Football

Auf Wiedersehen Joachim Löw

“Plus belle sera la médaille, plus lourd sera le revers”, chantait Youssoupha. Celui qui a permis à l’Allemagne de broder une quatrième étoile sur son maillot blanc et noir, n’a pas su renaître de ses cendres. Roi du monde puis choix tactiques questionnables, Joachim Löw rend la veste de sélectionneur après quinze années brillantes à la tête de la Mannschaft. Portrait.

Alors que son contrat de sélectionneur courait jusqu’à la Coupe du monde 2022, Joachim Löw a souhaité que celui-ci soit rompu immédiatement après la fin de l’Euro. C’est sur le site de la DFB, la Fédération allemande de football, que “Jogi” a indiqué avoir demandé et obtenu, de la part de sa Fédération, le droit de quitter son poste cet été. “Je fais ce pas très consciemment, plein de fierté et d’une énorme gratitude, a-t-il réagi dans un communiqué. Fier, parce que c’est quelque chose de très spécial et un honneur pour moi de m’être impliqué dans mon pays. Et parce que j’ai travaillé avec les meilleurs footballeurs du pays pendant près de 17 ans et les ai soutenus dans leur développement. J’ai de grands triomphes associés à eux et des défaites douloureuses, mais surtout de nombreux moments merveilleux et magiques.”

Avec sa carrière de joueur de seconde division et son maigre CV d’entraîneur, Joachim Löw n’avait pas vraiment le profil pour devenir une star internationale. Et pourtant.

De la Bundesliga, tu rêveras

Joachim Löw rêve de football depuis tout petit. Aîné d’une fratrie de quatre garçons, il s’inscrit dans le club de son village natal, Schnöau, près de Fribourg-en-Brisgau. Il devient rapidement le meilleur milieu de terrain de son équipe. Dietmar Krumm, le responsable de l’équipe des jeunes du club local, se rappelle encore de ce gamin d’une efficacité redoutable dans une interview pour le quotidien General-Anzeiger. D’ailleurs, lors d’une rencontre, il met dix-huit ballons au fond des filets. Vite remarqué, Löw rejoint la D2 allemande en 1978 chez lui, au SC Fribourg. Deux ans après, le VfB Stuttgart l’achète pour 500 000 deutsche marks, soit pour un peu plus de 255 000 euros. 

Le 5 août 1980, retour de la pause estivale. A tout juste 20 ans, c’est le moment pour ce fils de chauffagiste de montrer que son nouveau club a eu raison de lui faire confiance. L’avant-centre récupère un ballon et court en direction du but adverse. Dans les cages se trouve Ray Clemence, le gardien de Liverpool. Ce dernier s’élance les deux pieds en avant vers Joachim et le tacle. Double fracture du tibia et du péroné, la douleur est insupportable. Après quelques semaines à l’hôpital, plusieurs mois de plâtre et un an de rééducation, il ne parvient pas à retrouver son niveau d’antan. “La Bundesliga était toujours mon rêve mais je n’ai hélas pas pu l’attraper”, expliquera-t-il plus tard à TZ.

Il tentera tout de même à deux reprises de rejoindre la Bundesliga sous les couleurs de Francfort et de Karlsruher. Mais avec seulement 7 buts en 52 matchs, il se contente de réchauffer le banc. Comprenant qu’il n’a simplement pas le niveau pour la Bundesliga, il termine sa carrière de joueur en Suisse, au FC Winterthur où il entraîne en même temps les plus jeunes. En 1994, alors qu’il suit une formation d’entraîneur, il arrête définitivement sa carrière de joueur pour se consacrer à cette nouvelle passion. Une passion qui se transformera vite en vocation. A l’Equipe Magazine en 2014, il raconte : “J’ai toujours été entraîneur dans l’âme, même quand j’étais joueur. Quand je jouais en deuxième division, je me demandais souvent : Mais qu’est-ce que j’aurais fait à la place du coach ?” Dès 1996, le VfB Stuttgart le place à la tête de l’équipe première. Ses six premiers matchs sont six victoires. Les Stuttgartois sont conquis par ses choix tactiques qui lui font remporter son premier trophée en 1997, la Coupe d’Allemagne. En deux années à la tête de cette équipe, il compte 46 victoires sur un total de 89 matchs. La machine Löw est lancée.

