Un supporter barcelonais est forcément attaché à l'Ajax, et inversement
Tactique

Barcelone et Pays-Bas, la romance fusionnelle (2/3)

A Barcelone, on parle catalan et on en est fier. Le capitaine du Barça porte un brassard rouge sur fond or. Les sièges du Camp Nou sont peints de manière à marquer “Mès que un club”. Malgré cette attache régionale, le club n’a jamais dissimulé son ambition d’évolution internationale. Pour ce faire, il a su s’attacher les services de nombreux hollandais ayant ajouté quelques glorieuses lignes au palmarès blaugrana. 


Janvier 2019, alors que le Barça et le Paris Saint-Germain se livrent une guerre pour s’attacher les services de Frenkie de Jong, le milieu néerlandais décide finalement de rejoindre la Catalogne. Si certains justifie ce choix par le salaire ou la volonté de jouer avec Lionel Messi, le blondinet qui a aujourd’hui 24 ans déclare sitôt arrivé : “Le Barça et l’Ajax Amsterdam sont similaires. Ils veulent tous les deux jouer un bon football, avoir la possession. Je pense qu’ils ont des styles similaires […] Marc Overmars était-il important ? Quand le Barça a montré un réel intérêt pour moi, je lui ai demandé des choses sur la ville et il m’a dit que c’était incroyable. Il a vécu ici pendant trois ou quatre ans. Il m’a dit que tout était incroyable : les joueurs, les gens. Il m’a dit que si j’avais l’opportunité (de signer au Barça), je pourrais profiter de tout cela”. Le président barcelonais de l’époque, Josep Maria Bartomeu, estime, lui, que : “Le Barça et l’Ajax sont comme des frères, de Jong est le fils de cette philosophie”.

AMSTERDAM-BARCELONE : CHEMIN TOUT TRACÉ

On pourrait dater cette connexion catalane-hollandaise à l’arrivée de Rinus Michels en provenance d’Amsterdam en 1971. Mais vous l’aurez compris, à Barcelone, on se réfère davantage à Johan Cruyff. En tout cas, le site officiel du club catalan le conçoit ainsi dans un article spécialement dédié à la relation entre les Ajacides et le Barça : “Tout a démarré dans les années 1970 lorsque Johan Cruyff est arrivé à Barcelone de l’Ajax pour jouer sous les ordres de Rinus Michels. Les choses se sont intensifiées en 1988 quand le président Josep Lluís Núñez rapatrie Cruyff au club cette fois-ci en tant qu’entraineur”. Depuis, les transferts de joueurs entre les deux clubs sont devenus monnaie courante. Surtout à partir de 1997 lorsque Louis van Gaal fait, lui aussi, le voyage Ajax-Barcelone avec dans ses bagages Michael Reiziger et Winston Bogarde avant de rapatrier les frères De Boer et Patrick Kluivert l’année suivante. Le surnom de son équipe ? Le “Barcajax”. Plus tard, Marc Overmars et Edgar Davids viennent compléter le puzzle qui avait permis à l’Ajax de remporter la Ligue des Champions 1995.

Pour Ladreb, supporteur français du quadruple vainqueur de la Ligue des Champions et suiveur du Barça, le départ d’un joueur formé à l’Ajax vers le club blaugrana est “une évolution logique” même “une tradition quand on voit le nombre d’échanges effectués entre le Barça et l’Ajax”. Memphis Depay et Luuk de Jong sont devenus les vingt-et-unièmes et vingt-deuxièmes hollandais à venir jouer à Barcelone. Deux ans plus tôt, Frenkie de Jong était le neuvième à faire le trajet direct Amsterdam-Barcelone. Avant lui, Johan Cruyff, Johan Neeskens, Richard Witschge, Jordi Cruyff, Michael Reiziger, les frères de Boer et Jasper Cillessen avaient également fait ce trajet avec plus ou moins de succès. 

Joueur de l’Ajax puis du Barça, Cruyff a aussi entraîné les deux clubs – Getty Images

Pourtant éloignés de 1 536 kilomètres et de cultures historiquement différentes -les uns sont Celtes, les autres Latins- Amstellodamois et Barcelonais parlent le même langage footballistique. A l’image de notre interlocuteur, il n’est désormais pas rare de croiser un fan de l’Ajax suivre le Barça, et inversement, tant les philosophies des deux clubs sont similaires. Une telle ressemblance entre deux clubs de pays, de cultures et de géographies différents poussant les supporteurs à aller voir ce qu’il se passe de l’autre côté de l’Europe est une exception. 

