Connectés par les entraîneurs mythiques, puis par des joueurs emblématiques, la filiation entre les Pays-Bas et le FC Barcelone trouve un dernier point d’ancrage : celui de la formation. Pour tisser de nouveaux liens toujours plus solides, Barcelone peut de nouveau s’appuyer sur son cousin hollandais, l’Ajax Amsterdam. Éloigné géographiquement mais frontalier par les principes inculqués dès le plus jeune âge.
Au-delà de transferts de joueurs plus ou moins confirmés entre l’Ajax et Barcelone, les ressemblances entre les deux institutions restent visibles bien plus tôt, dès le plus jeune âge dans les catégories jeunes. Ils possèdent des académies aux projets similaires. La Masia et De Toekomst sont d’ailleurs reconnues comme parmi les meilleures académies européennes. Carles Martinez Novell, ancien formateur barcelonais explique cette connexion : “Évidemment l’idée de jeu hollandaise c’est quelque chose que le Barça s’est appropriée. Je ne sais pas si c’est grâce aux Pays-Bas que le club est ce qu’il est, mais les deux sont connectés […] L’école hollandaise est faite pour le Barça et inversement. Le club a une image particulière des Pays-Bas notamment avec La Masia. Cela s’est perpétué de Rinus Michels à Johan Cruyff grâce à un véritable enseignement”.
LA CONNEXION PAR LA FORMATION
Carles Martinez Novell a été en charge pendant cinq ans des U14 et U16 de FC Barcelone et est, plus que quiconque, au courant de cet enseignement. Il préfère ne pas dévoiler les coulisses de cette formation mais insiste sur l’importance du jeu et que celui-ci doit être semblable pour l’intégralité des catégories du club. Même son de cloche du côté d’Amsterdam Ladreb, supporter français des Lanciers, revient sur ces principes : “La première ressemblance est d’abord d’inculquer les mêmes principes et le même schéma de jeu pour toutes les équipes à partir du passage au foot à 11, en mettant la priorité sur la technique individuelle et le développement de la réflexion collective”.
Jong Ajax, l’équipe réserve composée de jeunes est un parfait tremplin qui permet d’avoir un temps d’adaptation très faible en équipe première. De la même façon, le Barça B doit avoir une philosophie commune avec le groupe professionnel pour se fondre dans la masse rapidement. Cruyff, Kluivert ou de Ligt n’ont eu aucun problème à intégrer l’équipe A de l’Ajax Amsterdam comme Guardiola, Xavi ou évidemment Messi à Barcelone. Les U10 de l’Ajax, jouent comme les U10 du Barça et jouent surtout comme les deux équipes professionnelles le veulent. Le jeu audacieux proné par Erik ten Hag et Ronald Koeman, jusqu’à l’éviction de ce dernier. Xavi serait en pôle position pour reprendre son poste et devrait théoriquement s’inscrire dans cette lignée.
Les deux institutions s’appuient sur une idéologie unique mêlant audace et créativité. Ruben Jongkind, fidèle cruyffiste, a établi cinq points propre à la formation ajacide. Ainsi, le développement humain n’est pas linéaire, le joueur est l’élément crucial, le coach est un mentor, l’environnement de formation doit être approprié et enfin il faut opposer potentialité et réalité. Dans l’ouvrage Manager United, il explique : “Avoir conscience de ses points forts et travailler à leur développement. Ne pas avoir peur de commettre des erreurs car on en tire toujours des leçons. Expérimenter de nouvelles méthodes de travail. Ne jamais faire la même chose que le voisin, toujours chercher à innover. Et prendre les bonnes décisions“.
LA MASIA SOUS PERFUSION ORANJE
Pour Ladreb, d’autres caractéristiques identiques existent entre les centres de formations barcelonais et amstellodamois : “L’autre point commun aux deux académies, qui peut faire grincer des dents ailleurs en Europe, c’est de recruter les jeunes bien avant la préformation afin de les “éduquer” complètement à leur philosophie de jeu. Enfin les deux clubs ont la même propension à intégrer d’anciens joueurs à leur organigramme de formation, pas nécessairement des stars ou d’anciens pros mais simplement des joueurs passés par leur académie”. Ces similitudes dans l’apprentissage des concepts de jeu ne sont évidemment le fruit du hasard et poussent les deux clubs à s’inviter mutuellement lors de compétitions jeunes : ”Chez les équipes de jeunes, il existe également des connexions via des matchs amicaux ou via les participations du Barça à la Future Cup, le prestigieux tournoi U17 organisé chaque année par l’Ajax à De Toekomst”.