Joachim Löw soulève son premier trophée de sa jeune carrière d’entraîneur. © DFB / Oliver Behrendt

Mais les débuts sont chaotiques. Jogi va de pays en pays, d’équipe en équipe, sans réel succès majeur. Les années se ressemblent, il finit toujours par être licencié rapidement, faute de résultats probants. Démotivé, attristé par cette situation, l’enfant de Schnöau se demande s’il ne ferait pas mieux de reprendre l’entreprise de son père spécialisée dans la fabrication de poêles à bois. Puis au loin, apparaît la lumière au bout du tunnel. En janvier 2000, Löw reçoit une convocation de la DFB. Il est convié à une formation de cinq mois pour apprendre le métier d’entraîneur sous toutes ses coutures. Séduit, il s’y rend. Sa vision tactique du jeu plaît et son mémoire “améliorer le jeu de passes en situation de détresse” est très bien noté. Le voilà officiellement diplômé, prêt à faire de l’Allemagne son terrain de jeu.

Die Mannschaft

En 2004, le grand Jürgen Klinsmann vient d’être nommé à la tête de l’équipe nationale allemande. Pour l’accompagner en tant qu’assistant, il se rappelle de ce camarade avec qui il a fait une formation à Cologne… Joachim Löw. Ce dernier l’a impressionné par sa lecture du jeu, sa manière d’expliquer simplement des schémas complexes. Mais tout de même, les Allemands sont surpris : aucun des deux hommes n’a réellement d’expériences solides en tant qu’entraîneur. Klinsmann insiste : ils sont complémentaires. Le premier est passionné, si ce n’est agité, au bord du terrain, le second est une force tranquille, prenant en note chaque déplacement. Ce mélange équilibré permet à la Mannschaft de rafler la médaille de bronze lors de la Coupe du monde 2006. Même s’ils n’ont pas été au bout de la compétition, le jeu de l’équipe allemande a séduit le monde entier. Les passes étaient précises, rapides, les attaques redoutables, les tacles parfaitement exécutés. La vraie deutsche qualität. Pour autant, Jürgen Klinsmann ne prolonge pas et quitte le navire, laissant Joachim Löw à la tête de l’Allemagne. 

Sous ses choix tactiques aiguisés, Jogi fait de la Mannschaft, une équipe redoutable au fil des années. Pour cela, il sélectionne attentivement chaque joueur qui compose son équipe. “Ma grille de sélection est précise, explique le coach à L’Equipe Magazine en décembre 2014. Tolérance. Discipline. Ambition. Résistance à la frustration. Capacité à se fondre dans le collectif. Tout joueur qui ne répond pas à ces critères peut mettre le groupe en danger (…). Je ne prends pas forcément les meilleurs joueurs mais ceux qui répondront le mieux à mes exigences.” La technique est redoutable. Les Allemands deviennent vice-champions d’Europe en 2008, terminent à la troisième place de la Coupe du monde 2010 et se hissent jusqu’en demi-finale de l’Euro 2012. Des résultats remarquables qui ne sont qu’un avant-goût de 2014.

Löw est plus que décidé à faire de son équipe la meilleure du monde. Pour cela, il redouble d’efforts. Une dizaine de psychologues du sport sont recrutés afin d’analyser chaque joueur attentivement, de calmer les frustrations, de booster leur motivation, de leur apprendre à gérer la pression. Aussi, Löw transmet un DVD personnel à tous les joueurs où il décrit leurs points forts et ceux à améliorer. Les joueurs ont un suivi personnalisé, les mettant ainsi en confiance pour partir au front. Une mécanique bien huilée se met en place. Toutes les équipes présentes sur le chemin de la Mannschaft, Portugal, Etats-Unis, Algérie, France, et surtout le Brésil, humilié par une défaite historique de 7 buts à 1 en demi-finale, en font les frais. C’est une véritable machine de guerre que personne ne peut arrêter. Enfin, le 13 juillet 2014, vient la consécration. Au terme d’un match difficile contre l’Argentine, Mario Götze marque le but faisant de l’Allemagne et de Joachim Löw, les rois du monde.

