Football

Débordements à Bollaert : les banderoles de la colère

Alors que je voyais se dessiner devant moi une victoire nette du RC Lens contre Troyes le 5 novembre, le contraste entre l’ambiance globale de Bollaert et les banderoles virulentes des supporters contre la direction avait de quoi surprendre. En cause : les convocations des supporters lensois après des débordements contre Lille.


En haut de la tribune Trannin du stade Bollaert en ce vendredi frileux de novembre, la vue était parfaite pour admirer la victoire d’un RC Lens enthousiasmant face à Troyes sur le score de 4-0. Attiré par les couleurs des maillots et des écharpes, le regard glisse assez vite vers le centre de la tribune Marek, où les ultras font entendre leur voix… mais aussi lire leur mécontentement : « Racing Club de Ba Lens », « Au classement de la délation, RC Lens Champion » … Le ton des banderoles qui se succèdent semblent bien détonner avec le spectacle qui se joue sur la pelouse. Ici, rien à voir avec les tensions habituelles entre supporters et direction quand les résultats ne suivent pas. En cause, des convocations au commissariat de supporters lensois à la suite de l’envahissement de terrain lors du derby contre le LOSC, jugées abusives.  Contrairement aux engagements qui auraient été pris par le club, celles-ci auraient en effet concerné également des supporters non directement impliqués dans des faits de violence.

Dans un club élevé en modèle pour l’ambiance de ses tribunes et la ferveur de ses supporters, la violence des banderoles, qui ont (plus que) flirté avec la thématique de la délation et de l’occupation nazie, a de quoi étonner. Elles paraissent bien illustrer un manque criant de dialogue, de compréhension et de considération réciproques entre les différents acteurs de la sécurité des stades de football. Ceci doit poser question, alors que la Ligue 1 semble proposer une des saisons les plus enthousiasmantes sur le plan du jeu et des scénarios de matchs.

L’origine de la colère

Petit rappel des faits. Lors de la mi-temps du derby face au LOSC le 18 septembre dernier, plusieurs dizaines de supporters lensois avaient pénétré sur la pelouse à la mi-temps pour en découdre avec le parcage lillois, en réponses à de multiples provocations, et à des saluts nazis, objets d’une des banderoles affichées pendant le match face à Troyes. Six personnes avaient été évacuées vers des hôpitaux, pour des blessures légères. Problème : quel discernement est-il réellement possible de faire dans les sanctions entre initiatives délibérées de violences pour certains, tentatives d’entrave de ces violences pour d’autres, et enfin supporters se retrouvant là simplement pris dans le mouvement ? Selon un communiqué commun des groupes de supporters lensois publié le 5 novembre, les dirigeants lensois avaient certifié « qu’aucune plainte ni poursuite judiciaire n’auront lieu à l’encontre des personnes qui n’ont commis aucune violence ». Ils déplorent à la ligne suivante : « malheureusement, quelques jours plus tard, les convocations pleuvent », tout comme les interdictions administratives de stade. C’est cela qui amène les banderoles : un sentiment d’abandon de la part de la direction, et d’absence de nuances et de discernement dans la politique de sanction.

Deuxième du championnat avec des joueurs qui se révèlent, porteur d’un projet de jeu collectif enthousiasmant, soutenu par un des plus beaux publics de France avec une identité forte… Sur le papier le RC Lens a tout pour que la relation entre supporters et direction soit idyllique, et le match de vendredi en était un nouvel exemple. Il ne peut donc être question ici d’instrumentalisation de mauvais résultats. On ne peut imputer aux supporters aucune volonté de créer la crise dans leur club, ou de ne pas avoir à cœur la réussite sportive de l’équipe. La démarche des supporters pendant le match de vendredi mérite justement notre attention à cause de cela.

Le dilemme de la gestion des supporters

Leur absence s’était cruellement fait ressentir pendant les restrictions sanitaires liées au Covid-19. Et pourtant, entre interruptions de matchs, interdictions de déplacement et fermetures de tribunes, qui tendent à devenir la norme, ce début de saison dessine un football où le supporter devient un problème. Tout un paradoxe illustré par les supporters marseillais, dans des banderoles eux aussi lors de la réception de Metz dimanche 7 novembre : « matchs à 13h pour les télés étrangères : jugement de OM-PSG décalé pour vous cacher d’être le seul pays à fermer les tribunes pour leur ferveur… Cette même ferveur qui vous sert pour la promotion de votre Ligue 1 : le ridicule continue ! ». Après le Classique, les menaces liées au retrait du point en sursis se sont réveillées à cause de l’utilisation de fumigènes, alors même que les réseaux sociaux mettaient en évidence l’impression plus que positive laissée par le Vélodrome partout dans le monde. La tension est claire, et entre argument marketing et enjeu sécuritaire personne ne semble plus vraiment savoir comment trancher le dilemme de la gestion des supporters.

 Cette tension est aussi inhérente aux supporters : chaque débordement dans un stade est l’occasion de débattre de ce qu’est un « vrai » supporter. Sous un article publié sur le site Lensois.com à la suite du match contre Troyes, cela se retrouve dans les commentaires laissés par des internautes. Le contenu des banderoles, avec la thématique nazie, offense largement certains, tandis que d’autres justifieront toujours l’action des supporters, sans qui le club ne serait rien. Il s’agirait donc d’adopter une « ligne rouge » comprise et acceptée par l’ensemble des acteurs, pour trancher entre ce qui est acceptable et ce qui serait soumis à des sanctions.