AJACIDES ET CATALANS, AU-DELÀ DU RECTANGLE VERT 

Ladreb explique son intérêt pour les deux clubs : “La similarité principale c’est la vision du football et les idées de jeu que partagent les 2 clubs depuis plus de 30 ans. A savoir un football porté sur l’offensive, basé sur la possession, la qualité technique, le mouvement et la vitesse de transmission. L’immense trait d’union entre eux est évidemment Johan Cruyff […] Les autres similarités (qui sont liées à la première) sont d’abord la volonté de toujours satisfaire leurs publics respectifs qui ont été éduqués à cette philosophie de jeu et sont maintenant les plus exigeants en Europe sur la manière de gagner”. Blaugranas et Ajacides se retrouvent évidemment dans leur éducation commune au football. Une manière si spécifique de jouer, largement reconnaissable et identifiable d’un club à l’autre pour les supporters .

Il étaye son analyse : “Le Barça a toujours renvoyé l’image du cousin ou du grand frère de l’Ajax de par leurs nombreux points communs […] Depuis l’arrêt Bosman l’Ajax a eu une longue période de creux sur la scène européenne, donc la réussite du Barça a été un peu vécue par procuration puisque grâce à leur moyens nettement supérieurs à l’Ajax, ils ont pu continuer à porter cette idée commune du football au plus haut niveau en remportant des trophées”. Il tient également à préciser un point important : “Même si ce n’est pas systématique, la majorité des supporters de l’Ajax soutient aussi le Barça”. 

Comme le montrent ces interactions à travers le Vieux continent, il y a dans le football, une part de société et inversement. En assistant à un match du Barça ou de l’Ajax de Rinus Michels vous pourrez observer les différentes structures du jeu de position -évolutif bien évidemment. L’idée commune dont parle le supporter ajacide est visible dès le premier coup d’œil. La largeur occupe ici une place importante, tant la création de chemins à l’intérieur du jeu, de par la formation de triangles, est essentielle. Chaque joueur sait où se placer et quoi faire avec ou sans ballon. 

ORDRE ET DÉSORDRE

Même s’il est peu probable que vous trouviez les Barcelonais disposés en 4-3-3, en se baladant sur la place de la mairie le 11 septembre, jour de fête catalane, vous aurez sûrement la chance de voir un castell se former. Cet acte culturel issu du sud de Catalogne a pour but de former une tour humaine comptant parfois plus de dix étages. Vêtus de costumes traditionnels propres à leur ville ou quartier, les castellers réalisent un véritable travail d’équipe afin de permettre au plus jeune de gravir chaque échelon pour se hisser au plus haut niveau de la pyramide. Malgré le désordre apparent, on ne peut être plus ordonné.

Le Camp Nou met à l’honneur la culture catalane et ses castells – Getty Images

Quand le plus petit du village grimpe en haut de la tour en étant aidé par les plus expérimentés, on ne peut s’empêcher de penser à Lionel Messi, dernier maillon de la chaîne formée par Pep Guardiola. A la manière de ces castells, le jeu du Barça naît de l’unité. Sans les premiers piliers, la montée serait impossible, tout comme les victoires n’auraient pas été acquises sans Puyol, Xavi ou Iniesta. Un casque comme seule protection de l’enfant, le danger est présent dans cette ascension comme il existe lors d’un match du FC Barcelone. La chute étant remplacée par un but, ou pire une défaite.

Pour mener cette montée à bien, les piliers se doivent d’être stables. La nouvelle référence au football serait de renforcer la défense pour pouvoir marquer. On imagine que la philosophie offensive du Barça ne peut voir les choses comme cela. Pourtant, quand Johan Cruyff s’assoit sur le banc barcelonais à la fin des années 1980, il a pour première mission de faire signer le défenseur central du PSV Eindhoven, Ronald Koeman. De la même façon, il renforce sa rampe de lancement en plaçant un jeune issu de La Masia au poste de sentinelle, Pep Guardiola. La prise de risque est une condition sine qua non pour mettre en place un jeu de position. Créer le désordre pour générer des supériorités et de l’espace. Pour Cruyff, on ne peut déstructurer qu’en commençant de la base défensive.

