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L’histoire du Red Star, du mythe Rino Della Negra au nouveau stade Bauer

Rien n’incarne mieux la ferveur pour son club que les habitués du stade Bauer de Saint-Ouen où réside le Red Star FC et résonne un nom : Rino Della Negra. Une figure de la Résistance d’abord méconnue, devenue le visage derrière lequel se lève toute une tribune. Mais le flou entourant l’avenir du stade Bauer menace à la fois la perpétuation de l’identité du club à l’étoile rouge et de l’image de son joueur-résistant.


Fin février 2013, le groupe de supporters « Collectif Red Star Bauer » décide de rendre annuellement hommage à Rino Della Negra par une journée de commémoration. Ce jour-là, les membres de l’association nationale des anciens combattants de la Résistance (ANACR) se rendent au stade Bauer pour se souvenir de ce jeune de 21 ans. Le joueur d’origine italienne fut fusillé par les occupants nazis sur le mont Valérien, le 21 février 1944, pour ses actes au sein de la Résistance. Ayant baigné dans l’antifascisme au sein de la communauté italienne immigrée, Rino est le joueur tout désigné pour incarner les valeurs du club audonien. Son histoire constitue un point cardinal dans l’évolution de l’identité du Red Star, unique au sein du paysage footballistique français : un résistant communiste qui mourut pour ses idéaux humanistes.  

Le Red Star n’a pas toujours été le club de la banlieue rouge, attaché au Parti Communiste Français (PCF) durant la Guerre Froide. Dimitri Manessis publiera, avec son directeur de thèse Jean Vigreux, un livre sur la vie de Rino Della Negra en fin d’année. Il explique que « le club n’a pas été créé par des ouvriers ou par des gens spécialement de gauche. On est dans le catholicisme social ». Mais malgré sa naissance dans un milieu bourgeois, le club de Saint-Ouen a continuellement disposé d’une base sociale ouvrière partageant une même culture et un idéal d’égalité sociale. « Ce n’est pas parce que le club est créé au centre de Paris que le club n’est pas populaire au regard de de la composition sociale de la capitale à la fin du XIXème siècle » souligne l’historien.

Jules Rimet et les racines catholiques-sociales du Red Star

La longue histoire du Red Star Football Club commence en février 1897, dans le 7e arrondissement de Paris, au Gros-Caillou. A l’époque, le quartier huppé du centre de la capitale contient encore quelques enclaves ouvrières. Il est situé non loin du quai de Javel, où siègent de nombreuses fabriques de chimie, remplacées à partir de 1915 par les usines Citroën. L’objectif de son créateur – Jules Rimet – était d’installer un club omnisports prônant la mixité sociale et s’opposant à la mouvance anticléricale du Parti radical, alors au pouvoir. Originaire de Theuley (Haute-Saône), d’une famille paysanne, Rimet est éduqué dans un milieu emprunt du catholicisme social. Une fois installés à Paris, ses parents fréquentent des cercles catholiques ouvriers où la question sociale est très prégnante – dans un contexte de crise économique succédant à la guerre franco-prussienne et à la répression de la Commune. Mais le brassage social par le sport tant désiré par le Franc-Comtois ne se concrétise qu’à travers la spécialisation du club dans le football. Les distinctions sociales se perpétuaient en effet au travers de sports tels que le rugby, l’escrime ou le tennis, considérés comme étant nobles et pratiqués par les enfants des familles aisées. A l’inverse, le football – sport ouvrier et populaire par excellence – pouvait réunir les conditions souhaitées par Jules Rimet. Un sport qui put se diffuser dans les milieux les moins favorisés car simple, facile d’accès, et fortement mis en avant dans les diocèses en raison de son esprit collectif.

