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OL : le délitement par l’égo

Leader à l’automne, l’Olympique Lyonnais a conclu la saison 2020-2021 au pied du podium et ne participera pas à la prochaine Ligue des Champions pour la deuxième année consécutive. Aussi terrible soit-il, le constat oscille entre gâchis et logique, tant l’inconstance et les divergences ont plombé un projet ambitieux. Du terrain aux coulisses, le club de Jean-Michel Aulas doit retrouver de la sérénité pour aborder un nouveau tournant décisif.


Il n’a pas fallu attendre longtemps pour voir les masques tomber. Même si certains visages dissimulés étaient déjà bien connus. Quelques minutes après la défaite face à Nice (2-3) en clôture du championnat de France 2020-2021, Rudi Garcia a mis le feu à l’institution OL. En marge de l’annonce de son départ, il se défend : « tout n’est pas réuni pour que je sois à la tête de cette équipe l’année prochaine ». Plus incisif le mercredi, l’ex-entraineur lyonnais tacle littéralement, dans une longue interview au quotidien L’Equipe, son directeur sportif Juninho. « Une prise de parole préméditée, confirme une source proche du club. Dès le soir de la défaite, il a voulu faire de ce choix le sien. Pourtant il savait que la collaboration s’arrêterait là, notamment à cause de ses relations compliquées avec Juninho. »

De Jean-Michel Aulas à Bruno Guimaraes, les règlements de compte fusent sur Twitter. La maison brûle et les langues se délient. S’exprimant quelques heures plus tard sur la chaine OLTV, Juninho met fin à la querelle. Avec une clairvoyance et une honnêteté rare dans ce milieu, le discours de l’ancien milieu de terrain lyonnais révèle l’évidente incompatibilité entre les deux personnages, symbole du manque de continuité de cette saison.

Entre discours et actes, l’incompatible réalité

Choisi par un consensus entre Vincent Ponsot, le président, Juninho et Gérard Houiller, Rudi Garcia avait surtout était appuyé par le défunt dernier lors de son entretien alors qu’il avait été le plus séduisant des trois entraineurs (Laurent Blanc et Jocelyn Gourvennec).

Dans son interview à L’Équipe, le technicien explique « qu’il était capital dans l’équilibre du club […] Il était celui qui pouvait expliquer le rôle de directeur sportif à Juninho ». Interrogé sur le rôle de l’ancien conseiller du président dans cette lutte d’influence, un journaliste proche de l’Olympique Lyonnais, souhaitant rester anonyme, nuance : « Il jouait très souvent le tampon pour éviter que les deux n’aient à collaborer. Mais capital ? Je ne sais pas, le club est toujours équilibré. Quant à l’apprentissage du métier, c’est de l’extrapolation. Juninho apprend seul en étant sur le terrain. »

Bien que Jean-Michel Aulas se soit évertué, dans son rôle, à soutenir l’institution et à prôner une ambiance saine, les mauvaises relations entre les deux hommes n’étaient qu’un secret de polichinelle. Nul besoin de cet affrontement public pour le savoir, puisque les positions des deux, tout au long de la saison, soulignaient déjà une certaine discontinuité.

En novembre, l’OL entame sa plus grosse série d’invincibilité de la saison, propulsant le club en tête de la Ligue 1 à l’hiver. C’est aussi, selon Rudi Garcia dans l’Equipe, le premier point de rupture. « Juninho n’était pas heureux. Il aurait préféré gagner avec ses joueurs. (Les Brésiliens) […] Il fallait garder tout le monde concerné contrairement aux avis trop tranchés de Juni. » Des propos pas nécessairement en adéquation avec ce que la réalité expose.

D’un côté, Lucas Paqueta, dossier mené par le directeur sportif en personne, vient de débarquer. Il intègre le onze dès la première victoire de la série à Strasbourg (2-3). Bruno Guimaraes, beaucoup moins en vue que ses six premiers mois, souffle logiquement sur le banc. Et même si « son insistance » avec Thiago Mendes suscite de la crispation auprès des supporters mais également au sein du club, l’équipe tourne. Le choix est respecté.

De l’autre, le cas Jean Lucas. L’ex capitaine lyonnais admet avoir insisté « pour qu’il ait sa chance dans l’équipe première ». Un moyen de récompenser le brésilien de 22 ans « gros travailleur à l’entrainement », de tester une alternative et maintenir le joueur en alerte. « Juninho lui avait promis du temps de jeu. Mais Rudi Garcia pas du tout. Sur deux matchs Léo Dubois et Jason Denayer rentrent au milieu, le joueur l’a très mal pris » nous précise le journaliste. Il sera finalement prêté à la mi-décembre à Brest.

