11 juillet 2022, la nouvelle est sur toutes les lèvres : le club de Guangzhou FC est relégué en deuxième division chinoise. Une descente qui va de paire avec les difficultés économiques d’Evergrande, deuxième promoteur immobilier chinois et détenteur du club qui a annoncé en septembre 2021 ne plus être en mesure de faire face à ses créanciers. Un an après le début des difficultés financières d’Evergrande, plongée dans les coulisses de l’économie du modèle chinois et de son possible précipice.
La déliquescence d’un géant du football chinois
Le Guangzhou Evergrande rebaptisé Guangzhou Football Club en 2020 est probablement le club chinois le plus célèbre dans la sphère footballistique. Racheté par le Evergrande Real Estate Group en 2009, les investissements massifs du promoteur immobilier tendent à en faire l’un des clubs les plus puissants de Chine. Le club fera même la Une de la presse sportive lorsqu’en 2012 le sélectionneur champion du monde 2006 avec l’Italie, Marcelo Lippi, s’engage dans les rangs du club cantonnais. Suivra un autre champion du monde italien, Fabio Cannavaro, pour prendre la succession du Maestro.
De ce rachat suivent huit championnats de Super League chinoise, dont sept consécutifs (2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017 et 2019) ; deux Coupes de Chine (2012 et 2016) ; trois Supercoupes de Chine (2012, 2016 et 2017) et deux Ligues des champions de l’AFC (2013 et 2015). Selon Luc Arrondel, économiste spécialisé dans le football « à partir de 2010 le club de Guangzhou valait à peu près 150 millions d’euros. La société Alibaba est venue investir dans le club et a racheté environ 50 % des parts pour plus d’1,5 milliards. Guangzhou a été fortement valorisé ». Le club développe également en 2012 une académie dénommée Evergrande Football School qui se veut être le fleuron de la formation chinoise avec en ligne de mire les Mondiaux 2026 et 2030 que la Chine ambitionne alors d’organiser.
La première alerte retentit d’abord côté sportif, avec la saison blanche de l’année 2018, une première depuis son rachat en 2009. Le coup de grâce est porté avec l’annonce de la faillite de la société mère Evergrande en septembre dernier. Les conséquences financières ont été particulièrement désastreuses pour le club de football de Guangzhou. Le 16 février dernier, le Guangzhou FC dans un communiqué annonçait la résiliation à l’amiable des contrats de cinq joueurs brésiliens naturalisés chinois, dont Elkeson l’un des cadres du vestiaire, suite aux difficultés et aux coupes budgétaires dans les finances du club. Aujourd’hui, le club pointe à la 16ème place de la Super League chinoise et est relégué en division inférieure pour la prochaine saison. Le Guangzhou FC demeure un monument du football chinois certes, mais un monument fissuré.
Un modèle au bord du précipice
Pour Philippe Aguignier, économiste spécialiste de la Chine « il y a un problème spécifique à Evergrande, mais derrière le ralentissement de l’économie chinoise et de la surchauffe immobilière peuvent affecter les clubs de football. Evergrande c’est plutôt un symptôme que le mal. »
Un symptôme qui a quand même permis au grand public de prendre conscience des risques encourus. En effet, le retrait des sociétés commerciales qui finançait le football chinois, à l’instar d’Evergrande ou encore de Suning pousse l’État chinois et les villes, à assurer la maintenance des infrastructures. La faillite d’Evergrande intervient à un moment capital de l’histoire du Guangzhou FC puisqu’en avril 2020 la construction du nouveau stade du club a été lancée.
Un projet titanesque avec comme ambition de construire un stade plus grand que le Camp Nou – le stade du FC Barcelone – avec une capacité de 100 000 spectateurs pour un coût des travaux tout aussi gargantuesque estimé à 12 milliards de yuans, soit 1,55 milliard d’euros selon l’Agence France Presse. Initialement le chantier aurait dû être achevé fin 2022, il va sans dire que ce ne sera pas le cas, entre crise économique et résurgence de la Covid en Chine. Face à l’effondrement financier de son bienfaiteur, le club de Guangzhou FC a sollicité la municipalité pour racheter des parts du stade pour pouvoir mener à bien son investissement.
Flou artistique autour des investissements chinois dans le football
De cette situation naissent plusieurs conséquences, domestique d’abord avec les difficultés éprouvées par la Super League chinoise mais également à l’étranger puisque les investisseurs chinois ont tendance à se retirer des clubs dont ils avaient acquis des parts, notamment en Europe.
Evergrande n’est pas la seule entreprise à connaître des déboires financiers, Suning aussi est victime de la conjoncture économique hostile. Le conglomérat spécialisé dans la vente en ligne était propriétaire du Jiangsu FC, vainqueur du championnat chinois lors de l’exercice 2020 s’est retiré de la gestion du club peu après le sacre. Faute de repreneurs, le club a été dissous en février 2021.
