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Fernando Torres, les adieux d’une légende

Après Xabi Alonso, Carles Puyol ou encore Xavi, un autre monstre sacré du football espagnol tire sa révérence. Fernando Torres disputera vendredi le dernier match de sa carrière professionnelle. La fin d’une époque. Mythique n°9 de la Roja, l’enfant de Fuenlabrada s’apprête à raccrocher les crampons après 18 années au plus haut niveau.


C’est à Tosu, sur l’île de Kyushu, qu’une légende s’apprête à quitter la scène. Fernando Torres (35 ans) tournera définitivement la page de sa carrière de footballeur vendredi, au terme d’un 878e match chez les professionnels. Une carrière riche de 302 buts sous les couleurs de l’Atlético, Liverpool, Chelsea, l’AC Milan, le Sagan Tosu et la sélection espagnole. Une carrière marquée par de nombreux trophées, parmi lesquels la Ligue des Champions (2012), la Coupe du monde (2010) et l’Euro (2008, 2012). Une carrière qui force le respect et l’admiration, bien que ponctuée de hauts et de bas.

El Niño, attaquant précoce

Le talent de celui qui sera surnommé El Niño s’exprime très tôt. Torres crève l’écran lors de l’Euro des moins de 16 ans, en 2001. En plus de remporter la compétition avec la Rojita, il termine meilleur buteur et inscrit l’unique but de la finale. Bis repetita en 2002 pendant l’Euro des moins de 19 ans. Torres et ses coéquipiers flambent, l’attaquant obtient le trophée de meilleur réalisateur du tournoi et offre le titre à sa sélection en marquant le seul but de la finale contre l’Allemagne. Comme la prémisse de ce qui se passera en juillet 2008, une nouvelle fois face à la Mannschaft…

Formé à l’Atlético de Madrid, le jeune Torres fait ses débuts avec l’équipe première le 27 mai 2001, à 17 ans. Une semaine plus tard, il trouve le chemin des filets face à Albacete, cinq minutes après être entré sur la pelouse. Le porteur du maillot n°35 participe à la remontée du club en Liga lors de la saison suivante avec 6 buts en championnat. El Niño découvre l’élite. Ses premiers pas sont concluants puisqu’il inscrit 13 réalisations en 2002-2003. Capitaine de l’Atlético à 19 ans, Torres devient le symbole de la renaissance et du retour du club au premier plan. Ses performances lui ouvrent les portes de la Seleccion en septembre 2003, sa régularité sous le maillot colchonero lui permet de s’y installer – il participe à l’Euro 2004 puis à la Coupe du monde 2006, pendant laquelle il marque trois buts. L’Espagnol s’impose comme l’un des meilleurs artificiers de la Liga : 19 buts en 2003-2004 puis 16 en 2004-2005, 13 en 2005-2006 et 14 en 2006-2007. L’attaquant est désormais trop grand pour une équipe qui peine à rivaliser avec les grosses cylindrées du championnat et qui ne lui offre une exposition européenne que limitée. Au terme de la saison 2006-2007, Torres a 23 ans et comptabilise 91 buts avec l’Atlético, dont 75 en Liga. Le moment pour l’enfant du club de prendre son envol.

Décollage vers les sommets

Fernando Torres débarque à Liverpool. Le club anglais, finaliste de la Ligue des Champions, débourse un montant record de 36 M€ pour s’offrir ses services. Le transfert est officialisé le 4 juillet 2007. L’Espagnol hérite du mythique n°9, porté par des légendes du club comme Ian Rush et Robbie Fowler. Il se met rapidement à l’heure anglaise, dans un vestiaire où il peut compter sur le soutien de ses compatriotes Xabi Alonso, Pepe Reina et Alvaro Arbeloa. Torres ouvre son compteur sous le maillot des Reds face à Chelsea, le 19 août, à Anfield. Le Kop ne tarde pas à chanter à la gloire de son buteur, qui enchaîne les prestations de grande classe. Auteur d’un triplé en 36 minutes contre Reading le 25 septembre, il forme un duo aussi imprévisible que redoutable avec Steven Gerrard. L’attaquant marque 24 buts pour sa première saison en Premier League, ce qui en fait le deuxième artificier du championnat, derrière le futur Ballon d’Or Cristiano Ronaldo. Adroits des deux pieds, précis de la tête, capable d’éliminer, intelligent dans ses déplacements, Fernando Torres est un poison pour les défenses du Royaume. Le fer de lance de l’attaque des Reds brille également pour ses débuts en Ligue des Champions : buteur en phase de poules contre Porto et Marseille, il score de nouveau en huitièmes contre l’Inter Milan, en quarts contre Arsenal et en demies contre Chelsea. Torres achève sa première saison sur les bords de la Mersey avec 33 réalisations.