Aujourd’hui plus reconnu que son jumeau hollandais grâce à sa génération dorée de 2008 à 2015, la Masia n’aurait pas sa réputation actuelle sans l’apport, encore une fois, d’un certain Johan Cruyff dans les années 1980. Le mythique numéro 14 a donné un élan avant-gardiste et ultra-développé à la formation catalane : “Le vrai changement de La Masia se sent lorsque Johan Cruyff devient entraîneur de l’équipe A, explique Didier Roustan. Toutes les catégories ont joué de la même manière à partir des choses qu’il avait appris à Amsterdam. L’école de l’Ajax s’est perpétuée dès les années 70 même malgré le départ de Michels et Cruyff n’y est pas non plus étranger”.
Carles Martinez Novell reconnaît également l’impact du triple Ballon d’Or et de son mentor : “Nous connaissions le football avant l’arrivée de Michels et Cruyff mais il y a eu une véritable révolution lors de cette date. Cruyff a été l’entraîneur parfait avec une justesse sur des détails de temps et d’espace. C’est sur ces deux points que se fait ressentir l’inspiration hollandaise au sein du FC Barcelone”. L’actuel formateur catalan va même plus loin dans son analyse en décryptant la Dream Team de Cruyff : “La Dream Team des années 1990 était connue pour bien jouer mais il faut aussi dire qu’elle courait bien, pour presser bien. C’était un football complexe. Le Hollandais Cruyff a transmis aux Espagnols comme Pep Guardiola ou Paco Seirul-lo”.
UNE HISTOIRE D’IDENTITÉ
Ainsi, la réussite dans les années 1990 du club catalan s’explique en partie par la véritable éclosion et réussite de La Masia aux couleurs orangées. Vingt ans plus tard, le club catalan comptera trois Ligue des champions en plus, des championnats et des Coupe du Roi à la pelle sous l’impulsion de trois OVNIS Messi, Xavi, Iniesta tout droit sortis de la Masia. Un hasard ? Pas vraiment. En tout cas, pas pour Carles Martinez Novell qui y voit une continuité depuis l’ère Cruyff : “La méthodologie de la formation barcelonaise est la même que dans les années 90, même si ça a beaucoup évolué. Mais l’idée continue d’être la même. Sous les ordres de Laureano Ruiz, on a beaucoup utilisé le rondo, le jeu de position, dans des matchs conditionnés. Des types de tâches, de concepts, qui permettent d’enseigner aux joueurs à penser, à savoir se placer pour recevoir du soutien de ses coéquipiers”. Il y a évidemment de grandes évolutions liées au temps comme l’arrivée de la vidéo, l’essor du pressing et la compréhension des adversaires.
Si chaque année De Toekomst figure parmi les meilleures académies d’Europe, en compagnie de son grand frère catalan, c’est grâce à toute la méthodologie détaillée au cours des lignes précédentes. Elle a fait la légende de l’institution en approvisionnant d’années en années l’équipe première, notamment lors des différentes épopées de celle-ci. Lors de la finale gagnée de Ligue des Champions 1995, Louis van Gaal alignait une équipe avec une moyenne d’âge de vingt-trois ans tandis que treize des dix-huit joueurs présents sur la feuille de match étaient issus des catégories de jeunes. Même Frank Rijkaard, alors âgé de 33 ans, est bel et bien formé à Amsterdam.
Le chemin espéré par tout jeune formé à l’Ajax est de s’envoler pour Barcelone et porter le maillot national orange. L’identité des deux clubs et de la sélection hollandaise a pu voir son histoire gravée en lettres d’or grâce à ces gamins aux pieds d’or. Johan Cruyff a été le premier sous les ordres de Rinus Michels, Frenkie de Jong rêvait de faire de même accompagné par Ronald Koeman, il continuera sûrement de garder le cap en compagnie de Xavi.
Thibaud Convert et Enzo Leanni