L'humeur de la rédac'

Le chat noir de Deschamps

CAVIAR vous emmène dans un univers parallèle où Didier Deschamps, loin de son image d’entraîneur le plus chanceux de l’Histoire, serait considéré comme le plus grand looser du football français. Saurez-vous démêler le vrai du faux dans ce récit du parcours revisité d’un Deschamps talentueux et fin tacticien mais à l’armoire à trophées dégarnie ?


Nöel Le Graet n’a pas mis longtemps pour annoncer ce à quoi tout le monde s’attendait : Didier Deschamps est renvoyé de son poste de sélectionneur national. C’était attendu, c’est maintenant officiel. Le Bayonnais paye au prix fort l’élimination précoce des Bleus au premier tour de l’Euro 2021. Un échec de plus dans la carrière d’un Deschamps toujours placé mais jamais vainqueur. L’occasion de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur de la carrière du « Poulidor du football ».

C’est une trajectoire qui, sur le papier, n’a rien à envier aux plus grands : Nantes, Marseille, Bordeaux, la Juventus, Chelsea et enfin Valence. Tout au long de sa carrière de joueur, « DD » s’est forgé un CV de qualité, bourlinguant à travers le Vieux Continent, passant parmi les meilleures écuries. Un 6 à l’ancienne, dur sur l’homme mais doté d’une palette technique au-dessus de la moyenne, reconnu partout où il est passé pour ses qualités de meneur. Un talent avec deux défauts : des blessures récurrentes et un chat noir aux trousses.

Débuts en pro et première image “Panini” pour DD avec le FC Nantes.

Deschamps débute en pro avec son club formateur du FC Nantes en 1986 : sept petits bouts de matchs avec les grands qui lui permettent de figurer parmi les Canaris vice-champions de France derrière le PSG. Evoluant encore majoritairement chez les jeunes, DD perd la même année la finale de la Coupe Gambardella contre l’AJ Auxerre. Après trois saisons pleines en Loire-Atlantique, le temps est venu pour le jeune prodige de franchir un cap. En novembre 1989, il troque son jaune canari pour le bleu de chauffe de l’Olympique de Marseille.

A la fin d’une première saison mitigée mais auréolée du titre de champion de France, Deschamps s’en va grappiller du temps de jeu à Bordeaux. Prêté en Gironde contre son gré, le jeune milieu ne met pas longtemps à se faire une place de choix au Haillan, terminant l’exercice 1990-1991 à la seconde place derrière… l’OM. Rentré dans la cité phocéenne, DD devient un maillon essentiel du club et remporte son second titre de champion, le quatrième consécutif du club. Un début de carrière plus que prometteur qui vire lentement au cauchemar dès la saison suivante.

Et Van Basten crucifia le peuple phocéen

Néo-capitaine du navire olympien, Deschamps est aux premières loges du « Drame de Munich ». Arrivés en finale de Ligue des Champions face à l’immense AC Milan, les Marseillais touchent leur rêve du bout des doigts après un coup de casque de Basile Boli servi par le bien nommé Abedi Pelé. Au bout du money-time et pris de crampes, Deschamps glisse et sert involontairement Marco Van Basten. Le Hollandais s’en va crucifier Barthez, puis inscrira le tir au but vainqueur (1-1, 5-4 t.a.b), privant les troupes de Deschamps d’une place de choix dans l’Histoire. L’OM perd également son titre de champion sur tapis vert après l’affaire OM-VA. Fin de saison aussi rocambolesque que cauchemardesque.

“DD” lors de la finale de Ligue des Champions perdue face à l’AC Milan.

Devenu un cadre de la sélection, le Basque, en quête d’un nouveau défi, prend la route de Turin. A peine débarqué, il se blesse gravement au tendon d’Achille et passe six mois sur le flanc. Après un retour convaincant en fin de saison, Deschamps aborde l’exercice 1995-1996 avec ambition. Mais le destin ne tarde pas à le rattraper. Le Français se brise la jambe à l’entrainement et passe une saison blanche. N’ayant pas joué la moindre minute en Ligue des Champions, DD ne fait pas partie des vainqueurs qui terrassent l’Ajax Amsterdam. Il fait tout de même son retour à la compétition en championnat et participe à l’Euro 1996 avec les Bleus, perdu en demi-finale.