Les joueurs célébrant leur victoire lors de la Coupe du monde 2014. © Marcello Casal Jr/Agência Brasil/Wikipedia

Lors de l’Euro 2016, l’Allemagne fait toujours aussi peur. Toutes les équipes craignent d’être victime d’une humiliation comme le Brésil. Mais le règne de la Mannschaft et de Löw sur le monde semble se heurter à un plafond de verre : la France. Les bleus sont galvanisés par cet Euro qui se joue chez eux. Après la défaite en Coupe de monde face aux Allemands, l’équipe est en reconstruction. Même si cette demi-finale entre les deux voisins est compliquée pour l’équipe tricolore, les français remportent le match sur un doublé de Griezmann. L’Allemagne passe son flambeau à la France qui deviendra, à son tour, l’équipe la plus redoutable. Mais bien plus que cela, la Mannschaft perd la flamme qui l’anime. Les matchs sont ennuyeux, les tactiques sont moins fructueuses, bref, l’Allemagne devient battable. Puis, Löw perd de sa superbe par ses “faux-pas” filmés par les télés du monde entier. Telle la fois où il met la main dans son pantalon avant de sentir ses doigts lors du match contre l’Ukraine durant l’Euro 2016. Son triomphe de 2014 est de plus en plus oublié, laissant place à une image froide et sale.

Les blancs et noirs ont deux ans pour revenir au top niveau et tenter de réaliser un doublé en remportant deux fois de suite la Coupe du monde. Les critiques commencent à fuser, autant dans les médias que chez les supporters, qui ne prennent plus de plaisir à regarder leur équipe jouer. En 2018, l’Allemagne doit s’imposer contre le Mexique, la Suède et la Corée-du-Sud pour accéder aux phases finales. Facile. Elle perd pourtant son premier match contre les Mexicains. Bon, ça arrive même aux meilleurs, les Allemands restent confiants. Contre la Suède, le match était tendu, mais Toni Kroos parvient à arracher la victoire dans les dernières minutes grâce à une superbe frappe. Ça y est, on retrouve l’Allemagne telle qu’on l’a connue. Il faut à tout pris qu’elle s’impose contre la Corée maintenant. Désillusion. La Mannschaft est éliminée après avoir perdu 2 buts à 0. C’est la honte absolue. Alors que les Allemands sont impatients que Joachim Löw s’en aille pour mettre fin au cauchemar, celui-ci prolonge son contrat et décide de virer Thomas Müller, Jérôme Boateng et Mats Hummels de son effectif. Pour lui, le problème vient de ces joueurs, trop vieux, qui ne permettent pas aux jeunes de prendre leur place. Les supporters, autant que les joueurs, ne comprennent pas.

Pendant deux ans, Löw joue sans eux et tente différentes tactiques pour remettre l’équipe sur pied. Rien n’y fait. Malgré une nouvelle génération dorée, quelque chose manque. Les supporters n’en peuvent plus et souhaitent à tout prix un changement d’entraîneur avant l’Euro 2020. Joachim Löw ne s’en ira pas mais rappellera Müller et Hummels dans l’effectif. Les deux joueurs ont montré des prestations impeccables en club, il aurait été impensable de ne pas les rappeler en sélection, admet lui-même Jogi. C’est donc gonflés à bloc mais moins redoutable qu’avant, que la Mannschaft débute cet Euro. Le résultat est encore frais dans nos têtes : malgré une très bonne prestation face au Portugal, l’Allemagne sera éliminée en huitième de finale face à l’Espagne. C’est la fin d’une ère, un adieu pour Joachim Löw.

L’espoir Flick

Hansi Flick, 51 ans, adjoint de Löw de 2006 à 2014, sera dorénavant le nouvel entraîneur de l’équipe nationale allemande. Très apprécié et respecté par les supporters du monde entier, il incarne la renaissance. Son passage en tant qu’entraîneur du Bayern Munich en 2019 avait été un énorme succès. En une saison, il a gagné la Ligue des Champions, la Bundesliga, la Coupe d’Allemagne, la Supercoupe d’Europe, la Supercoupe d’Allemagne, le Mondial des clubs, et a remporté le Championnat une deuxième année de suite. Un CV qui fait saliver l’Allemagne qui espère bien voir son équipe briller à nouveau. 

Mais Joachim Löw ne compte pas tirer un trait sur sa carrière d’entraîneur pour autant. “Il y aura à nouveau une énergie nouvelle. Je n’ai jamais parlé de retraite. Il y a certainement de nouvelles tâches qui seront intéressantes pour moi. Pour le moment, je n’ai pas de plans concret”, a-t-il lâché en conférence de presse suite à la défaite de l’Allemagne mardi soir. Le message est passé. En attendant, l’histoire retiendra l’homme qui comptabilise le plus de victoires à la tête de l’Allemagne et qui a décroché la quatrième Coupe du monde de son pays. Sa vision du jeu et sa longévité seront, à jamais, associée à cette équipe allemande. Viel Glück, danke und bis bald Jogi !

Suzanne Jusko

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