Le Cav' se met au vert

L’édito

« L’impact environnemental estimé des seuls footballeurs du Real Madrid coûte chaque saison à la planète autant que la destruction en forêt amazonienne de l’équivalent de 10 000 terrains de football. » Combien de fois avons-nous pu lire ce genre d’analogie ? Dès qu’une forêt brûle quelque part sur la planète, le premier réflexe des journalistes qui transmettent l’information est de donner un « équivalent », susceptible de quantifier, ou de rendre mentalement perceptible l’ampleur de la catastrophe pour le commun des mortels. Un réflexe avant tout pratique, qui fait néanmoins réfléchir lorsqu’il est utilisé à l’encontre de ceux qui animent ces mêmes terrains de football. Et s’il y a bien une chose sur laquelle on sera tous d’accord, c’est qu’en termes d’éco-responsabilité, les footeux ne sont pas vraiment des avant-gardistes.

Il est assez simple en 2020, à l’heure où l’opinion publique prend de plus en plus conscience de l’urgence climatique, de jeter l’opprobre sur toute une profession autant adulée que critiquée dans l’Hexagone. Il est vrai qu’en se baladant sur les comptes Instagram de ces joueurs du Real Madrid justement, on peut aisément s’offusquer des indécentes collections de grosses bagnoles, de baskets et autres vêtements derniers cris, sans parler des voyages en jets privés et des autres excès relatifs à leurs trains de vie de millionnaires. La caricature est belle, évidente presque, mais on a tendance à trop souvent oublier le fait que cette réalité faite de salaires à six, voire sept chiffres ne correspondent au quotidien de seulement 2% des footballeurs de la planète. Le reste, il fait comme tout le monde. Il va à l’entraînement en Twingo, puis au match du week-end avec le bus du club, et n’est donc a priori, ni plus ni moins pollueur qu’un citoyen lambda.

Au-delà des joueurs, c’est aussi et surtout toute une économie, une industrie qui est prise pour cible. Comme tout évènement sportif de grande ampleur, il faut s’accrocher pour lire l’intégralité de la facture écologique d’un match de foot : entre l’énergie consommée pour éclairer, et comme cela sera fait au Qatar, pour climatiser un stade accueillant plusieurs dizaines de milliers de personnes devant, elles-mêmes, faire un grand nombre de kilomètres pour supporter deux équipes ayant parfois parcouru, en avion, un pays voire un continent entier, pour jouer sur une pelouse dont l’entretien nécessite l’utilisation d’on ne sait combien de litres et de litres d’eau… et ce sans mentionner les déchets générés par toute cette activité humaine, qui sont loin d’être recyclés dans leur intégralité. Nul besoin de poursuivre l’énumération, le constat est sans appel : l‘impact écologique d’un simple match de football est trop important pour que les choses continuent ainsi.

Face à la situation, nombreux sont les acteurs, du monde du football et de la société civile, qui mobilisent leurs intelligences pour tenter de reverdir l’image du rectangle vert. Vous l’aurez certainement compris chers lecteurs et lectrices, ce sont de toutes ces personnes, et des initiatives qu’elles portent, que nous avons choisi de vous raconter les histoires. Et ce tout au long de cette semaine entièrement consacrée à la prise de conscience écologique du football français.

Toutefois, nous ne sommes pas dupes. Nous savons bien que nous ne pourrons échapper à celles et ceux qui, à force d’écouter des conférences de collapsologie, estimeront que toutes ces belles actions ne sont pas suffisantes, et nullement à la hauteur du défi climatique auquel l’humanité doit faire face. Mais face à ce constat tragique, qui est peut-être vrai, nous leur répondrons que la seule solution n’est pas l’inaction fataliste. La preuve, sur le pont du Titanic, au cours de son lent naufrage inéluctable, l’orchestre présent à bord poursuit, malgré la panique générale, sa symphonie. En d’autres termes, même lorsque le bateau coule, il est toujours possible de jouer du violon au lieu de se jeter à l’eau. De rester digne en somme, et de mettre à profit le temps qu’il nous reste de la meilleure des manières possibles. Cette leçon philosophique du Titanic, elle vaut ce qu’elle vaut, mais elle redonne du sens à ces initiatives que les plus fatalistes d’entre nous qualifient de vaines, désespérées. Au contraire, elles sont pleines d’espoir et de résilience. Il ne s’agit pas de mourir les armes à la main, mais plutôt de vivre comme Oscar. De vivre comme un joueur du Brésil mené 7-0 par l’Allemagne en demi-finale de (sa) Coupe du Monde et qui, malgré l’humiliation reçue par son équipe aux yeux du monde entier, trouve encore le courage d’aller inscrire un but à  la 90e minute. Un but pour l’honneur, qui ne change en rien l’issue et les conséquences du naufrage brésilien ce soir-là, mais qui a tout de même le mérite d’exister, et c’est bien là le principal.

Par Gabriel Blondel.

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