« La Dèche » passe les deux saisons suivantes dans la peau d’un titulaire et remporte deux Scudetti. Un lot de consolation qui peine à masquer les déceptions conjuguées de deux échecs successifs en finale de C1 contre Dortmund et le Real Madrid. Côté Bleu, Deschamps est toujours capitaine. Aimé Jacquet lui fait une confiance aveugle et compte sur son volume de jeu pour la Coupe du Monde 1998 à domicile. A l’aube de la compétition, la France affronte la Finlande dans une ultime joute amicale. Une rencontre anecdotique marquée par un cri dans la nuit. A la 27ème minute, Deschamps hurle de douleur. Son genou tourne sur un contact anodin, le bilan est cruel : rupture des ligaments croisés et rêves de Coupe du Monde envolés. Meurtri et abattu, DD assiste tristement à la victoire des siens face au Brésil (3-0) depuis le domicile familial à Bayonne. Un mélange de sentiments l’envahit : la joie pour ses coéquipiers et une certaine forme de jalousie en voyant Marcel Desailly brandir le trophée. Ç’aurait dû être lui… Profondément affecté, Deschamps prend sa retraite internationale et ne participe pas à l’Euro 2000, remporté par les Bleus.

Capitaine des Bleus mais blessé de dernière minute, Deschamps ne sera pas du sacre de 1998.

Entre-temps, le Bayonnais a mis du temps à se remettre, physiquement et émotionnellement. Il quitte la Juve pour terminer sa carrière à Chelsea puis Valence. Chez les Blues, il rejoint son ami Marcel Desailly, qui soulevait le trophée tant convoité à sa place un an plus tôt. Ajoutant une Coupe d’Angleterre à son palmarès, il quitte Chelsea pour le soleil d’Espagne. A Valence, la concurrence est rude mais Deschamps s’offre avec les Blanquinegros une quatrième finale de C1. Une nouvelle fois, la Coupe aux grandes oreilles lui passe sous le nez, revenant au Bayern Münich, sans qu’il puisse s’y opposer, assistant à la finale depuis le banc.

Deschamps boucle ainsi une belle carrière, marquée par des blessures à répétition et une triste malchance. Une carrière qui aurait pu être exceptionnelle avec un petit coup de pouce du destin. Raccrochant les crampons, ou plutôt les troquant contre un costume, Deschamps prend la direction de Monaco pour s’asseoir sur le banc. Une évidence au regard de ses qualités tactiques et sa vision du jeu pour tous ceux qui l’ont croisé.

« C’est rare de voir un joueur avec une telle science tactique, il comprend tout et anticipe parfaitement. Il a un avenir brillant sur un banc après sa retraite »

Marcelo Lippi, coach de Deschamps à la Juventus.

Si les débuts sont timorés sur le Rocher, le groupe de Deschamps remporte la Coupe de la Ligue en 2003 et réalise une épopée mémorable en Ligue des Champions la saison suivante. Renversant face au Real Madrid (2-4 ; 3-1) en quart et solide face à Chelsea en demi (3-1 ; 2-2), les Monégasques affrontent le FC Porto de José Mourinho à Gelsenkirchen. Le Bayonnais a l’occasion de réaliser ce qu’il n’a pas réussi avec l’OM : devenir le premier club français à soulever la Coupe aux grandes oreilles. Rêve de courte durée et retour sur terre brutal après la déroute infligée par les hommes du « Special One » (0-3).

Deschamps console Evra après la lourde défaite face à Porto (3-0).

A l’issue d’une ultime saison dans la principauté, Deschamps retourne à la Juventus pour prendre les rênes d’une équipe à la dérive. Reléguée en Série B et pénalisée de 17 points après des scandales de corruption, la Vieille Dame est au bord du gouffre. Le technicien réalise l’exploit de faire remonter immédiatement le club malgré la sanction, mais quitte le navire après de profonds désaccords avec sa direction.

