Autour du Monde

Tokyo 2020 : Voyage au pays du football levant

Reportés il y a près d’un an en raison de la crise de la Covid-19, les Jeux Olympiques de Tokyo approchent à grands pas. Dans le paysage footballistique, l’événement tient une place particulière, à l’ombre de la Coupe du monde et des coupes continentales. À 70 jours de la cérémonie d’ouverture, l’heure est à la mise au point sur l’engouement récent des Japonais pour le ballon rond, derrière lequel courront les Samurai Blue et les Nadeshiko, les équipes masculine et féminine nippones. Yôkoso !


Dans un contexte de crise sanitaire durable, bon nombre d’événements sportifs prévus en 2020 ont été reportés. C’est le cas des Jeux Olympiques de Tokyo, repoussés à l’été 2021 (23 juillet – 8 août) par l’ex-Premier Ministre japonais, Shinzô Abe. Toutefois, si l’organisation des Jeux ne semble pas remise en cause, la situation n’est pas revenue à la normale. En l’occurrence, le nombre de nouveaux cas de coronavirus monte en flèche depuis début mars – 6142 cas par jour en moyenne hebdomadaire le 12 mai. La campagne de vaccination patine également puisque seules 1 319 881 personnes ont été complètement vaccinées, soit 1,0% de la population totale. 

Le gouvernement se veut rassurant auprès de ses citoyens, comme l’atteste la mesure prise le 20 mars dernier interdisant aux étrangers d’entrer sur le territoire nippon durant cette période. « Personnellement, je suis assez optimiste, confie Florent Dabadie, correspondant de L’Équipe à Tokyo. Je suis presque certain que les JO vont se faire. Le peuple japonais est très émotionnel, assez cyclothymique. Donc en ce moment avec le corona, ils sont un petit peu inquiets, mais je sais aussi que lorsqu’on approchera des Jeux, ils seront très contents. »

Une pétition pour annuler les JO de Tokyo a recueilli près de 200 000 signatures.

D’un point de vue politique, la donne n’est pas la même. Le maire d’Osaka, Ichirô Matsui, a notamment refusé que la flamme olympique passe dans sa ville à la suite de la flambée du coronavirus dans la région. « La réaction vient du fait qu’on leur impose un relais qui passe dans la ville », mais également d’une opposition politique au gouvernement. Finalement, « le passage de la flamme s’est fait dans le parc de l’Exposition universelle et ça s’est très bien passé ». Reste que la vague de contamination ne décélère pas, ce pourquoi le gouvernement a prolongé l’état d’urgence actuel jusqu’au 31 mai – ce qui ne devrait pas pour autant impacter les JO.

Le football, un sport populaire parmi d’autres

Les Jeux sont certes attendus, mais qu’en est-il du ballon rond ? Au pays de Captain Tsubasa, le baseball et le judo restent rois malgré la popularité grimpante du football. « Le Japon a une obligation de médaille d’or pour le baseball et le judo. Ça va être les stars des JO ». Avec 12 médailles remportées sur les tatamis de Rio, dont 3 en or et 1 en argent, l’archipel compte faire encore mieux pour cette édition à domicile. Pour le baseball, – qui n’était plus présent aux JO depuis 2008 – le pays du soleil levant espère rivaliser avec les États-Unis et Cuba même s’il n’a, à ce jour, jamais obtenu l’or.

Après de bons résultats à Rio, les chances de médaille d’or reposent également sur les épaules de Kôsuke Hagino et Rie Kaneto en natation, tous deux auréolés en 400 m nage libre et 200 m brasse en 2016. L’attente est de mise sur la lutte – 4 breloques en or glanées en lutte libre féminine et 3 en argent – ainsi que sur la gymnastique artistique masculine par équipe – vainqueurs aux derniers Jeux. « Il y aussi le badminton avec Kento Momota [champion du monde individuel en titre], le relais japonais 4 x 100 m où il y a beaucoup d’espoir. Même dans les nouveaux sports comme le surf ou le skateboard , pas mal d’athlètes japonais sont attendus ». 

