Passe en profondeur

Transferts : plongée dans l’obscurité des négociations

Sommes affolantes, contrats records, opérations marketing en grande pompe… Tant de facteurs qui entourent le mystère d’un transfert. Au-delà des chiffres annoncés, quid des négociations et de la rédaction des contrats ? Caviar vous emmène découvrir l’aspect juridique du mercato avec les témoignages de Maître Simon Darricau, avocat, et Maître Marie-Hélène Cohen-Guilleminet, associée, au sein du cabinet Nataf Fajgenbaum et Associés, qui accompagne certains des plus grands clubs français.


Le grand chamboulement commence chaque année à la même période. Ces fameux premiers jours de juin qui ouvrent le bal des transferts. Arrivés, départs, prêts et fins de contrats s’entremêlent dans un ballet endiablé nous tenant en haleine jusqu’à ce que le rideau se baisse au soir du 1er septembre. L’édition 2020, débutée mi-août, COVID oblige, aura même prolongé l’affaire jusqu’à l’automne, rajoutant une pincée de piment dans un début de saison si particulier. Hier soir, la danse a pris fin à minuit, sans avoir manqué de nous offrir les traditionnels rebondissements (et autres panic-buy) de fin de mercato. Au milieu de cette danse, on aurait tendance à oublier les hommes et les femmes de l’ombre qui œuvrent en coulisses pour finaliser des opérations d’une certaine complexité juridique, parfois dans l’urgence des brûlantes dernières heures.

Premières approches à pas feutrés

N’importe quel spécialiste du droit du travail vous le dira : un contrat n’existe que par la rencontre des volontés des co-contractants. Autrement dit, il faut un accord réciproque pour parvenir à faire signer un footballeur. Afin de débuter une opération de transfert, le club acheteur doit en premier lieu contacter le club vendeur afin de s’informer de la disponibilité du joueur puis de s’accorder sur les détails financiers. Il est, en théorie, interdit pour un club de contacter directement un joueur sous contrat dans une autre écurie (principe proscrit par l’article 211 du règlement de la LFP). Maître Darricau nuance la rigidité de cette règle : « En théorie, c’est interdit, mais le football est un petit milieu. Les gens se croisent et se parlent. Il est très courant qu’un représentant d’un club sonde le joueur ou son entourage sur un éventuel départ et sur un intérêt pour le projet. Vous ne lancez pas une attaque frontale sur un joueur sans être sûr que l’intérêt est réciproque ». L’offre étant émise du club acheteur au club vendeur, les deux entités négocient entre elles dans un premier temps : « L’avocat et l’agent du joueur ne participent pas aux négociations financières de l’indemnité de transfert. Ce sont d’abord les deux clubs entre eux », fait remarquer Maître Cohen-Guilleminet. Le prix du joueur est défini lors de ces pourparlers ainsi que, dans certains cas, différents bonus futurs.

« Le joueur n’a pas une pancarte avec son prix affiché sur sa tête. C’est le fruit de négociations où différents facteurs entrent en jeu tels que les années de contrat restants, l’âge, le niveau, les prix auxquels d’autres joueurs aux profils similaires ont été vendus. »

Maître Simon Darricau, avocat.

La clause libératoire, une spécialité ibérique

Dans d’autres pays, la phase de négociation n’a pas lieu si le joueur jouit d’une clause libératoire dans son contrat. Cette clause correspond au montant à régler afin de s’attacher les services du joueur. En France, elles sont purement et simplement interdites (la loi du 27 novembre 2015 pose noir sur blanc ce principe). A l’inverse, la clause libératoire est monnaie courante en Espagne. Les récentes velléités de départ de Leo Messi avaient fait resurgir des entrailles de son contrat la trace d’une clause à 700 millions d’euros. Montant astronomique, certes, mais qui pourrait facilement être écarté. En effet, un club peut tout à fait vendre un joueur à un prix inférieur à sa clause libératoire. Pas difficile d’imaginer que Bartomeu aurait laissé La Pulga filer à l’anglaise (ou à la mancunienne) contre un chèque avoisinant les 300 millions d’euros… Mais le couteau est à double tranchant. Si un joueur dispose d’une faible clause libératoire mais se révèle être un futur crack, son club ne pourra pas en demander plus que le prix stipulé dans son contrat. Présidents de clubs espagnols, ne prenez pas de risques et bétonnez vos jeunes.

Messi et Bartomeu au moment de la signature du contrat incluant une colossale clause libératoire.

Dans l’Hexagone, une fois l’accord trouvé, les représentants du club acheteur peuvent s’entretenir avec le joueur et son agent. Débute alors une des phases essentielles, inhérente à la conclusion du transfert : l’élaboration du nouveau contrat de travail. L’avocat entre en piste à cet instant. Il a pour rôle, entre autres, « d’assurer la sécurité juridique du transfert » dixit Maître Cohen-Guilleminet. Pour faire simple : l’avocat rédige le contrat et suit le dossier afin d’éviter la présence d’irrégularités préjudiciables à la finalisation de l’opération.