L’atteinte à l’intégrité physique : une possible ligne rouge

C’est le match Nice-OM, initialement joué le 22 août dernier, qui a notamment remis cette notion au centre des débats.  C’est en effet l’ « atteinte caractérisée à l’intégrité physique des joueurs de football, ce qui est totalement inacceptable » qui a amené la commission de discipline et  son président Sébastien Deneux, cité ici, à prendre des sanctions de grande ampleur en réaction aux incidents de l’Allianz Riviera. On pourrait alors considérer ces atteintes comme une limite viable pour trancher entre « bon » et « mauvais » comportement de supporter. Les fumigènes en sont l’exemple typique : tant qu’ils sont allumés dans les tribunes, pour faire un show, ils pourraient être un « bon » comportement, mais s’ils atterrissent sur la pelouse, ou évidemment empêchent la visibilité des joueurs, ils seraient un « mauvais » comportement. Les limites de cette distinction apparaissent cependant rapidement : en 2017, un supporter bordelais était sorti d’un Bordeaux-Marseille avec une grave blessure à la main à la suite de l’utilisation d’un pétard agricole, qui n’avait pas atterri sur la pelouse.

Les images impressionnantes et particulièrement télévisuelles de ces nuages de fumée colorée avaient néanmoins amené en juin 2020 la ministre chargée des Sports Roxana Maracineanu à rendre effectif un retour encadré des fumigènes, à l’issue d’une réunion de l’Instance nationale du supportérisme. Ce fut le cas pour la première fois lors du match Toulouse-Grenoble en Ligue 2 le 18 septembre. Localisés dans un seul virage, les bâtons incandescents étaient placés sous responsabilité d’un artificier et manipulés par des supporters dotés d’équipement de protection. Il ne faut en effet pas oublier que la température des fumigènes peut atteindre plusieurs centaines de degrés : le danger est là, et c’est aussi vrai pour les autres outils pyrotechniques parfois utilisés en tribunes.

L’atteinte à l’intégrité physique peut donc représenter une ligne rouge pour l’appréciation d’actions de supporters, comme pour les fumigènes, ou un critère de gravité dans le cas de débordements. Cette ligne rouge ne reste cependant qu’incomplète si elle ne prend en compte que l’intégrité physique des joueurs de football. Elle ne peut pas non plus dicter à elle seule l’ampleur des sanctions ou les décisions d’interruptions de match, laissant sous silence les offenses verbales, parfois racistes ou homophobes.

Malgré l’urgence, personne ne tranche

Chacun se rejette donc la responsabilité. Le match Nice-OM a aussi mis cela en lumière : entre préfet, Ligue, président de l’OM, président de l’OGC Nice, on se perdait presque dans l’ensemble des acteurs pouvant être à l’initiative de l’arrêt du match, et l’ayant finalement décidé au bout de dizaines de minutes de suspense pour les spectateurs présents au stade.

« L’organisation du parcage était digne d’un club de seconde division, la sécurité privée était complètement dépassée et les autorités ont attendu l’envahissement de terrain pour réagir »

Communiqué commun des supporters lensois

Les banderoles du RC Lens ont montré aussi la gêne médiatique. A Bollaert, les ultras lensois sont en plein centre de la tribune Marek, la tribune latérale face aux bancs des équipes. S’il était donc impossible de cacher les banderoles pendant la diffusion du match, les commentateurs du soir n’y ont eux pas fait allusion. Personne ne prend vraiment à bras le corps cette question hautement disputée, ni avoir un début de solution. Solution qui paraît cependant devenir une urgence. Le communiqué commun lensois voyait un cercle vicieux entre multiplication des sanctions collectives contre les supporters et les actions de ces mêmes supporters : la surenchère appellerait la surenchère. Et celle-ci n’est pas viable. On l’a vu, les engins pyrotechniques font des blessés. La surenchère dans les fumigènes et les pétards agricoles peuvent faire craindre un drame, dans une volonté d’aller toujours plus loin face aux sanctions des instances. Et ce n’est pas le seul risque : il n’y a pas besoin de remonter loin dans l’histoire du football pour voir le danger des mouvements de foule, sans parler des violences physiques directes. Une surenchère qui pourrait amener encore plus de fermetures de tribunes et d’interdictions de déplacement, et ce n’est pas vraiment non plus le football qu’on aime regarder.


Les débordements dans les stades et les polémiques autour des sanctions collectives ont ramené dans le débat la question de l’utilisation de technologies de reconnaissance faciale dans les stades. Le patron d’une société privée a confié à l’AFP sous couvert d’anonymat : « c’est clairement un sujet tabou, mais je peux vous assurer que ça intéresse les clubs ». Des caméras à reconnaissance faciale à Bollaert, un bon moyen d’assurer des sanctions proportionnées et visées ?  Entre remise en cause des libertés individuelles et débats quant à leur fiabilité, elles sont pour l’instant proscrites par le droit français. A voir si c’est par le football que cela va changer, et si c’est réellement quelque chose que l’on doit espérer.

Chloé Michel





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