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Jeunesse et sports, histoire d’un lien institutionnel

Au delà du défilé de personnalité à sa tête, le portefeuille regroupant jeunesse et sports est méconnu alors que celui-ci joue un rôle important dans la vie de chaque citoyen. Raison pour laquelle cet article s’attèlera à raconter l’histoire de la jeunesse et des sports au sein des gouvernements de la première partie du 20ème siècle. Histoire composée de tutelles différentes, d’administrations différentes et d’attributions différentes.


De l’éducation physique à la jeunesse et aux sports, du sous-secrétariat d’état au ministère de plein exercice (c’est-à-dire un ministère placé sous l’autorité d’aucun autre ministère) en passant par le secrétariat d’état, de la tutelle du feu ministère de la guerre à celui du ministère de l’éducation nationale en passant par le ministère de la santé, le portefeuille regroupant jeunesse et sports a eu mille vies administratives. De nombreuses personnalités du monde du sport ont été à sa tête, Bernard Laporte (Oct. 2007 – Juin 2009), David Douillet (Sept. 2011 – Mai 2012), Laura Flessel (Mai 2017 – Sept. 2018) et Roxana Maracineanu (Sept 2018 – …).

Malgré ce défilé des personnalités peu savent quel est l’objectif de ce portefeuille. Être en charge de la jeunesse et des sports signifie, à l’aide des services déconcentrés, élaborer, mettre en oeuvre et évaluer la politique nationale des activités physiques et sportives (développer le sport pour tous, organiser le sport de haut niveau, prévenir par le sport comme facteur de santé et de bien être et promouvoir et développer les métiers du sport) ainsi que les politiques en faveur de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative. Connaître les objectifs de ce portefeuille est une chose, connaître les raisons de sa constitution en est une autre, remontons l’Histoire à la recherche de pourquoi jeunesse et sports sont aujourd’hui liés.

L’éducation physique, entre ministère de l’instruction publique et ministère de la guerre

Apparu au gouvernement en 1921, l’éducation physique était partagée entre le ministère de la guerre (aujourd’hui ministère des armées) pour la partie relative au service militaire/préparation physique et le ministère de l’instruction publique (ancêtre de l’éducation nationale) pour la partie scolaire . De cette répartition, a découlé de nombreux débats à l’assemblée quant à la tutelle de l’éducation physique. L’éducation physique doit-elle être sous la tutelle du ministère de la guerre, sous la tutelle du ministère de l’instruction publique ou doit-elle être intégrée à un ministère de la santé nouvellement créer ?

En apparence, cette question est réglée en 1928, année à partir de laquelle est crée un sous-secrétariat à l’éducation physique sous la tutelle du ministère de l’instruction publique. Ce sous-secrétariat rassemble les entités sous la responsabilité du ministère de l’instruction publique et celle sous la responsabilité du ministère de la guerre. Cependant, dans le fonctionnement (tant central que déconcentré), dans la composition, dans le financement, et dans les infrastructures, le ministère des armées garde une place prépondérante. Il est aussi important de noter que la jeunesse n’apparaît pas explicitement bien qu’une partie des activités de ce sous-secrétariat d’état lui sont dédiées.

Le rapport du front populaire à la jeunesse, aux sports et aux loisirs

1936, le Front Populaire fut. Des nouveautés arrivèrent notamment quant aux sports et aux loisirs. Le sous-secrétariat à l’éducation physique sous tutelle du ministère de la santé depuis 1934, demeure, et ce dans sa composition mixte (civile/militaire). Réelle nouveauté, la création d’un sous-secrétariat d’état à l’organisation des loisirs et des sports avec à sa tête Léo Lagrange. Ce dernier est lui aussi sous tutelle du ministère de la santé publique. Comment se répartissent alors les rôles ?

Le premier a en charge l’éducation physique scolaire et ce qui a trait à la préparation physique militaire et l’éducation physique militaire tandis que le second a en charge les sports et les loisirs (camping, auberges de jeunesse, colonies de vacances et tourisme pour tous). La encore même si il existe un rapport à la jeunesse, aucune mention n’y est faite dans l’intitulé. 1937 et 1938 sont des années mouvementées pour les sports et les loisirs, les deux sous-secrétariat sont fusionnés en un seul le sous-secrétariat à l’éducation physique, aux sports et aux loisirs sous la tutelle du ministère de l’éducation nationale avant de redevenir brièvement le sous-secrétariat d’état à l’éducation physique et enfin de devenir en avril 1938, la direction des sports, loisirs et éducation physique du ministère de l’éducation nationale.