Shohei Ōno, deuxième en partant de la gauche, sera l’un des fers de lance de l’équipe japonaise de judo.

Toujours est-il que le football reste un sport bien ancré dans la culture sportive. « Les Japonais adorent le foot, c’est le troisième ou quatrième sport le plus populaire dans le pays aujourd’hui, surtout chez les jeunes. » Le championnat local prend d’ailleurs en importance avec cette nouvelle audience comme en témoigne Dan Orlowitz, journaliste chez The Japan Times : « L’intérêt pour la J-League a augmenté de manière significative ces dernières années, en particulier depuis que la ligue a vraiment commencé à mettre en place son marketing après l’accord [télévisuel] avec DAZN et l’arrivée d’Iniesta, Podolski ou Torres ».

Si la passion est bien présente, l’engouement pour le football olympique ne semble pas si évident. « Il n’y a pas une énorme attente pour les filles, les Nadeshiko, ni pour les Samurai Blue, les garçons de moins de 23 ans, explique Florent Dabadie. Quand on pense aux Jeux Olympiques, on ne pense pas au foot. Ni les Japonais, ni nous en général. » Depuis 2018, l’affection pour l’équipe nationale semble d’ailleurs se déliter peu à peu. « La plupart des joueurs des Samurai Blue jouent en Europe et il est plus difficile pour les fans de les suivre et de développer un attachement », souligne Orlowitz. De plus, « cette sélection nationale est en transition depuis 2018 et elle n’a pas encore de joueurs stars comme Keisuke Honda et Shinji Kagawa ».

Bien que les Jeux ne soient plus un événement majeur du football mondial depuis l’organisation de la première Coupe du monde en 1930, ils n’en demeurent pas moins une vitrine non négligeable pour le football féminin ainsi qu’un laboratoire de jeunes talents pour le football masculin. Les Samurai Blue pourraient bénéficier de ce terrain d’expérimentation. « Contrairement à nous, les Japonais ont toujours eu une culture des équipes universitaires, de moins de 23 ans, moins de 19 ans. C’est un peu comme les Etats-Unis, nous indique Dabadie. Je me souviens que lors des JO de Sydney, il y avait des stades plein pour l’équipe olympique avec 50 000 personnes, alors que les A n’étaient pas à ce niveau ».

L’attente se concentre sur ce point puisque ces Jeux permettront de former la prochaine génération de l’équipe A. D’autant plus que Hajime Moriyasu est sélectionneur des deux équipes masculines. « Ce n’est pas innocent, car si cette formation marche, il devrait emmener 4 ou 5 joueurs qui pourraient être titulaires lors de la Coupe du monde 2022 ».

Une équipe féminine en déclin ? 

Les féminines japonaises ont toujours mieux performé que leurs homologues masculins – championnes du monde en 2011, puis finaliste aux JO de Londres ainsi qu’à la Coupe du monde 2015. De ce fait, si les deux sélections seront boostées par le fait de jouer à domicile, « les Nadeshiko sont probablement mieux placées pour aller loin dans la compétition », estime Orlowitz.

Depuis 2015, l’équipe féminine a perdu de sa superbe, maintenant concurrencée par de sérieux adversaires européens comme l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suède ou encore l’Allemagne. « Elle est entrée dans une période de transition très étrange » et, qui plus est, « a été très affectée par sa non-qualification à Rio en 2016. Je ne suis pas sûr qu’il soit juste de dire que leur niveau a baissé de manière significative – après tout, je pense qu’il n’y a jamais eu autant de Japonaises jouant à l’étranger dans de bonnes ligues – mais le reste du monde a certainement rattrapé son retard », souligne le journaliste du Japan Times

Passée par Hoffenheim et le Bayern, Mana Iwabuchi évolue depuis le mois de janvier dans la très compétitive Women’s Super League.

