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Grégoire Margotton : “Le football n’est pas un lieu de guerre”

Rendez-vous en terrains connus avec Grégoire Margotton

Grégoire Margotton nous livre ses quatre vérités sur les sélections nationales et l’impact du football dans la géopolitique mondiale. Un « second poteau Caviar » des plus décisifs, comme on l’aime.
Propos recueillis par Tristan Boissier, Jules Grange Gastinel et Théodore Vives.


Si vous ne deviez retenir qu’une seule affiche internationale depuis
votre arrivée à TF1, quelle serait-elle ?

C’est assez simple. Il n’y a encore pas si longtemps vous m’auriez dit Canal+ ça aurait été plus compliqué, mais à TF1 c’ est assez simple. France-Argentine, huitième de finale de Coupe du monde évidemment. Certains diraient la finale, mais moi c’est le 8ème.

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Existe-t-il une préparation différente des rencontres en fonction des sélections nationales, à l’ instar d’ une affiche avec des nations moins connues du grand public ?

C’est là que la préparation est différente. Pour la France, je me contente de faire du jour le jour. C’est un boulot qui se passe à l’année : je regarde ce que font les joueurs en club, je suis particulièrement attentif aux clubs où les sélectionnés français peuvent jouer, et j’ajoute à mon dossier des infos sur les joueurs tout au long de l’année. Andorre, par exemple, le match étant dans 3 semaines, je vais aller sur quelques sites qui vont me donner des infos sur la sélection depuis 3, 4, 5 rassemblements. Je prépare une fiche globale et j’affine petit à petit via des parcours particuliers, en allant chercher des infos plus précises sur quelques joueurs, sur l’histoire de la sélection et sur les performances récentes. Si j’arrive à trouver une petite info ou deux sur 4 à 5 joueurs, ça me suffira. Je préfère en savoir beaucoup trop et en utiliser moins pendant le match.

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A l’occasion d’un match à enjeu, pensez-vous au dépassement du purement sportif lors de la préparation de la rencontre ?

Toujours, toujours. Quand je vais aller faire une compétition en Russie, je ne vais certainement pas arriver sans connaître ce qu’il s’y passe au minimum. Au-delà du football, quand je vais faire les Jeux Olympiques à Pékin, je ne vais pas simplement m’intéresser aux J.O, mais un peu à la Chine : la situation de Pékin, ce qui a été fait pour la circulation ou la pollution dans la ville. Tout m’intéresse. Après, un France-Allemagne, je vais le commenter en ayant conscience du passé, et ce en permanence. Les rendez-vous France-Allemagne, ça fait 60 ans que ça dure et je ne les connais pas tous, mais il faut un peu jouer avec l’histoire pour pouvoir gérer le présent.

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Existe-t-il une différence de perception pour le spectateur des
enjeux d’une confrontation entre sélections et une rencontre entre
clubs ? Peut-on, par extension, parler de « peuple marseillais » ou
de « peuple lyonnais » ?

Je ne sais pas si c’est une expression toute faite, car au bout d’un moment, quand ça devient le peuple de chaque équipe, ça me fatigue. Il y a certains clubs dont l’histoire est tellement ancienne et importante que l’ on peut parler de peuple oui. Il y a clairement toujours eu une tradition ouvrière de supportérisme visible à Saint-Etienne. Mais est-ce qu’il faut parler de « peuple vert » pour autant ? Je ne sais pas. Je préfère parler de « chaudron ». J’ aime bien donner des noms aux stades, parce que là il y a une histoire et chacun a un surnom ou un nom différent. Un « peuple » au sens large, cela me paraît un peu compliqué. En revanche, quand l’équipe de France joue, elle représente le peuple français. Elle est un symbole quand on la regarde visuellement, qui représente ce qu’est la réalité de la France aujourd’hui. On a vu l’ équipe d’ Allemagne évoluer tout comme le peuple allemand qui était très uni racialement jusqu’aux années 1980. Et petit à petit, on a vu un (Jérôme) Boateng ou des populations d’ origine turque au sein de l’équipe nationale. Donc oui, souvent, voire même toujours, la sélection nationale reflète l’évolution de son peuple.

Est-ce concevable, selon vous, pour une société moderne de « vivre au
rythme du football » ?

La société moderne vit au rythme du football et le football vit au rythme de la société qu’ il est censé représenter. Le football ne représente pas la société, c’ est un mode d’ expression de la société comme la musique, l’art, ou la façon de faire de la politique. En revanche, les équipes nationales et les clubs représentent la société à un moment donné. Quant à l’expression « le football est le miroir de la société », je ne suis pas certain que cela aille jusqu’à ce point-là, mais on trouve des vérités sur nos sociétés quand on analyse les équipes de football.

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Commenter une rencontre entre deux sélections nationales est-il plus
grisant qu’un match de clubs ?

Non. Ce qui est grisant, c’est d’arriver au stade. C’est d’arriver dans un
beau stade, dans un lieu où l’on sent que le football a une importance.
Dans un stade plein. Ça, c’est grisant. Que ce soit Beikta, Glasgow ou Nœux-les-Mines, c’est tout aussi grisant. Le football de club n’est pas
plus ou moins grisant que le football de sélection nationale.