En pleine bourre, le n°9 continue sur sa lancée lors de l’Euro, avec un grand David Villa pour mener l’attaque de la Roja à ses côtés. Sevrée de titre majeur depuis 1964, l’Espagne se met à rêver. Les hommes de Luis Aragones cartonnent en phase de poules et écartent l’Italie puis la Russie pour obtenir leur place en finale. Ils y retrouvent l’Allemagne, plus habituée de ces grands rendez-vous internationaux, le 29 juin 2008. Le jour de gloire pour Fernando Torres. À la 33e minute, l’attaquant accélère pour passer devant Philipp Lahm et piquer le ballon au-dessus de Jens Lehmann, le cuir finissant sa course dans les filets… Un éclair qui vint illuminer la nuit viennoise et qui délivra un pays tout entier. Un but synonyme de titre pour la Seleccion et de confirmation d’un nouveau statut pour l’Espagnol, désormais parmi les tout meilleurs joueurs de la planète. Il termine d’ailleurs troisième du Ballon d’Or cette année-là.

La saison 2008-2009 voit Torres maintenir un rythme remarquable. Liverpool tient la dragée haute à Manchester United en championnat, mais le mano a mano tourne à l’avantage des Red Devils. Les hommes de Rafael Benitez échouent à la deuxième place, malgré un total de 86 points et seulement 2 défaites. Pas épargné par les pépins physiques, Fernando Torres ne dispute que 24 matchs mais inscrit tout de même 14 buts, ce qui en fait le buteur le plus efficace du Royaume avec une moyenne de 0,58 but par match en Premier League. Le Kid se révèle de nouveau décisif sur la scène continentale en marquant en huitièmes contre le Real Madrid et en quarts contre Chelsea. Une fois encore cependant, les Blues mettent fin au parcours européen des Reds.

De retour à Liverpool après une Coupe des confédérations dont l’Espagne se classe troisième et au cours de laquelle il est l’auteur d’un triplé contre la Nouvelle-Zélande, Torres démarre sa saison tambour battant. Il compte 10 buts après 11 journées de championnat. En décembre, il atteint le cap des 50 buts en Premier League après 72 matchs, du jamais vu du côté de Liverpool. Freiné par une blessure au genou, il termine la saison avec 22 buts en 32 matchs. Remis à temps, Torres est sélectionné pour sa deuxième Coupe du monde. À cours de forme, il doit cependant se contenter d’un rôle secondaire dans l’épopée victorieuse de la Roja, même s’il participe à toutes les rencontres et qu’il est titularisé quatre fois.

L’absence de perspectives de trophées pousse le chouchou du Kop à quitter Liverpool. Les Reds peinent à trouver la bonne carburation après le départ de Rafael Benitez et vivent une première partie d’exercice 2010-2011 chaotique. Fernando Torres s’engage donc avec Chelsea dans les dernières heures du mercato le 31 janvier 2011. Un crève-cœur pour les supporters. Le club de Roman Abramovitch n’hésite pas à engager un montant record de 58 M€ pour arracher le champion du monde au rival liverpuldien. Une page se tourne. Arrivé à maturité dans le nord de l’Angleterre (81 buts en 142 matchs avec Liverpool), il met le cap vers Londres avec l’ambition d’enrichir son palmarès. La suite lui donnera raison.

Les montagnes russes avec Chelsea

Les débuts de Torres sous le maillot bleu sont laborieux. Il doit attendre le 23 avril pour enfin débloquer son compteur, face à West Ham. Confronté à la concurrence de Didier Drogba, le n°9 alterne titularisations et sorties du banc de touche. Il enfile son habit de lumière de manière occasionnelle lors de la saison 2011-2012, à l’image d’un quart de finale de Cup qui le voit marquer deux buts et délivrer deux passes décisives contre Leicester. Il est également acteur de l’épopée des Blues en Ligue des Champions. Passeur décisif pour Salomon Kalou lors de la victoire 1-0 de Chelsea sur le terrain de Benfica en quarts de finale aller, Torres crucifie le FC Barcelone en demi-finales. Les hommes de Pep Guardiola, en supériorité numérique, poussent pour obtenir leur qualification. Jusqu’à ce que l’international espagnol vienne éteindre le Camp Nou d’un but scellant la qualification des siens pour la finale, dans le temps additionnel. Le 19 mai, Roberto Di Matteo et ses hommes soulèvent la Coupe aux grandes oreilles après une séance de tirs au but victorieuse. Deux semaines après avoir remporté la Cup, Torres ajoute une ligne supplémentaire à son palmarès. S’il n’a plus le même rayonnement qu’à Liverpool, l’attaquant participe à l’écriture d’une des plus belles pages de l’histoire des Blues et satisfait enfin sa soif de titres.

