Illustration : Romane Beaudoin
La SignaturePasse en profondeur

Surface de réinsertion

La réinsertion, c’est ce sur quoi travaillent les plus de 2500 détenus et les agents pénitentiaires des 13 maisons centrales françaises. Pour cela, la pratique sportive est incontestablement l’un des facteurs les plus important dans la vie carcérale. Créatrice de lien social et d’espoir, instigatrice de valeurs et de confiance, elle est nécessaire dans le quotidien d’un condamné mais trop rarement bien dispensée. Reportage à la maison centrale de Moulins-Yzeure, où le service des sports se distingue par sa qualité.


Située dans le nord de l’Auvergne, Moulins sur Allier est la préfecture du département de l’Allier.

Une porte, deux portes, trois portes… Cela semble n’en plus finir. Julien, running aux pieds, short de sport enfilé et bouteille d’eau à la main, attend patiemment devant chacune d’entre elles qu’un gardien autorise son ouverture. “Des nouvelles de ma permission?” lance-t-il tout souriant à ces derniers.
Il est 13h45 à la maison centrale de Moulins-Yzeure dans l’Allier, et le “mouvement” vient d’être lancé. Dans le langage carcéral, un mouvement c’est ce qui permet aux détenus de déambuler pendant 10 minutes de leur cellule à leurs activités de la journée. Cet après midi de juillet, pour Julien et trois autres prisonniers c’est séance de sport sur le stade. “Je n’en loupe aucune” confie le jeune homme de 35 ans. “C’est mon passe temps favori ici, je participe à tous les sports proposés, sauf le foot !” s’amuse celui qui entame sa dixième année d’incarcération. 

Julien armant son tire lors de la partie de tchoukball. Photo : Ana Gressier

Il est l’une des exceptions parmi la population écrouée pour qui, au reflet de la société française, le football est le sport le plus populaire. “Quand on organise un match, en général, on a une trentaine d’inscrits. De quoi faire quatre équipes de sept joueurs” raconte Romain Mathey, premier surveillant moniteur de sport de cette prison de très haute sécurité. Cette année, à l’occasion de l’Euro 2020 il avait prévu quelques animations et surtout des soirées matchs avec les détenus. Ce qui, comme la compétition, a été annulé en raison de la crise sanitaire.
Au détour de l’un des nombreux couloirs infinis du centre, en passant devant la salle télé, il se rappelle de ce soir d’été 2014. Ce jour-là, il a vécu la fameuse opposition France-Allemagne de la coupe du Monde devant la télévision minuscule, enfermée dans une boite transparente et rayée, vissée au mur.

Les détenus ont besoin de voir des gens de l’extérieur

Romain Mathey, premier surveillant moniteur de sport au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure.

Très investi dans son rôle, il développe au mieux des projets pouvant plaire à son public, comme faire venir des joueurs de l’équipe nationale de Moulins sur Allier. “Les joueurs du Clermont Foot, je n’ose même pas leur proposer vu l’état du terrain” avoue le gradé pénitentiaire. Il est vrai que le “stade” n’est pas en forme. Un carré de pelouse, qui s’assimile plutôt à de la mauvaise herbe parsemée de trous, s’étend assez largement entre les murs bien protégés de l’établissement, entre le quartier de gauche et celui de droite. “On est séparé dans deux ailes” explique Julien, “à gauche, et à droite. On ne se croise pas aux activités et nos cours de promenade sont dissociées”. “La répartition se fait selon l’histoire des gars, selon les informations dont on dispose grâce aux juges ou grâce au service de renseignement que nous avons ici. Il vaut mieux que certains ne se croisent pas, alors on les éloigne” reconnaît Romain.

Terrains d’évasion

Si le terrain (bien qu’en discussion pour être remplacé par du synthétique) laisse à désirer, ce n’est pas le cas des autres infrastructures sportives comme notamment le gymnase, théâtre des après midi futsal, ou la salle de musculation. Spacieux et lumineux il accueille toutes sortes d’activités comme le handball, le basketball, le badminton, le tennis de table, le crossfit et bien sûr, le football. Fermé depuis le début de la crise du Covid 19, il s’apprête à ré-accueillir les prisonniers pour leur plus grand plaisir. Les règles d’hygiène ne permettant pas non plus de contact à moins de 2 mètres de distance, le foot et le reste sont passés à la trappe. Alors Romain et son collègue Tommy innovent en imaginant et proposant des activités diverses et variées. Pour cela ils font appel à des intervenants extérieurs, comme ce jour-ci Xavier July, un habitué. “Comment ça Edgar n’est pas là ? Il n’a pas voulu venir ? Dites lui que je lui fais la gueule !” s’exclame le grand gaillard en arrivant sur le gazon. “Les détenus ont besoin de voir des gens de l’extérieur. Cela les prépare à la réinsertion, ce n’est pas tenable qu’ils ne voient que nous à longueur de temps” confie Romain Mathey en regardant le petit groupe s’épanouir autour d’un frisbee.

Moments de vie… Photos : Ana Gressier

Composée de quatre détenus (Laurent, Maj, Julien et un deuxième Laurent) ainsi que Xavier et Tommy, l’équipe s’active et s’amuse avec presque rien. C’est tout en rire que se déroule cet après midi “frisbee américain” et “tchoukball”. “En ce moment on propose des activités en groupes réduits. On constitue des listes de 10 prisonniers, mais vient qui veut. Ici on reçoit des peines longues, voire très longues (ndlr : les maisons centrales en France accueillent les détenus condamnés à 15 ans de réclusion jusqu’à la perpétuité, et les détenus les plus difficiles), alors nous ne sommes pas là pour leur compliquer la vie ou les forcer. S’ils ne veulent pas venir ils ne viennent pas”. C’est le cas d’Edgar cet après midi, enfermé ici depuis 1996, ou bien d’un second “qui avait guitare”.