Le talent est là, à l’image de l’attaquante d’Aston Villa, Mana Iwabuchi, « qui est particulièrement phénoménale », ou Saki Kumagai, la défenseure centrale de l’OL (et néo-bavaroise). Le groupe peut également compter sur des éléments tels que « Yui Hasegawa de l’AC Milan, Yuika Sugasawa d’Urawa Reds » ou encore « Saori Takarada et Yuka Momiki » qui jouent aux États-Unis, respectivement au Washington Spirit et à l’OL Reign. Encore faudra-t-il sortir d’une poule qui comprend le Royaume-Uni et le Canada. 

Les Samouraïs n’ont pas le blues

De son côté, l’écurie masculine aura l’occasion de montrer ses forces même si elle reste un outsider dans cette compétition. « Les hommes ont un groupe difficile [composé de l’Afrique du Sud, du Mexique et de la France], mais comme dans n’importe quel tournoi, on peut se dire qu’ils peuvent le faire si “tout s’aligne correctement” ». Les Japonais ont d’ailleurs l’habitude de briller dans ces catégories d’âge, comme le démontre leur finale perdue aux tirs au but contre le Brésil durant le Tournoi de Toulon 2019, ou leur quatrième place aux JO de Londres en 2012. « Ils peuvent rivaliser à Toulon ou dans les Coupes du monde moins de 19, moins de 23, parce qu’il n’y a pas encore une énorme différence de physique, de force », nous raconte le correspondant de L’Équipe. Leur dernière rencontre, un match amical contre l’Argentine, s’est achevée sur une victoire nette 3-0. De quoi donner de l’espoir aux supporters. 

Le Brésil victorieux en finale du Tournoi de Toulon 2019 contre le Japon.

Les Samurai Blue ont également la chance de bénéficier du changement exceptionnel de l’âge limite des joueurs sélectionnés – passant de moins de 23 à moins de 24 ans [ceux nés après le 1er janvier 1997] -, leur offrant une année d’expérience supplémentaire. « Cela aide particulièrement le Japon où le développement des joueurs a tendance à être un peu plus lent qu’en Europe », souligne Dan Orlowitz. L’effectif nippon a plusieurs atouts dans sa manche et voudra les faire valoir, à l’instar de leur prestation face à l’Argentine. Pour Dan Orlowitz, « s’ils jouent aussi bien que leur potentiel laisse penser, ils peuvent être (incroyablement) forts. [Ils ont] un milieu et une attaque vraiment créatifs, une défense tenace. La finition est un problème, mais il y a beaucoup de talent ».

« Je suis très optimiste quant à Kaoru Mitoma, qui aurait dû être le MVP de la J-League l’an dernier. Il a eu du mal contre l’Argentine mais je pense que le potentiel est là, il est peut-être le meilleur milieu de terrain de sa génération en J-League actuellement ». Auteur de 6 buts et de 3 passes décisives en 16 matchs, l’ailier a tout pour devenir une star. « Daichi Hayashi est un autre joueur à surveiller – il pourrait être la solution aux problèmes d’attaquants du Japon. Et s’il est en bonne forme, il sera une véritable menace ». Ao Tanaka, milieu titulaire à Kawasaki Frontale, a aussi une carte à jouer. « Il a de la classe quand il joue, et pourrait devenir l’équivalent d’un Rabiot s’il se gonfle un peu physiquement », selon Florent Dabadie. Le secteur défensif n’est pas en reste non plus. « Ko Itakura (FC Groningue) est très physique et pourrait prendre du volume s’il va dans un club anglais ou italien ». Ce dernier s’est d’ailleurs taillé une place de choix au sein de l’équipe A en disputant notamment la Copa America en 2019.

Mitoma, dont le Kawasaki Frontale caracole en tête du championnat, compte déjà six buts depuis la reprise de la J-League en février.