Le régime de Vichy, père d’une administration dédiée à la jeunesse

Sous Vichy, « jeunesse » apparaît pour la première fois comme intitulé d’une administration : le Secrétariat Général de la Jeunesse (SGJ). Cette administration distincte de celle dédiée à l’éducation physique/aux sports, le Commissariat Général à l’Éducation Général et aux Sports (CGEGS), sont sous la tutelle, le temps d’un été (1940), du ministère de la jeunesse et de la famille. Elles ont ensuite connu des trajectoires différentes, la première fut sous la tutelle du président du conseil avant d’être tutellée par l’éducation nationale. La seconde est depuis la disparition du ministère de la jeunesse et de la famille, sous giron du ministère de l’éducation nationale. Le CGEGS devenu Commissariat Général à l’Éducation Physique et aux Sports (CGEPS) a une situation stable pendant l’occupation tandis que le Secrétariat Général de la Jeunesse d’abord ambitieux, se voit ensuite vider de substance par l’éducation nationale, situation qui sera suivi d’un regain de responsabilités avant le déclin.

Deux administrations, des sujets se chevauchant, les ingrédients sont réunis pour une lutte d’influence au sommet de l’état. Lutte d’influence qui passe d’abord … par une lutte des places. A la disparition du ministère de la jeunesse et de la famille, les services relatifs à la famille quittent l’hôtel des Célestins (Vichy), lançant alors une lutte pour les bureaux désormais vacants … comme l’administration française en a connu tant. Les protagonistes de cette lutte sont : Georges Lamirand, secrétaire général de la jeunesse de 1940 à 1943 et Jean Borotra, commissaire général à l’éducation physique et aux sports de 1940 à 1942 (et accessoirement joueur professionnel de tennis s’étant illustré en coupe Davis dans les années 1920). Demande avec tableau d’occupation des locaux à l’appui, implication des autorités de tutelles, lettre à son homologue, tous les moyens sont bons pour récupérer les bureaux vacants. En effet, les places sont rares et encore plus lorsqu’il s’agit de places permettant de travailler dans les meilleures conditions possibles.

Après la guerre … l’épuration : l’occasion de voir jeunesse et sports sous un même toit

Après la guerre … l’épuration. Le Secrétariat Général de la Jeunesse et le Commissariat Général à l’Éducation Physique et aux sports sont épurés. De nombreux fonctionnaires sont suspendus avant de passer dans les commissions supérieures d’enquêtes qui décident de leur sort. De plus, de nombreuses nominations sur titres ayant eu lieu pendant l’occupation sont remises en cause.

Sont aussi refondées les administrations de la jeunesse et des sports, place à la direction de la culture populaire et des mouvements de la jeunesse et à la direction générale de l’éducation physique et des Sports, toutes deux prenant place dans l’organigramme de l’éducation nationale et ce malgré l’esquisse d’un rapprochement par le gouvernement provisoire de la République française. Les deux directions n’ont pas le même statut, la seconde est une direction générale au même titre que celles de l’enseignement, des arts et des lettres ainsi que de l’architecture tandis que la première est une simple direction rattachée à la direction générale de l’enseignement.

En 1946, jeunesse et sports sont enfin réunis sous un même intitulé, apparaît alors le sous-secrétariat d’état à la jeunesse et aux sports qui sera rattaché en 1947 au nouvellement crée ministère de la jeunesse, des Arts et des Lettres. La fusion s’inscrit dans un processus de suppression d’emplois dans le secteur de la jeunesse et des sports. A la disparition du décrié ministère de la jeunesse, des Arts et des Lettres, jeunesse et sports ne figurent plus dans la composition du gouvernement. Ils réapparaissent en 1948 par le biais du secrétariat d’État à l’Enseignement technique, à la Jeunesse et aux Sports qui sera ensuite ré-ogarnisé fin 1948 – afin de réduire les emplois de directeurs et de chefs de bureau des administrations centrales – en Direction Générale de la Jeunesse et des Sports.


L’éducation physique puis le sport apparaissent dans les intitulés gouvernementaux au début des années 1920 tandis que la jeunesse apparaît en 1940. Les deux administrations ont évolué séparément sans pour autant être éloigné en termes de thématique. Toutes deux ont été bourlingué de ministère en ministère et changé moult fois de formes. La fusion, vers un portefeuille « jeunesse et sports » tel qu’il est normal de le voir aujourd’hui date de 1946, et est due à la rationalisation des moyens. Rationalisation des moyens qui justifiera également, fin 1948, la transformation du secrétariat d’état dédié en direction générale. Entre 1948 et aujourd’hui, la jeunesse et les sports ont continué à voyager à travers les ministères avec certaines interludes où le portefeuille a eu le droit à un ministère de plein exercice.

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