Jules Rimet, créateur du Red Star FC

Le sport n’était pas un but en soi pour le Haut-Saônois, mais avant tout un levier pour faire passer ses idées de christianisme social. Pour lui, le sport sert à éduquer et à canaliser la violence des individus. Le Red Star comptait ainsi, par exemple, une section littéraire et artistique. Mais il ne faut pas confondre la vision du sport comme vecteur d’éducation avec une volonté de maintenir l’amateurisme. Le futur président de la Fédération Française de Football cherche à professionnaliser le club puis le championnat français. La spécialisation du Red Star dans le football visait donc également à maximiser le potentiel des joueurs et hisser le club au plus haut niveau national. En somme, Jules Rimet était l’anti-Pierre de Coubertin à l’échelle du sport et des idées politiques – ce dernier étant partisan d’un amateurisme aristocratique, mais aussi un colonialiste et un misogyne notoire. Dimitri Manessis nuance tout de même, mettant en exergue le fait que la vision de Rimet est celle « d’une collaboration de classes et que l’on reste bien loin du sport travailliste et ouvrier ».

Logo actuel du Red Star FC

En outre, le nom et le symbole de l’étoile rouge ne prennent pas leurs racines dans le communisme. La légende raconte qu’il s’agit d’une proposition de Miss Jenny, gouvernante de la famille Rimet, qui choisit la dénomination du club à partir de la compagnie maritime anglaise Red Star Line. Le logo de la société fut également repris tel quel. L’anglophilie du créateur de la Coupe du monde – goût alors très présent dans les milieux bourgeois, Jules Rimet étant devenu avocat – confirma ce choix. Le nom anglais du club n’était pas une exception au cours d’une période où les déterminants tels que United ou Athletic fleurissaient pour de nombreuses associations sportives. L’exemple le plus parlant étant le club doyen du football français, Le Havre Athletic Club, créé en 1872.

Du club de la capitale à celui de la banlieue rouge

Sous la pression des charges de plus en plus fortes que représente la location des terrains au pied de la Tour Eiffel, le Red Star se voit dans l’obligation de déménager. Une première fois à Meudon, aux alentours de 1900, avant de revenir au boulevard de Grenelle en 1907, pour définitivement s’installer en banlieue ouvrière à Saint-Ouen en 1909. Très vite, le club devient l’un des plus grands du football français, remportant quatre Coupes de France dans l’entre-deux-guerres en 1921, 1922, 1923 et 1928. Une rivalité se forme alors avec l’autre grand club de Paris, le Racing Club de France Football, basé à Colombes. Dès son arrivée à Saint-Ouen, le Red Star joue dans le stade de Paris – devenu officieusement stade Bauer après la Seconde Guerre mondiale, du nom d’un médecin résistant communiste fusillé par les Nazis en 1942. Cet écrin de 10 000 places – 3 000 actuellement – va devenir une part importante de l’identité du club audonien. Les spectateurs y assistent aux exploits du club étoilé, au beau milieu des usines de métallurgie. Le samedi, jour de match mais aussi de travail, de nombreux ouvriers vont à Bauer durant leurs pauses pour se divertir. Cette vie autour du club se perpétua jusqu’à la fin des années 1980.

L’équipe du Red Star FC, vainqueur de la Coupe de France 1942.

Lorsque Rino Della Negra arrive au Red Star FC en 1943, il est alors un grand espoir du football français. Son avenir semble tout tracé dans une équipe qui vient de gagner la Coupe de France (2-0 face au FC Sète). L’équipe première est alors composée de grands noms comme le gardien Julien Da Rui, le défenseur Helenio Herrera – futur entraîneur de l’Inter Milan qui popularisera le catenaccio en Europe – ou le virevoltant ailier droit Alfred Aston. Également ailier droit, Della Negra ne joua finalement aucun match officiel en tant que titulaire et n’œuvra sur le terrain qu’avec les équipes de jeunes. C’est en tout cas ce qui a longtemps été cru car ce dernier avait bien intégré l’équipe amateure, le club ayant perdu son statut professionnel en 1943. Il aurait pu devenir un joueur professionnel s’il n’avait pas été arrêté par l’occupant allemand pour ses actes de résistance au sein des Francs-Tireurs et Partisans Français.                                                

