ?

L’association apporte plusieurs solutions concrètes pour qu’un club et sa collectivité rentrent dans une dynamique écologique liée au football. La première est de faire un état des lieux : il est nécessaire de savoir où l’on part pour ensuite se projeter. Notre expertise en matière d’écologie nous permet de conseiller les clubs. La deuxième est de transformer les esprits. L’association va permettre d’avoir accès à des formations, des ateliers, des services divers et variés qui permettent aux personnes du club, de la mairie, des entreprises en lien avec le football de changer d’état d’esprit et de mieux comprendre ce que veux dire l’écologie dans le football. Ensuite, nous les aidons à piloter leur projet. Nous apportons de l’expertise, du temps et des outils spécifiques pour piloter la question des sujets environnementaux avec un suivi dans le temps. Nous possédons également un réseau avec une veille thématique et un échange de bonne pratiques pour permettre à nos adhérents de se tirer vers le haut. Enfin, nous proposons d’accompagner les clubs dans l’organisation de leurs événements afin de les aider à intégrer l’écologie dans la façon de faire.

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Quels sont leviers pour enclencher la transition écologique du football ?

Pour que cela fonctionne, il est nécessaire de créer une synergie entre les différents acteurs locaux. Le premier levier est de réunir les gens autour d’une table et d’élaborer un plan dans la durée avec des objectifs où tout le monde est gagnant-gagnant. Le deuxième levier revient à réellement faire comprendre ce qu’est l’écologie dans le football et de montrer que ce n’est pas si compliqué que cela. La fresque écologique du football que nous élaborons permet de moduler les esprits en s’adressant à tout le monde.

Pour les clubs professionnels, la valorisation du capital et de l’image constitue un levier indispensable. Un club comme l’Olympique lyonnais travaille beaucoup sur l’environnement. Ils savent très bien que cela valorise le capitale et l’image du club.

L’innovation est également un levier fondamental car elle permet de faire des économies de fonctionnement. Dans un environnement concurrentiel comme le football business, l’innovation permet de faire des économies en matière d’eau, d’énergie, des charges liées à l’alimentation. C’est important pour les clubs. Cela diminue les charges de fonctionnement et fait venir des spectateurs qui se sentent plus en phase avec ce que propose le club. Ici, nous raisonnons sur les valeurs et la réciprocité. Quand un club a des valeurs fortes et se montre utile à la société, cela va drainer des spectateurs qui ont besoin de ce sens là.

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Justement, vous avez mené une consultation nationale sur l’avis des fans de football vis-à-vis de l’écologie. Vous travaillez autour du concept d’éco-supportérisme. Comment permettre à un supporter qui se rend au stade d’être éco-responsable ? Les fans de football sont-ils sensibles à leur impact environnemental ?

Nous publierons un livre blanc sur la thématique de l’éco-supportérisme qui sera le résultat de la consultation nationale. Faire naître l’éco-supportérisme est une des missions de l’association. Il s’agit de faire en sorte que tous les supporters au sens large, se sentent éco-supporters. Cela signifie deux choses : changer ses pratiques dans son rapport au football, à travers les transports, l’alimentation etc, et puis que le supporter contribue aux actions de son club. Par exemple, si le club souhaite faire un gros nettoyage ou penser la construction d’une tribune avec des matériaux sains, l’éco-supporter peut contribuer et ne doit pas être passif vis à vis des actions de son club. Les supporters du football sont d’abord des citoyens avant d’être des supporters. Ils vivent comme vous et moi dans les villes ou dans les campagnes et rencontrent plus ou moins de difficultés liées à l’environnement. Dans la consultation nationale, ils expriment une réelle volonté d’agir. Les supporters savent que le football est un vecteur extraordinaire pour passer des messages et ils souhaitent que le sport favoris’intéresse plus fortement à l’écologie, clairement. Bien sûr, il y aura toujours des détracteurs et des gens pour ne pas y croire. Mais aujourd’hui, ils sont de plus en plus ne minorité.

Caviar a consacré son deuxième numéro au football des campagnes. Pensez-vous que le football rural et amateur a également des progrès à faire en matière d’impact environnemental ?

Le football amateur représente aujourd’hui 15 000 clubs qui jouent toutes les semaines. Il est compliqué d’en mesurer l’impact mais il est assez élevé à travers les déplacements, la gestion des déchets, l’alimentation etc. Il s’agit de mobiliser le football amateur autour de deux axes. Le premier revient à faire passer des messages sur l’écologie aux jeunes et d’initier le changement d’état esprit. Ensuite, ils s’agit de faire progresser les clubs sur leur activité en optimisant les transports, se convertissant au zéro déchet, en insérant une alimentation locale et de saison chez les joueurs et dans les buvettes. Avec les mairies, il est possible de s’attaquer aux problématiques d’infrastructures, en transformant l’éclairage du stade ou installant des récupérateurs d’eau de pluie par exemple. Les solutions techniques existent déjà toutes. Maintenant, la question est : existe-t-il une volonté locale et les acteurs sont-ils tous autour de la table ? Aujourd’hui, Football Ecologie France vise à réunir ces acteurs et proposer ces solutions.

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Vous avez parlé de l’Olympique lyonnais. Quels sont les clubs précurseurs en France en matière de transition écologique ?