Il en remporte un autre à l’occasion de l’Euro. Même si Vicente Del Bosque lui préfère Cesc Fabregas dans le onze de départ, Torres achève la compétition comme soulier d’or avec trois réalisations. Il se montre notamment décisif lors de la finale avec un but et une passe décisive face à l’Italie. L’Espagne s’offre un troisième titre majeur en l’espace de quatre ans, le natif de Fuenlabrada peut savourer. La confiance retrouvée, il brille lors de la saison 2012-2013 avec 12 buts entre août et décembre. Il joue ensuite un rôle majeur dans l’épopée victorieuse de son équipe en Ligue Europa : décisif en seizièmes, en huitièmes, en quarts et en demies, il fait encore trembler les filets lors de la finale contre Benfica. Auteur de 23 buts en club, il réalise sa meilleure saison sur le plan comptable depuis l’exercice 2007-2008 et enchaîne lors de la Coupe des confédérations – il termine soulier d’or et l’Espagne atteint la finale.

Concurrencé par Demba Ba mais également par Samuel Eto’o, l’Espagnol voit son temps de jeu réduit en 2013-2014. José Mourinho alterne entre les trois hommes, qui prennent la lumière à tour de rôle. Une situation dont Torres ne se satisfait pas. Le chapitre Chelsea se referme avec un bilan positif en termes de trophées, plus nuancé en termes de performance – 46 buts et 28 passes décisives en 172 matchs.

Il rejoint le Milan AC en prêt et découvre l’Italie. L’attaquant rossonero marque dès sa première titularisation, face à Empoli, mais ne parvient pas à enchaîner au sein d’une équipe irrégulière et au jeu pas forcément adapté à ses caractéristiques. La pige lombarde de l’Espagnol s’arrête dès l’hiver, après seulement dix matchs de Serie A. Torres rebondit alors dans son club de cœur, l’Atlético.

Le retour du fils prodigue

Sept ans et demi se sont écoulés depuis son départ, mais personne n’a oublié ni le nom ni le visage de l’enfant du club. 45 000 spectateurs se massent au Calderon sous le soleil madrilène pour son retour au bercail le 4 janvier 2015. Comme dans un rêve, l’idole du peuple colchonero inscrit un doublé le 15 janvier contre le Real Madrid sur la pelouse du Bernabeu. Son entraîneur Diego Simeone est conquis : “J’ai rencontré Torres pour la première fois quand il était très jeune. C’était un garçon pour qui tout est arrivé trop tôt, mais il a très bien géré ça, il est parti, il a grandi et c’est un homme maintenant. Je suis très heureux pour lui et pour tous les gens qui l’ont accueilli au Calderon l’autre jour. Quand un joueur important, aussi aimé et respecté qu’il l’est ici, répond de cette façon, cela rend les gens heureux”. Le nouveau n°19 est sur un petit nuage. Il score de nouveau deux semaines plus tard, cette fois face au FC Barcelone. Torres retrouve progressivement des couleurs sous le maillot rojiblanco, malgré un temps de jeu limité par la concurrence de Mario Mandzukic et Antoine Griezmann.

La communion de Fernando Torres et des fans de l’Atlético le 4 janvier 2015.

Il finit par se faire une place dans le onze de Diego Simeone lors de la saison 2015-2016. Auteur de 9 buts lors des 16 dernières journées de Liga, il répond aussi présent en Ligue des Champions. El Niño ne tremble pas durant la séance de tirs au but qui départage l’Atlético et le PSV Eindhoven en huitièmes. Il inscrit ensuite un but précieux en quarts au Camp Nou et délivre une passe décisive lors du match retour des demi-finales à Munich. Il provoque également un penalty lors de la finale face au Real Madrid – que Griezmann envoie sur la transversale. L’Atlético s’incline aux tirs au but, les Colchoneros quittent San Siro avec les larmes aux yeux. Torres voit son rêve brisé, lui qui souhaiterait tant gagner un titre majeur avec son club formateur. La saison se clôture sur une note amère, d’autant que le sélectionneur espagnol décide de se passer de lui pour l’Euro, malgré des prestations convaincantes. La fin de la carrière internationale de l’enfant de Fuenlabrada, qui n’a plus été convoqué depuis la Coupe du monde 2014, est alors actée. Fernando Torres, ses 110 sélections et ses 38 buts sous le maillot de la Roja laissent place à une nouvelle génération.