Le jeune Rino était un athlète complet, pratiquant de nombreux sports autres que le football – comme la boxe ou la course à pied. Ce dernier pouvait même faire 100 mètres en 11,45 secondes. « C’était la norme d’être dans un club omnisports » complète Dimitri Manessis. Cependant, son passage au Red Star FC fut très rapide. « Au début, on pensait qu’il était au club durant la saison 1942-1943, mais en fait il a commencé au début de la saison 43-44, nous indique l’historien. Donc il a joué de fin août jusqu’à novembre 1943. Il a joué tout en étant engagé dans la Résistance armée ». Il ajoute : « Son rôle a longtemps été oublié au point que certaines personnes ont considéré que Rino n’avait pas été un vrai joueur, surtout que l’équipe n’était plus professionnelle suite à la décision du gouvernement de Vichy de scinder l’équipe et d’éparpiller ses joueurs. Mais il y a quelques articles qui le mentionnent […] et on a retrouvé sa licence au Red Star ».

Photo de Rino Della Negra, retrouvée dans les archives de sa famille

Mais pour celui qui fut avant-centre au FC Argenteuil et à la Jeunesse Sportive Argenteuillaise à partir de 1937, son passage au Red Star était avant tout une progression sportive. Il ne s’agissait nullement d’un quelconque engament politique pour le joueur d’origine italienne. En effet, l’historien Claude Pennetier n’a trouvé dans les archives aucun lien entre Rino et le PCF avant son entrée dans la Résistance en 1942. De plus, l’étoile rouge du club n’avait pas de signification politique durant cette période. Le club audonien demeure apolitique jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale – malgré la base sociale ouvrière de ses supporters et l’arrivée au pouvoir municipal d’Emile Cordon en 1919, affilié à la Section française de l’Internationale communiste. Le lien politique avec la mairie se fit plus nettement à compter de 1945 avec l’élection du candidat PCF, Fernand Lefort.

Cette relation fut renforcée avec l’arrivée à la présidence du club de Jean-Baptiste Doumeng en 1967 – surnommé le « milliardaire rouge ». Le magnat fit fortune dans l’industrie agroalimentaire, notamment grâce à ses échanges commerciaux privilégiés avec l’URSS. Il resta à la tête du Red Star jusqu’en 1973, remplacé par Paul Sanchez, 1er adjoint au maire. Il n’était d’ailleurs pas rare de croiser au stade Bauer Georges Marchais – secrétaire général du Parti communiste français de 1972 à 1994 – et d’entendre retentir l’Internationale dans les tribunes. Cette période correspond également à un retour sportif au premier plan national. Le club audonien oscille alors entre première et deuxième divisions de 1961 à 1978. Fait étonnant : leur accès à la D1 en 1967 s’était effectué par l’intermédiaire d’une improbable fusion avec le Toulouse FC. Un arrangement instigué par Doumeng, jusqu’alors président club de Haute-Garonne.

Jean-Baptiste Doumeng, le milliardaire rouge.

Néanmoins, Dimitri Manessis tient à nuancer cette relation entre le PCF et le club à l’étoile rouge – car leurs liens restent indirects. Selon lui, « l’identité du Red Star est celle de la banlieue rouge, de la culture ouvrière beaucoup plus que du communisme en lui-même ». Il faut dissocier la politique économique et sportive que veut mettre en place une direction et l’identité sociale des supporters. Même à l’époque de la création du club, « Paris est encore une ville ouvrière et où la banlieue parisienne est très ouvrière ».

Les années 90: vers la fin d’une ère?