Ily a les précurseurs et les clubs qui sont au top, c’est un peu différent. Parmi les précurseurs, il y a l’AS Saint-Etienne qui s’est positionnée sur le sujet très tôt. Ils ont installés des panneaux photovoltaïques sur leur stade et pratiquent la compensation carbone, ce qui est assez rare dans le secteur du football. On les appelle les Verts, mais là il y a une cohérence. Si on prend les clubs au top, l’Olympique lyonnais a récemment fait un partenariat très fort avec Veolia. Le Groupama Stadium est également un stade très économe en ressources. Aujourd’hui, ils réfléchissent aussi à installer des panneaux photovoltaïques. D’autres clubs se soucient du sujet et restent sur des actions ponctuelles. L’AS Monaco a dernièrement beaucoup parlé de sa pelouse innovante, qui permet d’être très économe en eau et quine nécessite aucun pesticide ou de produit phytosanitaire. Ces exemples intéressants montrent que lorsqu’on creuse le sujet et que l’on est innovant, des solutions sont possibles malgré les contraintes qualitatives très fortes. Pour reprendre l’exemple de la pelouse, elle doit être un vrai billard et praticable pendant l’hiver. Monaco prouve qu’il est possible d’obtenir une pelouse économe et de qualité.

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Les clubs professionnels en France multiplient les initiatives écologiques, en particulier pendant cette période de crise sanitaire. Est-ce simplement de la communication et du marketing ou une véritable volonté de changer de modèle ? N’avez vous pas peur d’être la caution verte des clubs professionnels qui font du green-washing ?

Cela peut très bien être le cas. Ainsi, lorsque nous échangeons avec un club professionnel, nous sommes assez clairs sur les attendus et sur ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Nous n’avons pas besoin d’être une caution, nous avons besoin de sentir les acteurs progresser sur le sujet, même les plus décriés. Aujourd’hui, nous faisons très attention à comment les acteurs souhaitent s’associer à nous. Nous serons les challengers dans la relation car notre mission est de faire progresser les acteurs avec lesquels nous travaillons. Nous sommes attentifs à ce que leur communication soit le reflet de la réalité et du travail en commun. 

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Le football européen commence à vouloir délocaliser des rencontres hors Europe. La France le fait avec le trophée des Champions et la Liga y réfléchit sérieusement. Le football est le produit mondialisé par excellence. Les impacts environnementaux sont énormes. Comment relocaliser le football ?

Vaste et complexe sujet. Le football business tient beaucoup sur cet effet de mondialisation et ce partage sans frontière du football. Je pense qu’aujourd’hui tout le monde possède une télévision ou un smartphone. Il n’y a pas forcément un besoin de délocaliser les matchs à l’autre bout du monde, même les affiches prestigieuses. Il est nécessaire de repenser le football avec ses contraintes environnementales et les besoins de la société. Entre autres, l’Euro 2020 qui aurait dû se dérouler au mois de juin était très décrié car il devait se partager entre plusieurs pays. Je pense que la FIFA, l’UEFA et d’autres instances doivent repenser ce genre de sujets. Il est possible de garder un sport mondialisé sans forcément avoir un impact carbone très élevé. Évidemment, si nous disons aux joueurs d’aller en bateau en Chine et que cela va mettre 4 semaines, ce ne sera pas entendable. A mon avis, il faut être beaucoup plus cohérent et lucide par rapport aux enjeux écologiques. Le monde a des limites physiques. Les acteurs du football, comme ceux de la société, doivent tenir compte ces contraintes.

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Lorsque l’on voit l’organisation de la Coupe du monde au Qatar, en plein désert, on ne perd pas espoir dans la capacité au football à se transformer alors que les enjeux financiers surpassent les enjeux écologiques ?

Paradoxalement, je pense qu’il s’agit d’une opportunité de changer encore plus vite le football. L’Euro 2020, les matchs délocalisés à 10 000 kilomètres, la Coupe du monde au Qatar sont des sujets qui vont être extrêmement sensibles dans les prochains mois et dans les prochaines années. Qui dit sensible dit surmédiatisation et surréaction. A mon avis, cela représente une occasion de poser les problèmes sur la table et de trouver rapidement des solutions. Ces effets amplificateurs pourront permettre aux acteurs de saisir plus rapidement de cette problématique et de faire avancer l’écologie dans le football.

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Le dernier numéro de Caviar portait sur la mode dans le football. Peut-on s’équiper local et durable pour jouer au football ?

Pour les maillots de football, les chaussures ou les ballons, s’équiper localement reste très compliqué. Il existe des fabricants en France, comme Le Coq Sportif, mais la production se situe dans les pays étrangers. Je ne connais pas producteurs locaux. Cependant, certaines initiatives innovantes permettent de s’en rapprocher. Par exemple, Sillona, entreprise qui fabrique des vêtements éco-responsables pour le sport, propose de transformer des bouteilles de plastique recyclées en maillots et en shorts. Avec ces bouteilles produites en France et recyclées, nous nous rapprochons d’une production locale. D’autre part, Phénix Sport propose de louer sur la base d’un forfait ses équipements de sport. Avec l’usure, soit il est possible de les réparer ou de les rendre à l’entreprise qui les recycle. Concernant les ballons, la production se situe essentiellement au Pakistan, car ils possèdent un savoir-faire inégalé et inégalable. Voir la production de ballons rapatriée en France serait très étonnant. Pour les maillots, les shorts et les chaussettes, c’est possible.

Propos recueillis par Guillaume Vincent.

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