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Est-ce qu’un match de football entre sélections nationales peut devenir
l’incarnation de tensions géopolitiques entre deux Etats ?

C’est tellement l’ incarnation de tensions qu’ aujourd’hui il y a des tirages au sort qui sont faits en fonction des situations géopolitiques. Cela me désole, parce que je pense que le football et le sport au sens large, permet, quand on organise des évènements de grande ampleur dans un pays qui ne respecte pas tel droit ou qui se comporte de telle manière, de faire avancer le « schmilblick ». Certains s’élèvent et disent : « Mais c’est scandaleux ! Il ne faut pas organiser ! ». Moi je suis profondément de l’avis contraire. Ça peut heurter nos consciences au moment M, mais quand on se projette, je pense que n’importe quelle compétition sportive organisée dans un pays compliqué fait bouger les lignes. Ça a été le cas à Pékin, ce sera sans doute le cas au Qatar. Le football sert aussi à mettre l’œil du monde sur la situation d’un pays. A l’occasion de la Coupe du monde de 1978, on a autant parlé de la dictature de Videla que de la compétition organisée par l’Argentine. Et, si la Coupe du monde n’a pas fait tomber la dictature en Argentine, elle a mis en relief une situation et a certainement permis de faire avancer l’histoire un tout petit peu plus vite.

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Et, justement, que pensez-vous des appels au boycott de la Coupe du Monde 2022 au Qatar ?

Avec mon grand âge (rires), je suis opposé au boycott des compétitions sportives. Les compétitions qui risquent de laisser économiquement des villes ou des pays dans des situations financières compliquées, ça j’y suis résolument opposé. Athènes c’était compliqué en 2004 pour les jeux ; Montréal paye encore les jeux de 1976 : ça, c’est compliqué. Mais sinon, je suis contre le boycott des compétitions sportives et à vrai dire il y en a de moins en moins. En 1980 quand les USA ne vont pas à Moscou et quand en 1984 l’URSS de l’époque ne va pas aux J.O. de Los Angeles, à l’arrivée ça fait des demi-jeux et ça ne fait pas avancer non plus la nature de la Guerre Froide entre les deux blocs. Le boycott a été une arme à un moment dans les années 1970-1980… ça l’est un peu moins aujourd’hui. Je pense que les pays ont compris que participer était plus important que boycotter et qu’on pouvait participer en ayant un discours actif. Un discours qui permet de dire qu’on n’est pas dupe par rapport à la situation.

Dans cette optique, que pensez-vous des tensions autour des matches
France-Turquie ?

Ce n’est pas que France-Turquie. C’est la Turquie contre le reste du monde aujourd’hui. Parce que dans ce cas précis, le foot est une arme de communication massive de la part du pouvoir turc. Et il s’en sert pour créer, ce qui est le boulot de la Turquie depuis plus d’un siècle, un sentiment de cohésion et de roman national, dont le foot fait partie intégrante. Au mois de juin dernier, à Konya, pour le match entre la Turquie et la France , on se retrouve dans un lieu bien précis au centre de la Turquie, dans une ville très religieuse, sans doute plus qu’ à Istanbul. Mais ça aurait été Allemagne-Turquie, je pense que les Allemands auraient été reçus de la même manière que les Français. C’est un moment de la situation turque qui fait que, quand on va jouer en Turquie, on est accueilli de façon tendue et que les hymnes sont sifflés. Ce n’est pas simplement lié à la relation entre la France et la Turquie.

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Toujours par rapport aux tensions entre sélections, auriez-vous quelques
anecdotes sur des rencontres à grande rivalité qui vous ont marqué ?

J’ai plutôt des anecdotes sur l’évolution positive des relations entre les publics. Je me souviens de l’accueil des Français champions du monde à Munich, deux mois après leur titre. C’était le premier match à l’extérieur, à l’Allianz Arena et le public allemand avait applaudi l’entrée des Français. Je ne suis pas certain que cela aurait été possible il y a 30 ans. Voilà, il peut y avoir des tensions, mais pas forcément de la violence. Il peut y avoir beaucoup de chambrage, beaucoup d’intensité dans le rejet de l’autre, mais pas de la violence. Je me souviens également d’un match que j’avais commenté à Asunción entre le Paraguay et l’Argentine, à l’occasion d’une qualification pour la Coupe du monde, il y a 25 ans sur Canal+. Paraguay-Argentine, ça a été une guerre, la guerre de la triple-alliance (“guerre du Chaco” contre la Bolivie, 1932-1935, ndlr). « Quand on apprend l’histoire grâce au foot ». Et le stade à Asuncion s’appelle « les défenseurs du Chaco », ce qui a véritablement un sens politique. Cela dépasse le simple cadre du sport. Ils ont donné au stade national à Asuncion le nom d’une guerre. Ça avait été chaud, mais pas violent : le foot comme on l’aime. Et je me souviendrai toujours de Redondo, joueur argentin qui avait mis un but et une passe décisive. L’Argentine avait gagné 3-1 au Paraguay, et ça n’avait pas déclenché une guerre civile pour autant. Le hooliganisme, les tensions politiques se sont exprimés et s’ expriment encore dans le football. Mais moins que dans un passé pas si éloigné. Le football n’est pas un lieu de guerre. Ça reste de plus en plus au niveau symbolique.