Dans les années 80 et 90, le Red Star continua de jouer en 2ème division. Cependant, l’identité communiste et ouvrière du club périclitait lentement. Le phénomène de désindustrialisation fit perdre peu à peu la culture ouvrière de la banlieue et la fin de la Guerre Froide fit décliner le militantisme communiste dans les pays occidentaux. Ce processus politique, socio-économique et historique se solda par une baisse significative de l’affluence au stade Bauer – qui n’empêcha pas la mairie audonienne de rester sous l’égide du PCF jusqu’en 2014.

L’identité ouvrière, si particulière du club du Nord de Paris, n’a toutefois pas disparu. Bien que le public actuel du Red Star demeure ancré à gauche de l’échiquier politique, l’étoile rouge ne symbolise plus le communisme pour les observateurs extérieurs. Les supporters sont davantage emprunts des idées de l’antifascisme et de l’antiracisme – retournant aux racines de l’engagement de l’ailier droit dans la Résistance. Les fans n’hésitent d’ailleurs pas à prendre parfois position par le biais de banderoles durant les matchs – comme pour dénoncer des violences policières. Un renouvellement identitaire qui explique en partie l’attachement actuel des supporters pour Rino Della Negra.

Tribune Rino Della Negra lors d’un match du Red Star.

Pourtant, son existence n’a été découverte qu’au début des années 2000 par l’historien Claude Pennetier – qui finalisa le travail de Jean Maitron sur son Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Preuve en est, l’agencement d’une plaque commémorative à l’entrée du stade Bauer en 2004. Les supporters ont même renommé la tribune principale au nom du résistant.

L’historien Dimitri Manessis explique que la représentation de l’ailier droit par les supporters du Red Star est à transposer en réaction à la montée du Front National depuis la fin des années 80 – ponctuée par les élections de 2002. La perpétuation de sa mémoire – et celle de la banlieue – met en exergue le besoin pour certains de s’attacher à une personne qui retranscrit leurs valeurs. Pour lui, « ceux qui ont permis que l’icône de Rino Della Negra reprenne toute sa place dans la vie du club, ce sont les supporters à partir des années 2000. Pour faire venir cette figure dans les tribunes ». Ils ont été à l’initiative de mettre en place la plaque commémorative pour le résistant à l’entrée du stade en 2004 – rejoint par la mairie, la région Île-de-France ainsi que la direction.

Plaque commémorative pour Rino Della Negra, à l’entrée du stade Bauer.

Rino Della Negra : plus qu’un joueur, le gamin de la banlieue rouge

Né dans le Pas-de-Calais en 1923, Rino Della Negra vécut son enfance à Argenteuil, où une grande communauté italienne était présente. Beaucoup ont fui le régime fasciste de Mussolini, comme ses parents. A 14 ans, en 1937, il devient apprenti ajusteur aux usines Chausson d’Asnières-sur-Seine – tout en jouant dans différents clubs d’Argenteuil. L’archétype du jeune prolétaire ouvrier faisant du football durant de son temps libre.

C’est le prototype du gamin de banlieue rouge. Il est français, naturalisé en 1938, issu de l’immigration italienne. Il est né dans le Nord et a vécu à Argenteuil où il baigne dans le milieu de l’immigration ouvrière et antifasciste. C’est une figure assez emblématique de ces années-là et des territoires-là”.

Dimitri Manessis

Son père est arrivé en France dans les années 1920 dans le cadre des reconstructions des régions ravagées par la Grande Guerre. « C’est pour ça que la famille Della Negra s’installe d’abord dans le Nord, dans la ville de Vimy dans le Pas-de-Calais. Ce sont des territoires qui ont été complétement dévastés par l’occupation allemande lors de la Première Guerre Mondiale » indique Dimitri Manessis, ajoutant : « Son père était briquetier et faisait partie de ces vagues d’immigrés venus au moment de la période de reconstruction de ces territoires ».

