Contre Goliath n’est pas David qui veut. De toutes les petites îles de football s’efforçant de concourir dans la grande cour du football européen, la Corse est probablement celle qui s’en sort le mieux.
Il y a des déserts immenses où l’on ne voit pas un chat et des villages minuscules où se croisent chaque année des millions de touristes. La Corse est cela pour le football, une petite oasis, si féconde qu’on se demande d’où elle puise ses trésors. Avec un club en Ligue 1 et un autre en Ligue 2, une histoire chargée de trophée et de coups d’éclats, pour une superficie de seulement 8 722 km², l’île de beauté fait figure d’exception au sein du panorama footballistique français.
L’identité corse
Le football et la Corse, c’est une histoire d’amour en plusieurs actes. Une histoire faites grands moments de joie, de grands moments de peine, mais aussi de petits et négligeables moments lacunaires, où il ne se passait rien, ou presque. Tout au long de ces actes, de cette grande histoire du football insulaire, la question de l’identité Corse est omniprésente.
Didier Grassi est supporter du Sporting Club Bastiais et président de l’association des victimes du 5 mai, il confirme l’importance de l’identité corse dans les succès sportifs de l’île. Pour lui, l’épopée bastiaise 1977-1978, qui avait vu le Sporting gagner 7 matches d’affilés en coupe de l’UEFA pour finalement s’incliner en finale contre le PSV Eindhoven, est un exemple prouvant l’importance de l’identité corse dans les succès des clubs de l’île. Il l’explique ainsi : « c’est pendant cette période de grande revendication du sentiment d’appartenance corse et même des principaux mouvements d’indépendances, que le Sporting a obtenu les meilleurs résultats. » Effectivement, l’équipe menée par Claude Papi ira très loin en Coupe d’Europe, jusqu’à dépasser le rideau de fer en 1978. A cette même période, les attentats sont quasi quotidiens en Corse, revendiqués par le Front de libération nationale de la Corse (FLNC) qui exige l’indépendance des insulaires et est freiné cette même année par les forces de l’ordre, responsables de l’arrestation de 27 membres présumés de l’organisation.
Le rôle des nationalismes?
Dans les années 90, les mouvements nationalistes s’intègrent davantage au cœur de la vie footballistique sur l’île. A chaque grand club son groupe : « Il y a prise de pouvoir des deux grands clubs de football professionnels par les nationalistes » raconte la chercheuse Marianne Lefèvre. Effectivement, deux pans différents du FLNCD prennent possession de l’Athletic Club ajaccien et du Sporting Club de Bastia. Yvan Colonna lui-même entrainera une équipe d’amateurs et organisait des tournois de foot à Sagone. Des tournois auxquels auraient participé les fils Sarkozy. Le 21 janvier 2022, jour de l’enterrement d’Ivan Colonna, le club du Bastia Borgo a organisé une minute de silence avant le coup d’envoi du match contre Villefranche Beaujolais. Un hommage qui en dit long sur le rapport du football corse avec ses figures nationalistes.
Avec la métropole : « Je t’aime, moi non plus»
A la même période, le football corse grandit et évolue dans une dialectique avec la métropole. La première selection Corse nait le 27 février 1963. Après deux matches contre l’OGC Nice et le stade de Reims, en 1967, c’est l’équipe de France de Just Fontaine que la jeune équipe affronte. Le selectionneur souhaitait préparer ses joueurs à un match de championnat d’Europe contre la Roumanie et choisit la Corse comme adversaire, signe de la reconnaissance de certaines qualités chez les insulaires. Résultat des courses, la France prend une leçon de football et perd 1 à 0. Le sélectionne tricolore ironisera : « Ils en ont dans le ventre vos Corses. Si un jour on vous file votre indépendance, vous pourrez toujours espérer jouer un rôle sur le plan international ! ». Ce qui relevait de la plaisanterie de la bouche de Just Fontaine l’était beaucoup moins pour les corses pour qui cette victoire sonne comme le début des espoirs de futur radieux pour le football insulaire. Plus aucune sélection corse n’affrontera l’Equipe de France après ce match, mais la dialectique ne s’arrêtera pas pour autant : en mai 2002 alors que le Sporting affronte Lorient en finale de la Coupe de France, des milliers de supporters bastiais sifflent la Marseillaise. Provocation indépendantiste ou simple moquerie ? Difficile à dire, quoiqu’il arrive cela énerve Jacques Chirac qui menace de quitter le stade.
La relation avec la métropole, c’est aussi l’histoire d’un malaise depuis l’effondrement de la tribune du stade Armand-Cesari le 5 mai 1992. Cette catastrophe qui a marqué et soudé le football corse, l’a aussi éloigné du continent à mesure que le collectif des victimes de Furiani essayait difficilement de faire reconnaitre le drame au niveau national en faisant renoncer la LFP à faire jouer des matches les 5 mai. Didier Grassi, très impliqué sur le sujet, explique qu’aujourd’hui la situation s’améliore avec une reconnaissance au niveau national qui semble s’installer, même si « elle n’est pas encore au niveau souhaité. »
Expliquer l’inexpliquable
Mais ni le sentiment d’appartenance corse, les nationalismes, les rivalités avec la métropole ne parviennent à expliquer de si bon résultats et un tel vivier de joueurs. Il y a de l’intangibile dans ce que la corse prodigue à ces footballeurs, elle viendrait donner comme une « grinta » de plus aux footballeurs. Ainsi confirme Didier Grassi : « Beaucoup de joueurs prennent rapidement la mentalité corse à leur arrivée », et malheur à ceux qui rechigneraient à mouiller le maillot : « certains joueurs, même corse, sont pris en grip par le public s’ils ne se battent pas sur le terrain ». Ce fut le cas du technicien Pascal Camadini, qui malgré ses origines corse s’est fait « rejeter à Bastia ». Si la Corse héberge effectivement des joueurs issus du continent, la mayonnaise ne prend que si elle inclut une dose quasi impérative de sang corse. L’histoire le montre, les meilleurs équipes corses des dernières 50 années étaient celles composées d’un nombre conséquent d’enfants de l’île ! Aussi, comme le rappelle Didier, « statistiquement, il faut des corses ! ».
Le succès du football corse c’est aussi et plus simplement l’histoire d’un sport inconditionnellement roi sur l’île. Comme Didier le rappelle, « On compte plus de 10 000 licenciés en Corse, c’est impressionnant en proportion avec le nombre d’habitants de l’île ».
Enfin, sur l’île de beauté, tous les clubs ne se valent pas. Pour Didier, c’est « objectivement » le SC Bastia qui incarne le mieux les valeurs du football insulaire. Le « Sporting », comme il préfère l’appeler, s’attire le soutien d’une majorité de la population Corse, du nord au sud, au contraire des deux autres grands clubs de l’île, le Gazelec et l’ACA Ajaccio dont l’influence ne dépasse pas la région ajaccienne.
Morale de l’histoire, il n’y a pas de réponse universelle pour expliquer la prolifération de grands talents au coeur du football corse. Un peu de passion, d’histoire et d’autres ingrédients secrets, ont fait du football corse ce qu’il est. Espérons que cela continue ainsi, et que la Corse reste, comme le disait Paul Valéry : « cette terre séparée, qui se défend encore un peu de ressembler à toutes les autres. »