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Leur foot à eux : Simon le Bordelais

La saison 2019-20 s’achève tristement comme beaucoup de choses en ce moment dans notre pays. Certains protestent, d’autres se tournent déjà vers l’avenir et préparent la rentrée de septembre. Et au milieu de tout ça, il reste l’inchangé, l’inéchangeable passion des nanas et types qui vont au stade. 


Privés de ce voyage hebdomadaire, inconsciemment, nous cherchons dans nos mémoires des moments de football à revivre. Nous cherchons à ressentir le football à nouveau. Des chaines télé’ qui rediffusent des matchs mémorables, des épopées de légende de notre équipe nationale à ceux qui alimentent davantage les compil’ qui circulent sur nos instagram, le constat est là : le terrain nous manque. 

Et si nous imaginions avoir un superpouvoir ; pendant quatre-vingt-dix minutes, nous pourrions nous asseoir dans un stade et revoir, en deux uniques mi-temps, tout le football de notre vie. C’est dans cette idée que je vous ai donné rendez-vous, à vous, supporters, fans, ultras, simples amateurs pour que nous discutions de ce qu’est le football pour chacun d’entre nous ; un joueur, un club, un match, un stade… qu’importe, c’est le vôtre.

Aujourd’hui, je rejoins Simon, 21 ans, au stade Chamban-Delmas, à Bordeaux. Un retour dans le passé que l’on fait défiler à toute vitesse, en observant à nouveaux ce qui l’a amené à « casser les ampoules » de son salon à chaque fois que Benoît Costil se troue.  

C’est toujours comme ça que ça commence non 

Oui certainement. En tout cas ce fut un peu le cas pour moi. Je n’ai pas atterri dans une famille de fans de foot, pourtant depuis tout petit, je l’aime ce ballon. Je le tiens de mon père, c’était le seul à aimer ça. Il me racontait ce que c’était vraiment de jouer un match avec son club, peu importe l’âge, et surtout l’expérience d’aller au stade. Il me racontait ses virées, j’étais fasciné. Tout était naturel. Après, je suis né ici, donc les Girondins c’est dans le cœur, pour le meilleur et pour le pire ! Mais quel club quand même ! Je me souviens, au début, les compétitions européennes, le haut niveau, les grands joueurs. On sentait la ferveur dans ce stade et notre équipe savait l’exporter chez les autres aussi. Et puis c’est des moments, des instants, où on explose de joie aussi. 

Quand il dit ça, il me montre l’entrée de la surface de réparation. Dans ce stade désert apparaissent des formes, des ombres, le ballon arrive dans les pieds d’un homme au maillot bleu marine, entouré de trois types au maillot blanc. Il danse autour d’eux, les pauvres sont battus facilement, le ballon emménage dans les buts adverses. Le joueur bleu marine exulte et court au bord du terrain, on voit sur son dos le nombre 10 et un nom, Gourcuff, l’héritier.

Peu importe l’âge qu’on avait à ce moment-là, on comprenait que cette saison 2009-2010 était exceptionnelle pour nous, pour le club, et on avait à nouveau l’espoir de voir un futur Zidane passer par Bordeaux. La suite est plus triste, c’est sûr. Mais ce jour-là, qui se serait interdit de rêver ? Et puis il y avait la Ligue des Champions aussi, on finissait premier de notre groupe devant le Bayern et la Juventus, ce n’est pas rien. Bon, c’est vrai que Gerland ne nous a pas laissé un bon souvenir… Mais au moins à cette époque, le stade était plein à bloc.

Sur ces mots, on se téléporte à Londres dans un tout autre stade. Un flambant neuf, magistral, faisant partie des plus beaux du monde pour certains, ce que je peux comprendre.

C’est ici qu’a commencé une tout autre histoire d’amour ?

Oui, on peut dire ça. Non pas que je fasse des infidélités aux Girondins, mais disons que depuis quelques années, le club n’est plus que l’ombre de lui-même. Des recrutements hasardeux, l’esprit n’est plus au foot, mais davantage au business. Après, je dis ça, mais on est à Londres. Et même si l’argent est encore plus présent ici, il reste tout de même une volonté de gagner. Les couleurs ne sont pas si différentes en plus ! Et puis ce stade, il est incroyable. Immense mais rarement vide, on est bien à Londres. Ce Coq qui surplombe cette arène, ça met les poils quand même ! Les joueurs aussi sont incroyables ici. Surtout le Danois.