L’Argenteuillais est marqué par l’antifascisme mais n’est alors pas engagé dans le communisme. C’est à partir d’octobre 1942 qu’il entre aux 3e détachement italien des Francs-tireurs et partisans de la main d’œuvre immigrée (FTP MOI) sous le commandement de Missak Manouchian – refusant de se soumettre au service du travail obligatoire (STO) en Allemagne. Dans un premier temps, il dut se cacher chez des amis arméniens, sans tenir au courant sa famille. Dès lors, sous le pseudonyme « Robin », Rino entreprit plus d’une douzaine actions résistantes : l’exécution du général Von Apt le 7 juin 1943, l’attaque du siège central du Parti fasciste italien à Paris le 10 juin 1943, ou l’assaut de la caserne Guynemen à Rueil-Malmaison. Della Negra participait ainsi aux opérations du groupe Manouchian en parallèle de ses entraînements au Red Star – sans que ses coéquipiers ne le sachent.

L’Affiche Rouge, propagande vichyste dévoilant une partie des membres du groupe Manouchian

Son dernier haut fait fut un échec. Le 12 novembre 1943, une attaque contre des convoyeurs de fonds allemands tourne mal. L’ailier droit est blessé puis capturé, comme le reste du groupe Manouchian les jours suivants. En résulte la publication de l’Affiche Rouge à l’occasion du procès des membres de la FTP MOI, le 17 février 1944. Une propagande vichyste visant à les discréditer, sous prétexte qu’ils soient étrangers, communistes ou d’origine juive. Le joueur du Red Star n’apparaît néanmoins pas sur l’affiche – probablement grâce à son physique avantageux qui aurait correspondu aux critères de beauté de la propagande nazie. Dimitri Manessis propose deux autres théories. La première, « qu’il n’aurait pas été immédiatement emprisonné car il était blessé quand il fut arrêté. Il est d’abord emmené à l’hôpital et n’est pas avec ses camarades ». La seconde est « qu’il aurait été tellement torturé que les photographes de l’armée allemande n’auraient pas pu décemment le photographier dans cet état ». Ce qui peut expliquer en partie son oubli dans la mémoire collective, jusqu’au début des années 2000. Pour l’historien, « le Parti communiste a effectué un travail de mémoire, pas spécifiquement sur Della Negra, mais bien sur les FTP MOI et le groupe de Manouchian dès la Libération, puis dans les années 50 et 60 ». Le temps a fait le reste sur les mémoires collectives.

“Envoie le bonjour et l’adieu à tout le Red Star”.

Rino Della Negra, dans une lettre à son frère

Avant son exécution le 21 février 1944, l’attaquant écrivit deux dernières lettres destinées à sa famille – une à son frère et une autre à ses parents. Les recherches de Dimitri Manessis l’ont amené à découvrir ces lettres longtemps considérées comme perdues. Il raconte que « c’est dans la lettre à son frère qu’il dit qu’il va être fusillé alors qu’à ses parents, il leur annonce qu’il va mourir, comme un soldat ». Cette trouvaille a aussi révélé que « la dernière lettre pour son frère avait été caviardée » (censurée), nous dit l’historien.  Dans celle-ci, il demande de « faire un banquet ». Mais il a surtout ajouté « prenez-vous tous une cuite en pensant à moi », « ce qui a été enlevé de toutes les reproductions » énonce Manessis. C’est par ailleurs dans cette dernière que Rino mentionne son club pour passer « le bonjour et l’adieu à tout le Red Star ».

L’avenir du stade Bauer s’écrit en pointillés 

En 2014, le président du Collectif Red Star, Vincent Chutet Mezence, explique avoir fait la demande à la mairie de Saint Ouen de nommer officiellement la tribune principale du stade Bauer « Rino Della Negra ». La proposition demeura en suspens compte tenu du contexte de la campagne municipale. Depuis, c’est William Delannoy, de tendance centre-droite (UDI), qui est à la tête du pouvoir municipal. Et cette requête ne semble pas à l’ordre du jour pour la mairie actuellement.

