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La Fédération française de la lose : “On devient presque scientifique de la défaite”

Avec plus de 350 000 fans sur leur page Facebook et 152 000 followers sur Twitter, la Fédération Française de la Lose est la première représentante de la défaite en France. Caviar a rencontré ces fervents défenseurs de l’autodérision peu de temps après le revers du Paris Saint-Germain en finale de Ligue des Champions pour faire un petit tour d’horizon du football français, celui qui échoue.


D’où vient cette success-story si loin des belles valeurs de la FFL ?

On est plein de contradictions. Parfois, on regarde du sport, on a envie que les joueurs ou les clubs gagnent, mais on est quand même content parce que ça nous fait du contenu. Avec la FFL on a trouvé le créneau de la vanne gentille sur le sport français que tout le monde connait depuis les Inconnus et le sketch de « Stade 2 » et ça plaît.

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C’est quoi le point de départ de la Fédération ? La blague sur le sport français, ou le supporter blasé des défaites de son club ?

C’est vraiment parti entre potes. À chaque fois que l’on regardait du sport avec des Français, il y avait cette petite histoire rocambolesque qui pouvait arriver à tout moment. Et au fur et à mesure de ce délire on a créé cette page et puis ça a marché.

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Qu’est-ce qui vous plait le plus dans la défaite ? La honte, le panache ?

Il y a plusieurs déclinaisons de la défaite et au fur et à mesure, on en devient presque « scientifique ». Mais par contre, on parle toujours de Lose et très rarement de looser parce que n’importe quel sportif a forcément losé et ça n’en fait pas un looser, et d’ailleurs s’ils en sont là c’est que ce ne sont pas des loosers normalement, sauf quelques exceptions. Mais nous celle qu’on préfère, c’est celle qui ne se joue à rien. Celle où il y a un scénario qui est resté, celle qui est mémorable. Séville 82, Kostadinov 93 ou la remontada, ce n’est pas forcément honteux, mais en tout cas il y a de l’espoir ! Il faut cette vague d’espoir, c’est plus drôle qu’une lose directe où tu t’attends à ce que quelqu’un perde et il perd. Ça ce n’est pas vraiment drôle. 

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Peut-on dire que la défaite du PSG n’a pas tant marqué les esprits que cela au sein de la FFL ?

Cette finale n’est pas forcément drôle. Tu peux toujours en tirer quelque chose, mais en soi, il y a 50% des clubs qui perdent en finale donc il y aura toujours des perdants. Il y a eu des occasions foirées, un peu de pression par rapport aux enjeux, mais ça ne restera pas dans les annales de la FFL.

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Mais alors qu’est-ce qui fait la différence entre le PSG qui se fait remonter par le Barça et le PSG qui va en finale de LDC ?

L’absence de match retour déjà, ce qui est un avantage pour eux. Paris est un club qui ne sait pas calculer, du moins dans les dernières années. Ils ne savaient pas gérer leurs émotions, gérer le score, en tout cas c’est l’image qu’ils renvoient. Et le format aller-retour accentue ce trait de caractère et c’est ce qui est terrible avec la remontada. Oui ils prennent 6-1 au match retour, mais le match aller c’est peut-être le meilleur match du Paris Saint-Germain depuis que les Qataris sont là (victoire 4-0). C’est l’image de l’équipe qui est capable du meilleur comme du pire. C’est le problème de la régularité. Mais pour parler de pure lose, objectivement, en face lors du 6-1 il y avait quand même des joueurs d’exception, donc j’ai presque préféré Manchester United parce que face à eux, c’était vraiment des joueurs « moins bons ». 

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Du coup, qu’est-ce qu’il faut retenir d’une bonne lose comme celles du PSG ? Ou même du TFC, parce qu’eux ne s’en sortent pas

Toulouse… (silence) alors avec Toulouse le problème est plus profond. J’ai l’impression qu’ils ne s’adaptent pas à la Ligue 2. C’est comme n’importe quelle organisation, le problème est souvent plus haut que ce que l’on imagine. C’est facile de taper sur les joueurs ou sur l’entraîneur, parfois il y a de bonnes raisons, mais après c’est un peu comme l’entreprise, on tape souvent sur les derniers des pions, mais quand la lose arrive une fois, deux fois, trois fois, quatre fois… c’est peut-être que le problème est plus profond que simplement les joueurs. Peut-être qu’il a été résolu à Paris, mais ça on le verra avec le temps.

Comme l’entreprise, on tape souvent sur les derniers des pions, mais quand la lose arrive une fois, deux fois, trois fois, quatre fois…

Antoine de la FFL

Il ne faut pas forcément loser pour gagner ?

Il y en a qui ne losent pas. Le but de l’échec, dans le sport comme dans la vie, c’est d’en apprendre quelque chose. Si tu prends l’exemple de Toulouse et de Paris, l’image qu’ils renvoient c’est qu’ils n’ont pas appris des défaites passées. Ils font les mêmes erreurs, ils ont la même pression, le même langage corporel. Je crois que même s’il n’y a pas de but dans la défaite, il faut au moins en tirer des leçons dans le sport comme dans la vie. Si tu ne le fais pas, derrière il se repasse globalement la même chose. 