L’absence du nom de Takefusa Kubo parmi les pépites des Samurai Blue a de quoi surprendre étant donné le bruit qu’a fait son arrivée au Real Madrid en 2019. Ce dernier a en effet connu quelques difficultés à s’adapter au groupe merengue, comme de nombreux joueurs avant lui. Le jeune joueur du Real a pu davantage s’exprimer cette année à Villareal et à Getafe. Chose importante puisqu’il s’agira du visage de l’équipe cet été aux yeux du public. Florent Dabadie est assez dubitatif quant à son véritable niveau : « Si c’était vraiment un génie, Zidane l’aurait déjà fait revenir au Real. […] Oui, il a du talent mais au vu de ses prestations, rien ne dit qu’il aura une carrière qui approche celle d’un Honda ou d’un Kagawa ». Kubo n’a encore que 19 ans et tout à prouver. Brillant contre l’Albiceleste en mars, il sera potentiellement le facteur X de sa nation. Le pays du soleil levant aura de quoi se mettre sous la dent pour vivre une belle compétition. Surtout en ajoutant les trois joueurs autorisés au-dessus de l’âge requis, qui pourraient être Maya Yoshida (Sampdoria), Takumi Minamino (Southampton) ou Musashi Suzuki (Beerschot).

Un effet olympique sur la J-League ? 

Les Jeux de Tokyo mettront inévitablement la lumière sur la J-League, qui est en plein développement. « C’est une ligue passionnante, avec une bonne ambiance et qui forme les futures stars du Japon, que demander de plus ? » sourit Dan Orlowitz. « La ligue commence à s’améliorer en matière de recrutement de jeunes joueurs, (paradoxalement) parce qu’ils commencent à partir en Europe à la fin de l’adolescence et au début de la vingtaine » – processus qui s’est accéléré depuis la Coupe du monde 2010. « Les académies japonaises ne sont pas au niveau des clubs européens, mais elles produisent des talents qui font régulièrement carrière en Europe, et c’est un grand pas en avant ».

« Le véritable défi consistera à maintenir le niveau de la J-League lorsque les joueurs partiront pour l’Europe. Pour cela, il faudra que les clubs fassent vraiment pression pour obtenir des indemnités de transfert plus importantes afin de pouvoir continuer à réinvestir ». Florent Dabadie, lui, note une stagnation générale du niveau de la formation. « J’ai l’impression que depuis 20 ans, le football japonais est sur de très bonnes bases techniques. Mais comme le disait Arsène Wenger récemment, ils ont toujours les mêmes problèmes physiques, de décision. Erick Mombaerts [entraîneur des Yokohama Marinos entre 2014 et 2017], qui était là, disait la même chose. Ils ont de grosses lacunes tactiques »

Vahid Halilhodžić, au milieu de ses joueurs, fut très critique à l’égard de la formation japonaise.

Un phénomène qui s’apparente à des problèmes structurels, liés à un faible vivier d’entraîneurs. « Malheureusement le foot est encore assez fermé au Japon et il n’y a pas beaucoup d’éducateurs de bon niveau pour les écoles de football entre 7 et 12 ans. Ceux qui ont un pedigree ou un diplôme sont rapidement recrutés par les clubs professionnels pour leurs centres de formation. Du coup, le Japon est à la traîne. Il n’a même pas le niveau de pays comme le Danemark, la Belgique ou la Croatie. Vahid Halilhodžić (sélectionneur du Japon entre 2015 et 2018) leur a fait un cahier des charges accablant sur la situation mais la fédération n’a pas voulu l’entendre ».

Ainsi, les Jeux pourraient faire bouger les choses dans le sens où un beau parcours susciterait des vocations. Tandis qu’un échec entérinerait plus rapidement les réformes nécessaires pour la progression du football japonais. Autant dire que cette Olympiade ne sera pas sans conséquences. Gare au faux pas car au pays du judo, même le foot n’est pas à l’abri du ippon.

Guillaume Orveillon

Illustration : Romane Beaudouin

0