Bien qu’officieux, le nom Rino Della Negra est bien entré dans toutes les têtes.

En outre, la tribune est officieusement appelée « Rino Della Negra » (son nom officiel est « 1ère F »), un nom entré dans les mœurs. Dimitri Manessis raconte amusé que « lorsque François Hollande est allé visiter le Red Star en 2015, en tant que Président de la République, il a évoqué le nom de la tribune Della Negra ». C’est d’ailleurs le même processus avec le nom du stade Bauer, qui s’appelle en réalité « stade de Paris ». Pour Manessis, « c’est tout un passé lié à la culture populaire, ouvrière et antifasciste d’un territoire qui imprègne la culture sportive du club car ses supporters et son identité sont indissociables de cette culture-là ».

Le stade est d’ailleurs une question d’actualité politique pour la ville. En effet, l’enceinte ne respecte plus les normes instaurées par la Ligue de football professionnel afin d’être homologuée pour la Ligue 2. En conséquence, les supporters du club audonien étaient obligés de se rendre au stade Pierre-Brisson à Beauvais pour voir leur équipe jouer à « domicile ». La rénovation de Bauer semble donc inévitable. D’autant que le stade est un incontournable de l’identité du club, tout autant que la figure de Rino Della Negra pour les supporters.

Le bâtiment suit le Red Star depuis 1909 et son arrivée dans la banlieue rouge de Paris. Patrice Haddad, actionnaire majoritaire et président du club depuis 2008, est très impliqué dans ce projet de rénovation. L’envie de la direction et des supporters est de ne pas détruire le stade et de rester à Saint Ouen. L’ancrage régional en Seine-Saint-Denis s’est renforcé par l’investissement de 5 millions d’euros dans un nouveau centre de formation au stade Marville, à La Courneuve – considéré comme la première phase du projet pour Haddad, devant aboutir en 2024.

Projet présenté par le groupe Réalités.

En juin 2018, un appel d’offre a été lancé par la Métropole du Grand Paris. Il déboucha l’année d’après sur la victoire du projet soumis par le groupe Réalités. Ce dernier a mis en avant le projet d’un stade rénové à l’anglaise avec une capacité de 11 000 places qui avait la faveur des supporters. Une des tribunes aurait été accolée à un centre commercial et des bureaux afin de faire baisser de 20% le prix du mètre carré. Néanmoins, le maire a recalé le projet fin 2019, privilégiant une enceinte beaucoup plus grande avec au moins 15 000 places – alors même que l’affluence par match atteint à peine 1000 personnes. Un projet que l’édile juge aussi trop dense et ne s’intégrant pas dans le paysage urbain – ce qui peut apparaître paradoxal à la vue du gigantesque bâtiment du Conseil régional et du futur village olympique.

Le projet présenté par le groupe Pitch et le cabinet Wilmote, qui a la faveur du maire de Saint-Ouen.

Pareillement, des tensions sont apparues entre la direction et les supporters. Autour du stade, mais aussi concernant les canaux de financement. Le choix de Vice comme sponsor maillot fit ainsi débat – un média appartenant au groupe Disney. L’autre récent point de discorde fut la sponsorisation du Red Star Lab – le volet social et artistique du club – par le groupe Uber. Une multinationale tête de gondole du capitalisme mondial qui généralise les emplois précaires dans les quartiers populaires, où le chômage est endémique.

La rénovation du stade Bauer s’écrit donc en pointillés entre des supporters souhaitant une enceinte similaire à la précédente et aux normes du football moderne et un maire à la vision déracinée de la véritable situation du club et de la ville. Si ce destin se dessine, Rino Della Negra ne deviendrait qu’une marque parmi tant d’autres. Mais tant qu’il y aura des supporters pour veiller, sa mémoire survivra.

Guillaume Orveillon

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