Qu’est-ce qu’il s’est passé ? On n’a rien vu venir et pourtant c’est là. D’habitude, on en parle juste pour se faire plaisir, mais en sachant pertinemment que jamais ça n’aurait lieu. Et pourtant. Alors il n’y a plus qu’à en profiter, et imaginer ce qui s’est passé plus tôt ce matin.
Comme chaque matin, allumage de la radio et l’eau dans la cafetière avant d’aller réveiller la petite.
“Buen tiempo hoy, sólo se esperan chubascos al final del día, sobre las 8. Deporte : Rafael Nadal gana el torneo de Roma contra Djokovic. Fútlbol : el atlético se dio un susto pero consiguió ganar el partido, un paso más hacia la victoria mientras se presiona a los jugadores del Real.”
Le café est déjà prêt, le soleil brille déjà lui aussi et illumine la pièce à travers les grandes baies vitrées. Il est bientôt 8h30, l’entrainement est prévu dans une heure. Quelques minutes d’oisiveté peuvent être prises, sur la terrasse. Qu’est-ce qu’il se dit sur les réseaux ? Tasse à la main, mais impossible de retrouver ce foutu téléphone… Il traverse le couloir, monte silencieusement les escaliers et entrouvre une porte ; elle dort encore comme un bébé. Il continue son chemin sur la pointe des pieds et arrive à sa chambre. Le téléphone n’est pas dans le lit défait, ni au bout du cordon de recharge. Mais il est où bordel. Il redescend dans le salon et ouvre la porte-fenêtre et s’allonge sur la première chaise longue et ferme les yeux et sent le soleil du matin sur sa peau.
Au loin se fait entendre un bruit, léger et quasi imperceptible. Ses yeux s’ouvrent d’un coup et il court dans le salon. Immobile, il cherche, à l’oreille, à déterminer l’origine géographique du bruit. On l’appelle et il doit faire vite. Il s’agite entre les canapés et sous un coussin près de la cheminée blanche ; tout est blanc (comme neige) dans cette maison de toute façon ; son téléphone. Numéro inconnu ? Tant pis, il décroche :
” Allô ? Karim ? C’est toi ?
Oui, c’est moi, c’est qui ? J’ai pas le temps j’ai un entrainement.
Oui, je sais Karim, je sais. C’est Didier, Karim, je t’appelle pour discuter Karim.
Didier ? Didier Flores ? Le jardinier ? Qu’est-ce que vous voulez ?
Non Karim, pas Didier Flores, c’est Didier l’autre, tu sais ?
Heu… Non je vois pas non.
Didier Deschamps, Karim. Je t’appelle tôt ce matin parce..
Ha mais arrête tes connerie Ferland, j’ai pas le temps, là, je dois m’occuper de la petite avant l’entrainement, dit-il tout en mettant sa tasse dans l’évier.
C’est pas Ferland, Karim, c’est Didier, Didier Deschamps, le sélectionneur de l’Equipe..
Ouais ouais c’est ça, et moi je suis champion du monde 2018. Allez, arrête tes conneries.
Mais Karim..
T’es avec Rapha c’est ça ? C’est pas drôle sans déconner. Ça ne se fait pas ce genre de vanne. Bon je raccroche, on se retrouve tout à l’heure sur le terrain.”
Karim glisse son téléphone dans la poche et monte. Devant la porte de la chambre de sa fille, il marque un temps d’arrêt. Puis il ouvre la porte doucement et s’approche du lit. C’est l’heure de se réveiller. Et tout d’un coup, le téléphone sonne et surprend la petite fille.
“Allô ?!
Oui Karim, écoute-moi Karim, c’est Didier, Didier Deschamps, je dois te parler mon Karim.
Encore ? Vous en avez pas marre ?! s’énerve-t-il en sortant dans le couloir.
Karim, ne raccroche pas mon Karim, par pitié je suis dans la merde Karim, écoute-moi.
Qu’est-ce que vous racontez encore ?
C’est Olivier, Karim, j’en peux plus, il est nul. J’ai besoin d’un attaquant et c’est le moment de se parler mon Karim.
Surpris, Karim ne dit rien. Il reste immobile dans le couloir blanc.
Tu sais Karim, cette situation est insoutenable pour moi. Je ne sais plus quoi dire ni comment faire. Je me sens perdu depuis quelques temps mon Karim. Je pensais y arriver mais je me suis trompé, terriblement trompé. Cela fait des semaines maintenant que je cherche le bon moment, celui d’avoir le courage de prendre mon téléphone, celui qui serait le meilleur pour qu’enfin, on puisse se parler, que je puisse te parler, j’ai tellement de choses à te dire tu sais. Ecoute-moi…
Je… heu… écoute Didier, je ne sais pas, je dois aller à l’entrainement je t’ai dit et puis…Je ne sais pas si j’ai encore la force d’y croire.
Karim, je veux que tu y croies, parce que moi j’y crois. Je me suis souvent caché derrière des résultats, mais aujourd’hui, je n’ai plus le choix. Je ne te parle plus de football, je te parle du cœur.