Le football ne représente pas la société, c’ est un mode d’expression de la société comme la musique, l’art, ou la façon de faire de la politique.

Une forte rivalité entre villes ou nations rend-elle la rencontre plus difficile à commenter ? A-t-on peur du « mot de travers » ?

Cela n’ empêche pas de parler, de dire ce qu’ on a envie de dire. Ça impose une connaissance de la situation. France-Espagne, il n’y a pas la connotation politique ou historique d’ une grande rivalité. Elle est juste footballistique depuis 20 ans. Effectivement, un France-Irlande se commente aussi avec en fond notre culture à tous de la main de Thierry Henry. Il faut connaître tous ces événements pour pouvoir ensuite s’en détacher ou pour savoir expliquer une banderole ou un chant qui arrive pendant la rencontre.

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Le commentateur sportif est-il totalement libre dans son expression à l’occasion d’une rencontre suivie par des millions de téléspectateurs ? Peut-il être contraint politiquement ?

Contraint politiquement non. Totalement libre jamais. On commente tous en conscience, avec son niveau de langage. Et évidemment on ne commente pas avec un micro en sachant qu’on parle à quelques personnes, et parfois des millions, comme si on était dans son salon avec des copains en buvant une bière et en mangeant des pizzas. Donc ce n’est pas le même niveau de langage : il y a sans doute plus de filtres qui s’ajoutent dans mon esprit au moment où je commente mais qui ne m’empêchent pas de commenter. Après, avant de dire une phrase, je vais peut-être tourner ma langue un peu plus de fois que si j’étais avec des copains à 0,8 gramme dans mon canapé, ça c’est sûr.

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Que pensez-vous de la désignation de Baku comme ville hôte de la
finale de la dernière Ligue Europa ?

Il y a beaucoup de choses qui rentrent en jeu sur ce genre de problématique. Où est l’Europe ? Où commence l’Europe ? Où s’arrête l’Europe ? Est-ce que Baku est en Europe ? J’ai entendu ces questions sur une multitude de pays depuis l’agrandissement progressif de l’Union Européenne et du football européen. Le football va souvent plus vite que la politique, et la précède même parfois. Participent à la Ligue Europa des clubs israéliens : est-ce qu’Israël fait partie de l’Europe géographiquement et historiquement ? Donc le seul reproche que je fais à la désignation d’une ville comme Baku, c’ est un reproche ni politique, ni géostratégique, ni historique, c’ est un reproche tout simplement pratique. C’est compliqué logistiquement pour les supporters des clubs de se rendre à Baku, d’ organiser un déplacement et de se donner l’impression qu’ ils sont finalement toujours dans la même compétition que celle à laquelle ils assistent depuis le départ. C’est le seul reproche, mais il est très important, et c’est une finale tronquée dans son ambiance et son intensité. Ce serait également le reproche que je ferais à la Ligue 1 si elle décidait d’organiser un sommet à New York. Ça a été évoqué un jour, comme la NBA qui organise des matches à Paris. On parle de développement à l’international, moi je ne suis pas contre, en revanche, on est dans la quadrature du cercle au niveau des conséquences pour les supporters des deux camps. Et c’est un problème difficile à résoudre.

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Mesut Özil défie le gouvernement chinois en affichant son soutien aux Ouïghours tandis que Mohamed Salah aurait terminé second de la présidentielle égyptienne si les bulletins contenant son nom étaient comptabilisés. Doit-on en déduire que les footballeurs ont un impact politique majeur sur nos sociétés ?

Ce n’est pas un impact politique majeur. Il est clair qu’on les utilise pour faire passer des messages, comme en Égypte avec Mohamed Salah et je ne sais pas si le message est passé d’ailleurs. Son nom a été utilisé pour exprimer le rejet d’ une situation dans un pays. Après, certains, très peu, mais certains joueurs de foot prennent des positions politiques comme Mesut Özil. Il l’avait fait aussi en s’affichant avec Erdogan par rapport à son pays d’ origine. Ce ne sont pourtant pas eux qui changent le monde, et évidemment ça n’est pas le football qui change le monde. On parlait de reflet, de miroir, qui permet parfois de donner une caisse de résonnance à certains propos, à certaines idées, à certains discours, mais il ne faut pas lui donner plus d’importance qu’il n’en a.
En revanche, je ne suis jamais mécontent de voir des footballeurs
prendre des positions, pas forcément politiques, mais au moins
au-delà de leur propre métier et de leur propre activité, ce qui est de
plus en plus rare, nettement plus rare que pendant mon enfance.

Tout propos recueillis par J.G.G., T.B. et T.V.

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