Plus largement, le retrait des investisseurs chinois dans le monde du ballon rond hors de leur contrée inquiètent. Le destin funeste du Jiangsu FC fait trembler un géant du football italien, l’Inter Milan dont Suning détient 67 % des parts. Le flou qui a régné autour du club ces derniers mois est symptomatique de l’ensemble des clubs européens sous pavillon chinois, comme l’Atlético Madrid dont le nom du stade (Wanda Metropolitano) est lié au Wanda Group ; un conglomérat regroupant des activités liées au tourisme, à l’hôtellerie et au cinéma. Mais que les fans du club nerazzuri se rassurent, malgré l’appel de Xi Jinping aux investisseurs chinois de retirer leurs actifs à l’étranger, la famille Zhang a réitéré son attachement au club milanais et son intention de continuer dans les affaires du club en mai dernier. D’autres clubs de moindre envergure mais reconnus pour leur formation sont aussi sous pavillon chinois, comme Sochaux en France ou l’Espanyol Barcelone.
Pourtant, même si le football chinois semble plus que jamais en danger, il est fortement probable que l’État en personne vienne à sa rescousse, comme l’explique de nouveau Luc Arrondel : « Le gouvernement chinois a vraiment eu la volonté de développer le football en Chine, comme outil de soft power ; je pense que le football est un de ces instruments là qui permet d’asseoir la suprématie. Donc il y a vraiment une volonté de développer le football à la fois au niveau domestique mais aussi à travers l’équipe nationale puisque la volonté de la Chine c’est de devenir une puissance du football à l’horizon 2050. »
Pour parvenir à cet objectif, il est nécessaire que les joueurs locaux évoluent au moins dans un premier temps dans un championnat compétitif et attractif permettant de valoriser les joueurs chinois. Soit en intégrant par la suite une écurie européenne de renom, soit en continuant dans le championnat local mais en s’affirmant comme des concurrents notables à leurs homologues régionaux par exemple. L’État chinois ne peut donc pas laisser son modèle dépérir indéfiniment s’ il souhaite toujours s’affirmer comme une puissance footballistique régionale voire mondiale dans les prochaines années.
Un retour à l’isolationnisme footballistique ?
Longtemps mis en avant par le néo Grand Timonier Xi Jinping, le football, au même titre que l’économie du pays, marque le pas. Outre la non qualification à la Coupe du monde au Qatar, des contraintes toujours plus nombreuses ont été établies ces dernières années pour mettre fin à la folie des grandeurs des clubs et investisseurs chinois.
Le processus inique a été lancé en 2017 lorsque le gouvernement central a établi une nouvelle règle fiscale pour réguler le marché des transferts en Chine, une taxation à hauteur de 100 % sur les transferts d’un montant supérieur à 45 millions de yuans (soit environ 6 millions d’euros). Ce qui a fortement freiné les ardeurs des clubs habitués aux transferts et salaires clinquants.
Pour ceux qui tenteraient de feindre les nouvelles règles, le gouvernement prévoit jusqu’à un retrait de 15 points. Cette mécanique d’ « assainissement » du football chinois s’est renforcée en 2020 avec la mise en place d’un salary cap (la masse salariale maximale que chaque équipe ne peut dépasser, ndlr) pour le revenu des joueurs étrangers. Ces derniers ne peuvent plus disposer d’un salaire supérieur à l’équivalent de 3 millions d’euros pour la période 2020-2023. Pour Luc Arrondel, il s’agit de « la fin de l’Eldorado chinois pour les gros salaires ; la démission de (Fabio) Cannavaro marque un tournant ». De quoi renforcer l’attractivité des championnats des pays du Golfe, les « nouveaux riches » du football où les transferts et les salaires sont de plus en plus tapageurs.
Pourquoi un tel durcissement de la part du gouvernement chinois ? La réponse tient en un mot : Formation. Académies démesurées, à l’image de celle de Guangzhou, obligations pour les clubs locaux de faire jouer au moins un joueur U23 chinois, ou encore limiter à 3 le nombre d’étrangers présents sur la feuille de match. Selon Luc Arrondel, la formation expliquerait le rétropédalage du football chinois : « Le gouvernement chinois voulait beaucoup plus développer les joueurs locaux, en mettant l’accent sur la formation, à l’image de la taxe de 100 % sur les transferts étrangers, où chaque euro utilisé pour le transfert d’un joueur étranger vous devez verser un euro à un fonds pour le développement et la formation des jeunes joueurs ».
Pour l’instant, cette restructuration ne semble pas porter ses fruits puisque seul Wu Lei, attaquant du côté de l’Espanyol Barcelone, s’est exporté avec succès. Sur la scène internationale, la Chine a raté la qualification au mondial 2022 après avoir également été absente de celui organisé en Russie en 2018. Pire encore, la Chine n’a participé qu’à une seule édition de la plus grande des compétitions internationales, il y a 20 ans et s’est fait sortir dès les phases de poule. Autre symbole de l’échec de la formation à la chinoise, la naturalisation de cinq joueurs étrangers pour tenter de décrocher un billet pour la Coupe du monde. La sélection nationale féminine reste bien plus performante, qualifiée pour toutes les Coupes du monde hormis l’édition 2011 et régulièrement performante sur la scène internationale (1/8 ème de finaliste lors de la dernière édition). La Chine reste aujourd’hui loin au classement FIFA des meilleures nations (77ème). Loin de ses concurrents régionaux, à l’image du Japon ou de la Corée du Sud, et bien loin de ses ambitions.