Didier arrête, je… Je… que veux-tu à la fin ?
Je te veux toi, tout entier. Je veux te voir en bleu. Te voir soulever un nouveau trophée. Je te veux dans mon vestiaire, je t’ai dans la peau Karim, tu comprends ça ?!
Mon Didier… Ce maillot m’a que trop manqué. Je n’arriverai plus à mentir. Tu sais que je ne peux plus avancer si je sais que jamais, je ne le porterai à nouveau…
Alors reviens-moi, et vite !
Que dira..
On s’en fiche des journalistes, on s’en fiche des consultants. Après cette année de pandémie, j’ai fait le point, et qu’importe ce que dira le monde. Cet été, c’est toi et moi.
Je… Je t’aime. Je t’aime Didier, je t’aime Équipe de France.
Un léger silence s’installe pendant quelques secondes. Didier y met fin, reprenant sa voix de coach, laissant de côté celle du cœur.
Alors je te donne rendez-vous à Clairefontaine à la fin de ta saison, hein. Nous avons un Euro à préparer et j’ai pensé que tu pourrais y apporter ton expérience, aussi bien sur le plan tecqueunique que taqueutique.
C’est d’accord. A très vite Coach.”
Karim raccroche. Son regard est dans le vide. Un sourire se dessine sur son visage. Il entend :
“Papa… J’ai fait un cauchemar…
C’est rien ma chérie ; parce que cet été, on va vivre un rêve.”
KB9 et un retour pour la grâce
Il ne reste plus que quelques heures avant que Didier Deschamps, actuel sélectionneur de l’Equipe de France de football annonce la liste des joueurs retenus pour disputer l’Euro cet été. Plus tôt ce matin, Twitter s’est enflammé lorsque Karim Benzema a ajouté “@équipedefrance” à sa bio. Un simple ajout qui laisse entrevoir l’impensable : un retour de KB9 en sélection.
Au-delà de simplement s’amuser à imaginer une discussion d’âmes soeurs enfin réunies qu’ont eu l’entraineur et l’attaquant star du Real Madrid (tout juste adoubé du trophée de meilleur joueur français à l’étranger), cela en dit beaucoup sur l’état d’esprit du sélectionneur. Il ne peut plus se passer de Karim Benzema. Et c’est sans doute vrai.
Il y a moins d’un an, on écrivait déjà tout le bien que l’on pensait du Madrilène lors du sacre de son équipe en Liga. Sans tomber dans du “Rothenisme”, on se permettra donc d’ajouter : on l’avait vu venir !
Plus sérieusement, on est en revanche en droit d’imaginer ce qu’il se passe actuellement dans la tête de Didier Deschamps, sur le plan sportif, tout du moins. Imaginer oui, mais aussi rêver, de manière lucide. Tout d’abord parce que de la même manière que la saison dernière, Karim Benzema a démontré tout au long de cette saison son incroyable talent mais aussi et surtout son expérience. C’est un couteau-suisse sans équivalent. D’ailleurs, on pourrait dire qu’il est bon partout mais n’excelle nulle part ? Non, c’est faux, il excelle dans de nombreux domaines et c’est justement ce qui fait de Benzema un joueur hors normes. Au sens littéral.
Benzema est tout d’abord un buteur. Troisième de Liga avec 22 buts devant Luis Suarez. Mais il est aussi un joueur qui sait lire le jeu plus vite que la très grande majorité des joueurs de haut niveau. Il donne quand il faut donner, il frappe quand il faut frapper mais surtout, et c’est l’une de ses plus grandes qualités, il sait garder un ballon.
C’est d’ailleurs cette qualité que Didier Deschamps va vouloir exploiter au maximum, et certainement va-t-il construire son dispositif offensif autours de ce paramètre. L’Equipe de France est une équipe de contre-attaque, tout le monde le sait. Seulement, le sélectionneur est conscient des difficultés que peuvent présenter un tel dispositif lorsqu’il est connu trop à l’avance de ses adversaires. Et on a pu le constater ces deux dernières années. Sans pointer d’un doigt inquisiteur, encore une fois, on ne veut toujours pas tomber dans du rothenisme, à très haut niveau, on a pu voir comment des défenseurs ont réussi à éteindre notre vedette Kylian Mbappé et sa vitesse folle. C’est pour palier aux possibles difficultés du jeune Parisien qu’il faut à cette équipe de France un joueur pour l’épauler de la meilleure des façons. Qui d’autre que Karim Benzema, KB9. Lui, qui a joué pour Cristiano Ronaldo comme si sa vie en dépendait, nous a montré quel soutien il pouvait être si on lui faisait confiance. Un homme qui garde le ballon, le temps que notre fusée nationale explose les compteurs.
Nous rêvons peut-être. Nous ne sommes pas aussi bons stratèges que Didier Deschamps. Mais Karim avec retour et quelle joie de voir le petit de Lyon arborer à nouveau le plus beau des maillots.