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Furiani : s’arrêter pour commémorer ?

L’Assemblée nationale a voté le 13 février pour un jour sans football professionnel le 5 mai, en mémoire de la catastrophe de Furiani qui a fait 18 morts et des milliers de blessés. Mais le gel du 5 mai soulève la question du devoir de mémoire et de ses formes.


Un devoir de mémoire respecté

Ne pas oublier est une étape cruciale dans l’Histoire avec un grand H. Le devoir de mémoire est un passage obligatoire à toutes populations, minorités, groupes ethniques pour ne pas tomber dans l’insignifiance et l’oubli. Se rappeler est une manière de prendre en considération des « oubliés », des « mis de côté ». Dans ce sillon-là, le collectif des victimes du drame de Furiani demande un droit de reconnaissance aux instances nationales. Ceux tombés ou blessés le 5 mai 1992, dans l’effondrement de la tribune nord du stade Armand-Cesari, ont le droit à cette mémoire. Portée par le député nationaliste corse (Libertés et Territoire) Michel Castellani, présent lors de cette demi-finale de Coupe de France entre le SC Bastia et l’Olympique de Marseille, la proposition de gel du 5 mai est arrivée à l’Assemblée Nationale début février.

La tribune qui s’est écroulée a fait 18 morts et 2357 blessés

Longtemps freiné par la Ligue et la Fédération réticentes à chambouler toute leur organisation, le collectif repart de l’avant grâce, entre autres, à Toifilou Maoulida, alors joueur bastiais, qui déploie une mythique bandelette de sa chaussette : #Pasdematchle5Mai en 2015. Le gouvernement socialiste prend en considération la nécessité de se rappeler pour ne pas oublier les victimes, les familles, les proches touchés… Le 5 mai devient une date d’hommage national sur nos terrains de foot et si le 5 mai tombe un samedi, aucune rencontre ne sera disputée. Un premier pas vers la reconnaissance qui va en amener de nouveaux avec le soutien de nombreuses personnalités et de clubs. Ceux-ci réussissent à faire céder la LFP qui, 28 ans après, demande une « commémoration renforcée ». Critiquée par Castellani, cette décision n’est, pour lui, pas suffisante. Le retard du gouvernement et des instances du football professionnel français ont, toujours selon ses idées, conditionné cette catastrophe comme un « problème corse ».

Ce passage par les bancs de l’assemblée inscrit la catastrophe de Furiani au niveau national. Soutenu par La République en Marche et par la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, le gel du 5 mai a été adopté à l’extrême majorité par les députés. À 85 contre 1 (sur 87 votants), le devoir de mémoire est assuré nationalement par le report de toutes rencontres professionnelles qui tomberont un 5 mai. Castellani et Josépha Guidicelli, présidente du collectif du 5 mai, sont soulagés. La mémoire des victimes sera respectée et chacun pourra se souvenir du drame qui n’a pas touché uniquement la Corse, mais bien le football français tout entier.

Un gel cohérent ?

Mais se souvenir en s’arrêtant, est-ce la meilleure des solutions ? Partisan de la sacralisation de cette date pour marquer une rupture dans une saison routinière, Castellani et le collectif du 5 mai 1992 ont toujours poussé pour un jour d’arrêt dans le football professionnel. Interpeller par un changement des habitudes pour mieux se souvenir. Commémorer par le gel pour expliquer aux enfants ce qu’il s’est passé le 5 mai 1992 en Corse, pour se rappeler de ce que l’on faisait cette journée-là qui a bouleversé le monde du sport hexagonal. S’arrêter pour se consacrer à des actions de sensibilisations, de mémoire et de recueil.

Mais le football n’est-il pas une fête ? Et ne doit-il pas le rester ? Le drame de Furiani n’aurait-il pas sa place lors d’une journée du 5 mai consacrée à la mémoire sur tous les terrains de foot nationaux ? Toutes les victimes, venues pour célébrer leur équipe, faire la fête et profiter de la Coupe de France pour chanter, danser, crier, et supporter des joueurs qu’elles adulaient, trouveraient peut-être plus de sens à une journée de commémoration à travers le football. Et si chaque club portait un maillot spécial en commémoration du drame, comme l’AS Saint-Étienne l’avait fait en 2018, et versait les bénéfices de cette journée aux victimes, à leurs familles ou aux proches par l’intermédiaire du collectif ?

Et si chaque club portait un maillot spécial en commémoration du drame (…) et versait les bénéfices de cette journée aux victimes, à leurs familles ou aux proches

Continuer de faire la fête tout en se remémorant pour porter encore plus haut la mémoire de ces supporters venus célébrer une demi-finale de coupe. Commémorer en s’arrêtant reste une solution pour sacraliser et ne pas oublier, mais jouer une journée de Ligue 1 ou de Coupe un 5 mai permet aussi de véhiculer des valeurs, des émotions. C’est ça, aussi, le devoir de mémoire.

Comment on gère ces drames à l’étranger ?

Tout de même, cette considération mémorielle est un grand pas en avant dans l’histoire du football. Si l’on regarde du côté de l’étranger, rien de comparable n’a été mis en place pour les victimes du Heysel. Le communiqué annuel d’hommage des deux clubs (Liverpool et Juventus) est entré dans les habitudes. Dans l’anonymat, presque. « L’association des familles des victimes du Heysel » se bat pour faire entendre leur voix. À ce jour, quelques stèles et œuvres de musées permettent de se remémorer ce drame. Une absence de sensibilisation qui ouvre la voie à des chambrages d’une extrême violence à l’envers du club turinois. Il n’est pas rare de faire allusion aux 39 victimes avec des banderoles à l’encontre des fans Juventini comme les banderoles affichant « -39 ».


Constat similaire pour les victimes d’Hillsborough. Un mémorial est constamment fleuri dans les travées d’Anfield Road et certains lieux de recueillement ont été mis en place, mais jamais une loi n’a été votée afin de faire de ce devoir de mémoire un devoir collectif et national. Finalement, ce gel du 5 mai marque un premier pas national vers la reconnaissance. Respecté, ce devoir de mémoire permettra certainement une union promordiale entre supporters et citoyens, pour le bien de notre société. Et pour garder en tête toutes ces victimes, afin de ne jamais oublier.

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