Monsieur Coupe de la Ligue

Deux ans plus tard, il signe à l’OM, le club, où il se révèle véritablement. A l’issue de sa première saison, les Phocéens remportent la Coupe de la Ligue, premier trophée depuis 1992 mais laissent filer un titre de champion qui leur tendait les bras dans les ultimes journées. Bis repetita en 2010-2011. Le LOSC de Rudy Garcia devance l’OM, qui conserve tout de même la Coupe de la Ligue. DD réalise la passe de trois la saison suivante, remportant à nouveau la Coupe de la Ligue. Maigre consolation d’une saison terminée à une médiocre dixième place en Ligue 1. Deschamps quitte l’OM à l’été 2012 en devenant le seul entraîneur à remporter quatre fois la Coupe de la Ligue (trois avec Marseille, une avec Monaco).

L’entraîneur le plus titré de la Coupe de la Ligue : c’est lui.

Le Bayonnais continue sa carrière d’entraîneur là où réside sa plus grande déception de joueur : en Equipe de France. Nommé pour succéder à son ancien coéquipier Laurent Blanc, Deschamps redore l’image d’une sélection ternie par le scandale de Knysna. Qualifiés au bout d’un barrage rocambolesque face à l’Ukraine (0-2 ; 3-0) pour la Coupe du Monde 2014, les Bleus bénéficient de nouveau d’un fort soutien populaire. L’échec en quart de l’édition brésilienne face à l’Allemagne, futur vainqueur, livre son lot de promesses à l’aube d’un Euro à la maison.

Les signaux positifs entrevus lors de la Coupe du Monde se confirment puisque les hommes de Deschamps atteignent la finale de « leur » Euro, perdue tragiquement face au Portugal (0-1). Malgré avoir buté sur l’ultime marche, Deschamps garde les faveurs de sa direction et du peuple français. Il est et restera celui qui a redoré le blason d’une sélection en perdition, gangrenée par des égos mal placés. C’est dans cette position d’homme providentiel, avec la meilleure équipe qu’il ait eu sous ses ordres, que DD se rend en Russie. Australie, Danemark, Pérou, Argentine, Uruguay… Tous sont écartés par cette nouvelle génération. Le pays se prend à rêver d’une seconde étoile, vingt ans tout juste après la première.

Un rêve qui s’estompe après une demi-finale perdue contre nos voisins belges (0-1). Dominatrice et maîtresse de la possession, l’Equipe de France se heurte à un bloc bas très solide, procédant en contre-attaques assassines. Une immense déception pour les Bleus, quittant la compétition aux portes d’une finale remportée par leurs bourreaux face à la Croatie.

La détresse de Kylian Mbappe, consolé par DD après l’élimination en demi-finale de Coupe du Monde.

Après une Coupe du Monde tout de même réussie, la France se qualifie pour l’Euro 2021, éclaté à travers le continent. Le tirage au sort fait froid dans le dos : Allemagne, Portugal et Islande. Le pire était à craindre pour les Bleus, et le pire arriva. Une défaite inaugurale contre l’Allemagne (2-0) puis une fessée reçue par le Portugal (1-4) et un piteux match nul contre l’Islande (0-0) annihilent tout espoir de victoire finale. Une sortie de route précoce qui coûte sa tête à Deschamps, limogé avec effet immédiat alors que son contrat courait jusqu’à la prochaine Coupe du Monde.

Énième coup d’arrêt dans la carrière d’un homme frappé par la malchance. Joueur de qualité mais miné par les blessures, DD a échoué quatre fois en finale de Ligue des Champions et fut privé d’un sacre mondial dont il aurait été le capitaine. Éternel second, le « Poulidor du foot » mène une honorable carrière d’entraîneur, pour le moment vierge de trophées majeurs (quatre Coupes de la Ligue et une Serie B). Malgré un talent pur et des capacités de tacticien au-dessus de la moyenne, Deschamps n’a jamais pu compter sur sa bonne étoile pour avancer. Toutefois, à seulement 52 ans, « la Dèche » a encore du temps pour conjurer le sort et se défaire de cette image de looser qu’il traîne depuis bien trop longtemps.

Cyprien Juilhard

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