Le centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure fait figure d’exception dans le système carcéral français. Grâce à l’engagement du service des sports, de nombreuses journées de permissions ou journées spéciales sont organisées. Une petite révolution dans l’hexagone. Récemment plusieurs excursions se sont faites en Auvergne (sur les Monts du Sancy, sur les berges de l’Allier …), en compagnie d’une demie-douzaine de condamnés. Dans les mois à venir, c’est au centre que cela va “déménager”. Au mois d’août certains vont pouvoir assister à des ateliers d’équithérapie (de la “calinothérapie avec des chevaux” comme s’en amuse Julien), et au mois de septembre ce sont plusieurs jours dédiés à la pratique sportive qui vont être mis en place. “Village Sport”, une initiative du premier surveillant, va donner l’occasion à la petite centaine de détenus que contient la prison de pratiquer une dizaine de sports. Au programme : judo, athlétisme, rugby, foot-tennis, yoga, crossfit, boxe ou bien encore rugby.

Esprit d’équipe

Si un bon nombre de choses sont faites “à l’intérieur”, c’est toujours en prévision de l’extérieur que l’on oeuvre chaque jour. Le sport est vecteur de nombreuses valeurs, autant dans la société que dans ce petit microcosme. Le partage, le respect, la joie, le dépassement de soi : tout ce qui peut faire tourner au mieux la vie entre quatre murs est transmis sans compter ses heures. En France, c’est en 1949 que le bureau d’application des peines autorise ce qui s’appelle alors la “culture physique” en prison nous apprend Jean Sanzane, sociologue spécialisé sur le sport en milieu carcéral, à l’Université d’Orléans. “Cela donne une coloration humaniste au monde de la détention. Jusque là, on avait uniquement une vision utilitariste de la prison : c’était une sanction imposée au détenu pour qu’il rendre à la société ce qu’il lui a pris” poursuit le chercheur.
“Le sport est important pour les détenus : c’est un défouloir. C’est un lieu de communication, pour des gens qui sont séparés dans des cellules individuelles à longueur de journée. Quand ils se retrouvent pour un match de foot ils peuvent échanger entre eux” continue Jean Sanzane.


Dans cette maison centrale de la préfecture de l’Allier, il y règne un climat plus apaisé que chez leur voisin d’en face de la maison d’arrêt. “Ici, ils sont là pour un bout de temps. Pas comme dans l’autre quartier où ils ne sont que de passage. Nous on fait tout pour que cela se passe bien et qu’il y ait un respect mutuel entre détenus et surveillants. Et ça passe d’abord par les séances sport” affirme le diplomé de l’ENAP, école nationale d’administration pénitentiaire.

… entre les murs. Photos : Ana Gressier

En effet, à partir de 14h , lors des après midi sur le pré il n’y a plus de différence entre gardiens et gardés. Tous vêtus de tenues de sport, que les prisonniers peuvent acheter à la “cantine” grâce à leur revenu mensuel (pour ceux qui travaillent le matin), tous affublés de leur plus grand sourire : le match peut commencer. Entre les murs surplombés de concertinas (des barbelés), résonnent les rires, les taquineries, les exclamations de joie et cela fait du bien à chacun. Au terme de ces deux heures, c’est bien fatigués que l’on retrouve le chemin des cellules. Si pour certains “l’épuisement aide à se contenir et à rester tranquille, notamment vis à vis des gardiens” comme explique le premier surveillant de 34 ans, d’autres poursuivent par une séance d’abdos, comme Julien. Indéniablement le sport est facteur de diminution de la violence en milieu carcéral entre les différents acteurs. Grâce au défouloir que cela constitue, mais surtout au lien particulier qui se développe entre fonctionnaires et incarcérés.

Tommy, Romain et Xavier ne portent pas l’uniforme. Et cela fait sans doute la différence, du moins y contribue. Tous, le temps d’un instant vivent enfermés au même niveau. Le métier premier de Romain Mathey reste pour autant surveillant et donc sa tenue n’est jamais loin. En cas de manque d’effectif ou de besoins spécifiques, à l’image des deux mois de confinement début 2020, l’auxerrois enfile l’équipement. “Dans ces cas là, je sens le regard sur moi changer, je ne suis plus le même pour eux”, regrette-t-il. Une chance (qui n’en est pas vraiment une puisqu’il ne la doit qu’à son excellent travail) c’est que l’ensemble de la population de la maison centrale le connaît, et même bien. Ses efforts, depuis 2014 et son entrée à Moulins, pour rendre le quotidien des hommes enfermés, portent leur fruits. Son service est même bien reconnu dans l’ensemble de la France. “Ce n’est vraiment pas comme cela partout!” affirme Xavier July qui intervient dans plusieurs maisons de détention de la région. 


A Moulins-Yzeure, on aspire à une réinsertion pour chacun. Accompagnés par Tommy et Romain, cela est possible pour les volontaires. Certains ont pu passer un diplôme de juge-arbitre de foot ou de boxe. Les yeux tournés vers l’avenir, on apprend à se reconstruire dans de bonnes conditions. “On sait ce qu’ils ont fait, pourquoi ils sont là, mais on s’en fiche” conclut Xavier en beauté. 

Ana Gressier

Illustration : Romane Beaudoin

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