Garcia regrette ce choix, dans un moment où les absences au milieu l’handicapent. Pourtant, Jean Lucas n’aura eu droit sur cette période, qu’à une trentaine de minutes et aucune titularisation. Un discours d’autant plus étonnant de la part de Rudi Garcia, qu’on apprend dans le France Football de février, le management mis en place depuis la fin du mercato. « Fin septembre, il convoque une réunion pour le moins musclée avec ses joueurs alors que l’équipe est à la dérive, et annonce que, comme il ne sera pas conservé, il n’aura aucun problème pour faire des choix forts et partir à la guerre seulement avec ceux qui le méritent. » Au total, seulement 14 joueurs de l’effectif lyonnais ont dépassé les 1000 minutes de temps de jeu. Un répartition pas si cohérente que cela, lorsqu’il s’agit de maintenir la dynamique d’un groupe.

Dystopie des rôles

Outre cette guerre d’égos, le coaching effectué dans certains matchs a souligné la différence de sensibilité des protagonistes. Souvent pointé du doigt par le directeur sportif depuis son arrivée, le manque de sérénité et de maitrise au moment d’aborder les fins de matchs favorables fut récurrent cette année. Comme face à Brest, le 16 décembre 2020, où les choix de remplacements ont porté préjudice à l’OL, préférant assurer une assise défensive plutôt que de contrôler le cours du match.

Nul doute qu’à la lumière de la personnalité de Juninho et de son enthousiasme pour évoquer ses convictions, les discussions sur ces choix pouvaient être animées. La responsabilité ultime en incombe évidemment à l’entraîneur. Mais là où le bas blesse, c’est bien dans la définition des rôles.

« Les rapports se sont complexifiés car Juninho s’est braqué contre Rudi Garcia lorsqu’il s’opposait à des décisions prises en tant que directeur sportif », précise l’insider.

Dans son interview à l’Equipe, Rudi Garcia a remis en cause l’autorité de son supérieur, mettant « ça sur le fait qu’il soit trop épidermique, trop à fleur de peau. » Référence à l’affaire Aouar*, l’un souhaitait une suspension, l’autre plaidait pour une sanction financière. Un désaccord dans le management que Juninho a approfondi : « Un des problèmes que j’ai eu avec Rudi, c’est la différence de traitement dans le vestiaire. Il était fort avec les faibles, et faible avec les forts. Ça créait des problèmes et les joueurs sont venus me voir. »

En dépit des résultats sportifs probants à cette période et d’un milieu impressionnant, n’est-il pas logique pour un directeur sportif de recadrer les individualités et replacer le club au centre du collectif ? Notre source témoigne : « Garcia montrait de la proximité avec certains comme Memphis, Aouar, Marcelo et sur certains aspects Cherki. Il les chouchoutait, les faisait se sentir importants malgré des blessures … Ça a braqué des joueurs qui estimaient avoir plus de légitimité pour jouer dans certains moments ».

“Dans tous les clubs où il passe, Rudi Garcia est dans une logique court-termiste. Il y avait un décalage avec Juninho”

Même son de cloche en ce qui concerne le recrutement. Sur cet aspect également, le champion de France avec Lille en 2011 déplore son manque d’implication : « quand j’allais le voir en deuxième partie de saison, on ne parlait que de composition, mais pas de projet de club, de recrutement ou de politique de jeunes ». Des propos confirmés et assumés par Juninho : « Mais c’est mon rôle, j’ai fait mes choix. Il n’avait pas l’habitude forcément puisque qu’il aime bien imposer les siens. » Questionner son entraîneur, ouvrir des perspectives nouvelles pour qu’il appréhende au mieux l’expression collective reste dans le rôle d’un directeur sportif. Et il semble d’autant plus difficile de se projeter sur le mercato quand on sait que la fin de la collaboration était déjà prévue depuis six mois. « Dans tous les clubs où il passe, Rudi Garcia est dans une logique court-termiste. Il y avait un décalage, argumente le journaliste. L’un est dans une logique de jeu au service du résultats, de développement du club à moyen terme. L’autre est dans une logique de résultats uniquement, de bilan comptable. La seule chose importante pour lui était de finir sur le podium pour se défendre médiatiquement. »

Au delà des torts, que chacun jugera librement, ce conflit déballé sur la place publique, moins de 72 heures après une non-qualification en Ligue des Champions, donne des clés de lectures importantes. La communication quasi politicienne de Rudi Garcia tranche avec la prise de responsabilités de Juninho. Bien que son caractère soit érigé en obstacle, c’est aussi cette opiniâtreté qui lui a permis de prendre la mesure de son poste. « Juninho est une force sportive du club. Rudi Garcia en était l’entraîneur. C’est une lutte de pouvoir. Le rendre illégitime, c’était le meilleur moyen de mettre en avant son travail », conclut notre source. Désormais, l’OL le sait. L’osmose entre son directeur sportif et l’homme sur le banc conditionnera la pleine réussite du projet sportif. Avec l’arrivée de Peter Bosz, les Gones semblent avoir enfin mis la main sur un entraineur en accord avec l’ADN de l’OL : de l’intensité, du jeu et un investissement collectif. Pour qu’enfin, l’union sacrée, si chère à Jean-Michel Aulas, ne soit plus seulement le bouclier face aux critiques et redéfinisse la force de ce club.

Maxence Besson

* Remplaçant à Angers, le joueur avait refusé d’effectuer le travail physique en après-match, prétextant le mauvais état de la pelouse.

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