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La défaite est censée rendre plus fort, mais s’ils ne le font pas, ça relose  forcément?

C’est facile à dire de l’extérieur, mais en tout cas, c’est l’image qu’on en a. Le PSG a fait pendant 3-4 ans les mêmes erreurs. Quelles sont les erreurs ? Chacun a son avis et je n’en sais pas plus qu’un autre, mais l’image que j’en ai, c’est peut-être trop de confort… peut-être… je ne sais pas… On n’en sait rien. Chacun en tire les conclusions qu’il veut, nous on récupère la défaite et ça nous fait du contenu. 

En France on préférera le beau jeu quand on gagne et on dira qu’on joue mal quand on perd.

Antoine de la FFL

Ce soir, la France entame sa Ligue des Nations en Suède donc forcément, le débat se pose : gagner et jouer mal, ou perdre et jouer bien ?

Il y a des voix différentes à la FFL. À titre perso, je me pose la question de ce qu’est le beau jeu. Si tu peux comparer du Bielsa à du Mourinho, est-ce que Mourinho c’est du « jeu moche » ? Deschamps? Est-ce que c’est du « jeu moche » (à part le France-Danemark 2018 qui était infect) ? Qu’est-ce qui est moche ? France 98 n’était pas bien plus beau que France 2018. Pour le coup, même si c’est contre nos valeurs, je ne crois pas que Deschamps pratique du « jeu moche ».

En Ligue 1, il y a des équipes qui ne jouent pas le truc et c’est vraiment du « dégueulasse ». Mourinho et Deschamps se projettent dans le jeu, mais il y a des équipes de Ligue 1 qui ne le font même pas. Ils se projettent jusqu’à la ligne centrale… Mais c’est sûr que tu vibres plus sur des équipes qui proposent plus de jeu offensif, comme la Belgique par exemple. En France, on préférera le beau jeu quand on gagne et on dira qu’on joue mal quand on perd. Même dans la victoire, on trouve des choses à dire. 

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Mais est-ce que ça voudrait dire que la France n’est pas un pays de football ?

Je n’arrive pas à me dire que la France n’est pas un pays de football. Je pense qu’il y a beaucoup de portée de commentateurs de sport qui, sans les nommer, sont dans le dénigrement perpétuel et qui créent une ambiance « PMU » dans tout ce qui est médiatique. Mais ça, je pense que c’est un peu partout pareil. Mais c’est vrai qu’en France, on n’a aucune émission purement sur la tactique, t’es toujours sur le débat d’à côté. Sur ce point-là, on ne serait pas un pays de football. Comparé à l’Italie avec des émissions d’une heure/une heure et demie, où ils décortiquent la tactique et tout ça, chose que l’on a très peu en France avec nos analyses très légères.

“Le dénigrement perpétuel créé une ambiance « PMU » dans tout ce qui est médiatique.

Antoine de la FFL

Dans ce qui nous est proposé au niveau médiatique, on n’est pas vraiment un pays de football, même s’il y a de la matière. Mais si tu fais que des Talk-Shows de 4 heures, au bout d’un moment tu en viens à parler de tout et n’importe quoi, et du coup tu dis ce qu’il te passe par la tête. Mais ça, que ce soit en sport ou n’importe où. 

Après, si on dit que la France n’est pas un pays de foot, on va tout de suite penser à l’Angleterre, à l’Italie, à l’Espagne ou à l’Allemagne auxquels on va se comparer. J’aimerais parler à ces gens-là, qui ont aussi vécu des grosses loses au niveau national ces derniers temps. L’Angleterre c’est limite dans leur ADN. Après quand tu entends l’union nationale derrière le PSG, ça n’existerait dans aucun autre pays. Aucun supporter de Liverpool ne supportera Manchester United. Mais je pense encore une fois que ceux qui prônent l’union nationale sont minoritaires, mais ont une grosse caisse de résonance. C’est un effet Twitter à tempérer. C’est ce que l’on se dit à la FFL, c’est facile d’avoir un mec qui dit de la merde et d’avoir 72 autres mecs qui lui disent qu’il dit de la merde, mais est-ce que ce mec-là a un avis partagé avec la majorité des supporters… pas sûr.

Mais la France reste un pays de foot selon moi, énormément de Français aiment le football et le pratique. Après c’est sûr, quand on te fout un match de Ligue 1 le dimanche à 15 h alors que tous les amateurs sont sur le terrain le dimanche à 15 h il y a une fracture quelque part. Mais pour revenir sur le débat autour du jeu proposé par Deschamps, c’est aussi une différence entre sélection et club. Si tu suis ton club et que tu regardes 38 matchs dans la saison forcément tu as plus envie de voir ton équipe jouer « bien ». Si tu demandes à un fan de l’OM ce qui l’a fait vibrer sur les 15 dernières années, il te répondra Bielsa même s’ils n’ont rien gagné. Et même si Marseille finit champion de France avec Deschamps, il y avait plus de tension entre les supporters et l’équipe qu’avec Bielsa. C’est différent. Pour moi une équipe nationale doit gagner. Les supporters du Portugal s’en contrecarrent de savoir qu’ils ont joué comme des cochons en 2016. Les supporters grecs en 2004, pareil. Et même sur le beau jeu, moi le combat de ma vie, c’est de prouver que l’Espagne 2010 ne jouait pas un si beau football que ce que l’on veut nous faire croire. Chacun place ses curseurs là où il veut et on ne sera jamais d’accord sur tout. Le beau jeu reste subjectif. 