Torres ne parvient pas à surfer sur sa dynamique et joue moins lors des deux saisons suivantes. Il brille par intermittence, le plus souvent dans un rôle de joker de luxe. Il inscrit un doublé face à l’Athletic Bilbao le 21 mai 2017 pour le dernier match de l’Atlético dans son antre historique du Calderon. Le 16 mai 2018, il réalise enfin son rêve en remportant la Ligue Europa avec le maillot rojiblanco sur les épaules. Son troisième titre européen en club, le dernier titre de sa carrière. Comme un symbole, il soulève la coupe avec Gabi. Quatre jours plus tard, il fait ses adieux à l’Atlético avec un doublé lors de son 404e et dernier match comme colchonero, match pour lequel il portait le brassard de capitaine. Une fois le coup de sifflet final, le Wanda Metropolitano rend un hommage à la hauteur de la carrière et de l’amour qu’il porte à son idole. Micro en main au centre du terrain, Torres se livre à un discours poignant dans lequel il remercie sa famille, les yeux embués au moment d’évoquer son grand-père, qui lui a transmis son amour du maillot rojiblanco. Avant de proclamer sa flamme au peuple colchonero : « Je n’ai jamais eu besoin de titre pour me sentir comme le joueur le plus aimé du monde. J’ai toujours eu la certitude que quoi que je fasse, je n’aurais jamais pu rendre tout cet amour. J’ai eu le privilège de porter ce maillot plus de 400 matchs. C’est très dur de savoir que c’est la dernière fois ».

Le pays du Soleil-Levant comme ultime escale

Au crépuscule de sa carrière, l’Espagnol rallie le Japon en juillet pour une dernière expérience, tant culturelle que sportive. Comme Andrés Iniesta, Torres part à la découverte de la J-League. Il s’engage avec le Sagan Tosu. Relégable à son arrivée, le club réussit finalement à se maintenir. L’apport de l’attaquant est limité – 4 buts et 2 passes décisives – mais le contrat rempli. L’année 2019 est du même acabit. Le Sagan Tosu peine et traîne de nouveau en queue de classement. Le 21 juin, Torres annonce dans un tweet sa décision de mettre fin à sa carrière à l’issue de la réception du Vissel Kobe de ses amis Iniesta et Villa, rencontre programmée le 23 août.

« Un exemple comme professionnel et comme personne » pour Javier Mascherano. « Un héros, une idole et une légende » pour Saul Niguez. Les hommages affluent sur les réseaux sociaux. La preuve Alvaro Morata encense : « Être un exemple pour tous les enfants du monde est une chose qui est à la portée de très peu de personnes. Merci de nous faire rêver ». Antoine Griezmann y va lui aussi de son éloge : « L’histoire que tu as écrite parle pour toi. ”Donne tout sur le terrain” est le premier conseil que tu m’as donné et je ne l’oublierai jamais. Merci pour tout ce que tu m’as enseigné ». Même son de cloche pour Diego Godin : « Fernando, je suis fier et ce fut un honneur de partager autant de moments avec toi au cours de ta carrière. Ton exemple en tant que professionnel et plus encore en tant que personne est ton plus grand héritage ! » Témoin privilégié de la carrière d’El Niño, Diego Simeone salue quant à lui « le respect, le travail incessant et la force mentale » de celui dont il fut le coéquipier puis l’entraîneur.

Iker Casillas, Gianluigi Buffon, Victor Valdes, Petr Cech, Manuel Neuer, Edwin van der Sar, David De Gea… Tous ont dû s’incliner un jour ou l’autre face à l’attaquant espagnol. L’ouragan El Niño s’est abattu maintes et maintes fois sur les défenses du continent, sans que ses adversaires ne puissent faire quoi que ce soit. Un attaquant inarrêtable à son apogée, impossible à museler pour les défenseurs. Nemanja Vidic ou John Terry peuvent en témoigner.


Oui, Fernando Torres aurait pu faire mieux, marquer plus de buts, remporter davantage de titres. Mais à l’époque des extraterrestres que sont Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, l’enfant de Fuenlabrada était avant tout un homme. Avec ses failles. Il n’a pas tout réussi, et son improbable raté le 18 septembre 2011 contre Manchester United le rappelle bien. Il aura cependant atteint ses rêves. Et au-delà de tous les trophées, l’Espagnol a gagné le respect de tous ses pairs et fait l’unanimité partout où il est passé. Par son professionnalisme et par son attitude irréprochable, y compris quand il était remplaçant. La réussite est temporaire, mais la classe permanente.

Quentin Ballue

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