Tous les paliers du castell doivent être équilibrés de manière à monter le plus haut possible. Chaque association se transforme en structure, à la manière des joueurs barcelonais. L’un des principaux préceptes du jeu de position est l’occupation de l’espace, se transformant ensuite en création de triangles. Pour se faire, il ne doit pas y avoir plus de trois hommes sur la même ligne horizontale et deux sur la ligne verticale. L’important ensuite est d’étirer au maximum le bloc adverse grâce aux ailiers et latéraux et ainsi trouver l’homme libre à l’intérieur du jeu. A ce propos, Juanma Lillo -qui aurait pu prétendre à un poste au Barça- explique : “Vous dites à un joueur : mets-toi près de la ligne de touche pour ouvrir la défense adverse, tu n’auras le ballon que dans trois minutes, mais il faut que tu sois patient, si tu restes ici, cela signifie qu’on crée de l’espace à un autre endroit du terrain”. Faire avancer le jeu sans toucher la balle peut paraître surréaliste, au même titre que se servir du désordre pour être le plus ordonné possible. 

INSPIRATIONS HOLLANDAISES ET AMSTELLODAMOISES

Du côté des Pays-Bas, le but est le même. Les Hollandais n’ont pas de castell mais peuvent admirer le jeu de position de leur équipe nationale et celui de certains clubs du pays. Les Oranjes ont toujours su affirmer leur particularisme grâce à leur jeu. Révélés aux yeux du monde lors du mondial 1974 sous les ordres de Rinus Michels et confirmant les promesses quatre ans plus tard avec, cette fois-ci, Ernst Happel sur le banc. D’autres grands techniciens se succéderont. Rinus Michels, de nouveau, qui remporte l’Euro 88, Léo Beenhakker, Guus Hiddink, Frank Rijkaard, Louis van Gaal, ou Ronald Koeman. Notez les nouveaux liens avec le FC Barcelone. Et pourtant, Didier Roustan reste sceptique sur une filiation si proche : “On ne peut pas dire que la finale mondiale des Pays-Bas en 1974 soit le fruit de Barcelone quand on sait que neuf dixièmes de l’équipe est issue de l’Ajax d’Amsterdam. Même lorsque Neeskens rejoint Cruyff et Michels, je pense que l’influence hollandaise ne vient, en premier lieu, pas du Barça. La colonne vertébrale est avant tout celle de l’Ajax”. 

Plongé dans ses notes, Michels s’apprête à révolutionner le football européen – Getty Images

Le journaliste continue : “Il y a effectivement un lien entre les Pays-Bas et le Barça qui commence avec l’arrivée de Michels puis celle de Cruyff. L’influence est réelle mais il ne faut pas minimiser l’impact de l’Ajax d’Amsterdam. Ce n’est pas le FC Barcelone qui fait l’équipe hollandaise. Tout est relié à l’Ajax”. Si le jeu de l’équipe nationale peut ressembler à celui des Blaugranas, il se revendique donc d’abord de l’école ajacide. Vic Buckingham et Rinus Michels pour le créer Stefan Kovacs, Johan Cruyff, Louis van Gaal et Erik ten Hag pour le perpétuer.

On ne saurait dire qui de Cruyff ou de Guardiola pratique le mieux le jeu de position barcelonais mais les violons s’accordent pour placer Michels comme métronome du football total amstellodamois. “De branie en lef” est une expression typique hollandaise utilisée pour caractériser son Ajax intrépide, audacieux et arrogant. Il mettait en place la théorie rouge et blanche avec un jeu plus vertical que jamais. Ainsi, les passes sont courtes et au sol, les attaques partent de derrière, les postes interchangeables et les triangles recherchés. Les castells n’existent qu’en Catalogne mais l’ordre est aisément trouvé dans la Randstad. 


Michels, Cruyff, Koeman et tant d’autres ont façonné le club en lui donnant une teinte orangée en plus des traditionnels bleu et grenat. Barcelone et les Pays-Bas, Barcelone et Amsterdam sont des couplages uniques en leur genre. Plus qu’une filiation, c’est une véritable famille footballistique au sein de laquelle le petit frère mérite bien sa part de gâteau.

Thibaud Convert et Enzo Leanni

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