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Bielsa est un beau loser pour la FFL ?

Bielsa a rendu la défaite secondaire. Dans un milieu où « l’important c’est les trois points » et des mecs viennent pour ne pas perdre, c’est très rare. Il a réussi à se faire excuser les défaites par les supporters. Après forcément tu ne parles pas de la même manière de Bielsa à Lille qu’à Marseille. Mais on parlait de responsabilité tout à l’heure et ça n’a pas créé ce qui était prévu. D’ailleurs Gérard Lopez avait dit que la première erreur venait de lui, et ça, c’est important. C’est là où Bielsa est très bon, il prend la responsabilité des erreurs. Je crois que l’on pardonne beaucoup plus facilement à quelqu’un qui assume ses erreurs. 

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Accepter la défaite rend plus humain ?

Notre modèle à la FFL, c’est d’être une plateforme pour se marrer de la défaite. C’est aussi une logique de vie qu’on a nous. On rigole de nos lose, que ce soit l’époque où l’on rigolait parce qu’on était des loosers avec notre meuf, en cours ou dans la vie. Quand tu as des merdes, ça te permet de faire passer la pilule et le fait d’avoir de l’autodérision rend tout de suite les gens plus sympathiques. Ça marche aussi dans le sport. Ceux qui n’ont pas d’autodérision tu n’as pas envie de les apprécier plus que ça. Quand Kevin Mayer (champion du monde de Décathlon) avait répondu à l’un de nos posts le concernant, et cela très peu de temps après sa lose, ça montre qu’il prend du recul très vite. Il n’a pas forcément digéré où accepter sa défaite, mais ça veut dire qu’il a une certaine distance par rapport à ça et ça montre qu’il est bien dans sa tête. Mentalement il sait ce qu’il a à se reprocher, ce qu’il a mal fait et il va de l’avant. Ce n’est pas facile de rigoler de sa défaite juste après, mais le fait d’avoir ce détachement et cette autodérision montre qu’il ne s’arrête pas sur la lose et il s’en sert pour aller plus loin. Il y en a qui vont toujours se défausser sur l’arbitre, le vélo, la voiture… potentiellement avec raison, mais tu as toujours une part de responsabilité. Il y a des phrases à la con qui disent « le sport c’est l’école de la vie », mais si tu es comme ça dans le sport, t’es aussi comme ça dans la vie et si tu te défausses toujours sur les autres… c’est pareil dans la vie de tous les jours. On aime rarement ces gens-là. Ils ne sont pas trop « likeable ». 

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Et est-ce que le coronavirus et cette année 2020 ne seraient pas déjà votre FFL d’or ?

Je crois que le prix nous revient à nous (rires). On s’est dit que 2020 allait être une super année de sport et que c’était une super année pour notre activité… Pendant le covid, paradoxalement il n’y a pas vraiment eu de lose. C’est plutôt la lose pour nous parce que du coup on a plus de contenu. Celui qui s’en est le mieux sorti, c’est Benoit Paire. Avec ses lives Instagram, il a pu être à la fois dans la déconne et dans le sérieux. Qu’il assume qu’il ne puisse pas suivre un entrainement de haut niveau parce que ça ne lui convient pas, c’est honnête et très intéressant. L’Atalanta aurait pu mettre le seau sur notre vision du PSG, mais finalement ça ne s’est pas fait. Mais ça y est, le Tour de France est de retour, Toulouse a repris et bientôt Roland-Garros, on va être servi. Roland-Garros, c’est le moment où on est le plus heureux. 

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Pour conclure, peut-on dire que la défaite est nécessaire ?

Il faut toujours avoir la demi-mesure sur la défaite. Notre objectif, et ça marche, plus avec certains clubs que d’autres, c’est d’offrir un exutoire à beaucoup de supporters. Finalement, comme beaucoup de choses, en rire ça permet de se dire « tient je vais rire de la défaite de mon club plutôt que de déprimer », ce n’est pas plus mal. 

Je pense que les interviews de Thierry Henry nuancent beaucoup l’idée de la lose et du beau jeu. Dans une interview donnée à Olivier Dacourt, il revient sur toutes ces idées et en parle avec beaucoup de justesse. La phrase « vouloir produire du jeu c’est prendre des risques inutiles » résume bien l’idée du perdre et jouer bien. C’est surtout en France ça. Après bien sûr si tu proposes à quelqu’un une saison où « vous ne jouez pas spécialement bien, mais vous finissez champion de France », n’importe quel supporter le prend. Mais si le sport était une science exacte, ça n’aurait aucun intérêt. 

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