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(9) : YNWA, par-delà le slogan

Un soir de grève – Eugène Laermans

Dimanche 27 avril 2014, il est presque 16h lorsque tout Anfield Road entonne You’ll Never Walk Alone, l’hymne du club. Cela fait pourtant un peu plus de 48 minutes que le Liverpool de Brendan Rodgers, alors leader de Premier League, bataille avec le Chelsea de José Mourinho. Une victoire permettrait aux Reds de conserver leur destin en main pour enfin ramener sur les bords de la Mersey un titre qui les fuit depuis 1990.

Ce You’ll Never Walk Alone est sans doute l’un des plus beaux entonnés par Anfield parce qu’il fait suite à la tristement célèbre glissade de Steven Gerrard, l’enfant chéri, qui a permis à Demba Ba d’aller ouvrir le score, condamnant quasiment les espoirs de tout un peuple.

En regagnant les vestiaires, l’enfant du club doit certainement rejouer ce contrôle raté et cette satanée glissade. Durant cette mi-temps, a-t-il entendu que tout le stade a scandé son nom ? Les paroles de l’hymne ont, en tous cas, fait écho et pas simplement métaphoriquement à ce qui était en train de se passer sous les yeux des supporters Reds médusés : « Tho’ your dreams be tossed and blown /Walk on, walk on/With hope in your heart /And you’ll never walk alone (Bien que tes rêves soient maltraités et soufflés/Continue de marcher, continue de marcher/Avec l’espoir dans ton cœur/Et tu ne marcheras jamais seul ; dans la langue de Molière, ndlr). Plus qu’un élément isolé, cette tragédie s’inscrit dans l’histoire ouvrière et quelque peu maudite de Liverpool – la ville et le club – au cours des dernières décennies.

Le socialisme en actes

Nombreux sont ceux qui se souviennent de Bill Shankly, légendaire entraîneur de Liverpool, pour sa phrase qui affirme que le football est plus qu’une affaire de vie ou de mort. Déclaration pourtant bien moins signifiante sur l’esprit du club red qu’un de ses discours adressé à ses joueurs lors d’un avant-match : « Que chacun travaille pour atteindre le même objectif et que chacun partage le succès si celui-ci est atteint : tel est le socialisme auquel je crois. Je vois le football et la vie ainsi ». Ancrant ainsi farouchement la manière dont il voulait faire jouer ses équipes dans le contexte liverpuldien, à savoir une ville ouvrière et par définition ouverte aux idées socialistes, celui dont la statue trône devant Anfield a sans aucun doute participé à faire du Liverpool Football Club un outil de reconnaissance pour le monde ouvrier.

Presque 16 années après la mort du mythique entraineur, c’est une autre personnalité importante de l’histoire du club qui prendra le relais de ses revendications. En ce soir de mars 1997, les Reds reçoivent Brann Bergen en quart de finale retour de la défunte coupe des coupes. Si la qualification est acquise de manière relativement tranquille par une victoire 3-0, c’est bien la célébration de Robbie Fowler, enfant du quartier prolétaire de Toxteth, qui marque le match au fer rouge. Ce dernier exhibe un Tee-shirt en soutien aux dockers de Liverpool en grève, ce qui lui vaudra une amende de la part des autorités du pays. Un geste que l’intéressé ne regrette toujours pas, d’après ses propos dans une interview accordée à SoFoot.

De résistance à dramatique symbole

La ville de Liverpool, comme l’ensemble des villes ouvrières du Royaume-Uni, a été durement frappée durant les années 1970 et 1980. La désindustrialisation déjà en route couplée à une Margaret Thatcher qui souhaitait « laisser la ville mourir »; comme le rapporte un excellent article du Monde Diplomatique daté de novembre 2020, ont lourdement fait souffrir la Cité portuaire. La haine à l’égard de celle que beaucoup ont surnommé “la dame de fer” n’a d’ailleurs jamais faibli à Liverpool – d’autant plus après le drame de Hillsborough et des accusations sans fondement qu’elle a jeté à l’encontre des supporters. Si bien qu’à sa mort, une banderole déployée à Anfield a choqué : « When Maggie Thatcher dies, when Maggie Thatcher dies, we’re gonna have a party when Maggie Thatcher dies » signifiant littéralement : “Maintenant que Maggie Thatcher est morte nous allons faire la fête”.

Durant le mandat de Thatcher (qui s’étale de 1979 à 1990), le Liverpool Football Club a également été un moyen de résistance pour beaucoup d’ouvriers face à ce néolibéralisme dicté par Londres. Durant la période, le club a emporté 8 titres de champion, ne laissant échapper la couronne qu’en 1981, 1985 et 1987. Ironiquement, le départ de Thatcher a coïncidé avec une période de vaches maigres pour les Reds qui ont enduré trente longues années de disette sur le plan national, laissant au passage leur rival de toujours, Manchester United, les devancer au nombre de titres glanés. Pourtant, comme le symbole de l’ouverture internationaliste prônée par le socialisme, les Reds décrochent deux C1 et une C3 au cours du même laps de temps.


Même si les propriétaires actuels continuent à défendre l’idée selon laquelle le LFC a des racines socialistes, le prix des places à Anfield a, comme partout en Premier League, explosé si bien que les ouvriers se voient désormais contraints de partager un abonnement à plusieurs pour pouvoir encore se rendre au stade. De là à croire que le titre enfin remporté par les Reds dans une période très particulière liée au nouveau coronavirus sera la première pierre d’une reconquête ouvrière, il n’y a qu’un pas. Mais sera-t-il franchi ?

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