À ces mots, se dessinent encore une fois les fantômes de notre mémoire. Le Danois plane sur tout le terrain, il se balade au milieu de ses adversaires, sa maitrise de balle, son touché ne finissent pas d’impressionner Simon. Si l’arrivée de ce Eriksen l’a définitivement convaincu d’adorer le club de Tottenham, le jeu de maitre du milieu de terrain fascine toujours le jeune spectateur que reste le Bordelais.

Il fait partie de ceux qui ont une classe dans le football. Et puis, il est un des rares milieux offensifs à proprement parler qui existent encore. Un maitre-distributeur qui sert des caviars peu importe son placement sur le terrain. Il arrive toujours à trouver la ligne de passe parfaite, parfois impossible, pas pour lui. Il représente le football qui m’a fait briller les yeux plus jeune, celui qui se définit simplement : sobriété, élégance, sérénité, Andrea Pirlo.

Nés dans la seconde moitié des années 90, on a peut-être grandi avec Zidane, ça doit certainement influencer nos préférences.

Bien qu’on n’ait pas vraiment vu la Coupe du Monde 98, on garde en tête celle de 2006, surtout cette finale mémorable, mais tragique et je ne parle même pas des commentaires de Gilardi ! 

Se dévoile maintenant devant nos yeux absorbés par la pelouse, un homme la quittant, direction le vestiaire, sans se retourner, pas une seule fois. Le regard bas, pas un œil sur le trophée à côté duquel l’Artiste passe lentement… « Pas ça, pas maintenant… ». La fin d’un numéro 10 de légende.

C’est vrai qu’il y a eu 2018 aussi, mais ça m’apparaît comme différent, je n’ai pas tremblé devant les matchs, comme si je savais déjà bien avant tout ça, qu’on allait soulever la coupe dorée. 

Et aujourd’hui, il t’arrive encore de vibrer ?

Oui bien sûr ! J’avoue me remater le résumé de Tottenham – Ajax Amsterdam, la qualif’ des Spurs pour la finale de la C1, c’était quelque chose. Mais c’est vrai que cette année, c’est pas la folie. Que ce soit à Bordeaux ou Tottenham, les clubs sont en crise. Et puis, les études me prennent du temps, beaucoup de temps. Alors on privilégie les grosses affiches, avec les potes. Faut bien qu’il y ait quelqu’un sur qui crier lorsqu’on perd, quelqu’un à chambrer, à embrasser. 

C’est ça mon football aujourd’hui : quelques jongles ou des passes avec mon petit frère entre deux sessions de révisions, ou alors le meilleur : une, deux, trois pintes, dans un bar, avec des buts surtout si c’est Arsenal qui les prend ! Conclue Simon.

Ainsi, nous quittons le stade de la banlieue nord de Londres et laissons s’en aller ses souvenances. Nous revoilà à la maison, séparés à nouveau des terrains, de la pelouse et son odeur qui hérisse les poils d’avant-bras, même sous la parka. C’est un peu toujours comme ça, on s’éloigne, on digère, on s’y rejette. Nouveaux matchs, nouveaux joueurs, même sport, même frisson.

Trois souvenirs indélébiles et intenses. Ils ne s’intéressent pas à ce qui a pu se passer après, ils sont au présent, dans l’immédiateté. Quand on se remémore ces images, on ne pense pas à l’après. Dans le football, tout est le meilleur, même le pire souvenir reste un moment dont on se rappelle avec une nostalgie presque sado-maso. C’est une idée pure, un fragment intact, un morceau de temps dans lequel tout le monde était englobé. Que ce soit le Danois ou le jeune breton portant le maillot au scapulaire pour Simon, sans parler de la Légende, mais bien d’autres encore pour vous, d’autres qui sauront nous parler à tous lorsque vous nous les évoquerez. 

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