Rédaction et signature du nouveau contrat

Le contrat de travail est à dissocier du contrat de transfert. Le premier est le contrat qui va unir un employé (en l’espèce le joueur) et un employeur (le club acheteur) dans une relation de travail. Le contrat de transfert est en réalité assimilé à un contrat de vente. Attention, il faut là être précis pour contrer l’argument déjà entendu maintes fois par chaque footeux : « Ils vendent des hommes, c’est honteux, ce ne sont pas des objets tout de même ». Oui et non. En effet, on n’achète pas réellement un joueur mais ses droits sportifs, le droit de le faire jouer dans son équipe. Toutefois, dans le football moderne la place du footballeur ne saurait être résumée exclusivement au rectangle vert. Au-delà du raisonnement sportif, il est un pilier d’une structure économique : un joueur est un actif d’une société, capable de générer d’importants profits à son employeur (vente de maillots, opérations marketing…). L’indemnité de transfert a donc vocation à acheter les droits sportifs du joueur mais également à compenser le préjudice économique subi par le vendeur.

« Pour les honnêtes gens, parole vaut contrat » disait un vieil adage italien. La réalité juridique est tout autre et le contrat de travail d’un footballeur, par sa complexité, ne déroge pas à la règle. Tout d’abord, le droit du sport n’admet que des CDD de cinq ans maximum. Il n’est donc pas possible de signer un joueur « à vie », n’en déplaise à Francesco Totti et Steven Gerrard qui auraient bien mérité un CDI pour leur fidélité.

Dans ce contrat de travail, différents critères sont inclus tels que le salaire du joueur (fixe et bonus), des avantages en nature (logement ou voiture de fonction…) ainsi qu’un certain nombre d’obligations (tenue spécifique sur le lieu de travail et en dehors, obligation de participer à un certain nombre d’opérations marketing…). Il est fréquent de retrouver une limite des rapports avec la presse ainsi qu’un cadre des propos à tenir. Enfin, un autre point parmi les plus importants pour la faisabilité d’un transfert : la commission d’agent. « L’agent a une place très importante dans un transfert. C’est un facilitateur, un médiateur qui a la confiance du joueur et de sa famille. Sa commission est loin d’être un simple détail du contrat », insiste Maître Cohen-Guilleminet. Ce rôle prépondérant de l’agent dans les négociations lui offre souvent l’accès à des commissions juteuses, versées par le club acheteur et calculées sur le montant du transfert ou sur la totalité des rémunérations du joueur sur l’ensemble de son CDD (en France, 10% maximum).

Une fois ces différentes informations rédigées, le contrat doit être signé avant la date limite du mercato à minuit. Toutefois, à la différence du contrat d’un salarié lambda, une instance se charge de vérifier la licéité du contrat et des clauses qu’il contient. La Commission Juridique de la LFP tient ce rôle de garde-fou et relit minutieusement les contrats avant de les homologuer et de mettre ainsi un point final au transfert.

Merci Bosman !

Le foot moderne est cosmopolite. Les plus anciens se souviennent sûrement avec mélancolie de l’époque où les écuries de l’Hexagone alignaient des onze quasi-exclusivement français. Une époque révolue, où le Nantes de Makéléle, Loko et Karembeu glanait son septième titre de champion, un jour de mai 1995 avec seulement deux expatriés dans son effectif. Toutefois, un homme est venu bouleverser les règles du jeu : Jean-Marc Bosman.

Le Belge, modeste joueur de Liège, contestait le refus de son club de le transférer à Dunkerque en invoquant deux point précis : la possibilité pour un club de réclamer une indemnité de transfert pour un joueur en fin de contrat et les quotas limitant à trois le nombre de joueurs ressortissants de l’Union Européenne par équipe. Bosman porte l’affaire devant la Cour de Justice de l’Union Européenne et obtient gain de cause. En effet, la Cour considère que les quotas de joueurs vont à l’encontre du Traité de Rome et constituent une discrimination entre nationalités européennes. Les indemnités de transfert pour les joueurs en fin de contrats disparaissent également. L’arrêt « Bosman » (15 décembre 1995) reste une pierre angulaire du système juridique entourant les transferts de joueurs aujourd’hui : sans quotas, la liberté de recrutement est bien plus vaste et a permis de créer des équipes cosmopolites de superstars telles qu’il n’en existait pas.

Aujourd’hui, le nombre de transferts internationaux a explosé. Sur l’année 2019, 18 042 transferts de joueurs provenant de 178 nations ont été recensés. Ces transactions ont pu être réalisées grâce à l’entrée en vigueur de l’ITMS (Système de régulation des transferts internationaux) en 2010, nouvel outil de la FIFA pour faciliter les transferts internationaux. Dorénavant, la procédure se fait via cet outil selon une méthodologie très codifiée, empêchant toute fraude ou erreur.

Schéma d’un transfert international via l’ITMS. (Source : FIFA)

La différence principale avec un transfert national intervient après l’accord entre les deux clubs. La Fédération du club vendeur doit alors émettre un ITC (Certificat International de Transfert) à la fédération du club acheteur. Sans cet ITC, le joueur ne sera pas autorisé à quitter son club.

La digitalisation des pratiques a grandement contribué à la croissance exponentielle des transferts internationaux. Très pratique, le système facilite l’envoi de documents par d’autres voies que les très démodés fax. Pour ceux qui en doutaient : non, ce n’est pas un retard de fax qui a empêché le Real Madrid d’attirer David De Gea à l’été 2015 mais bien un envoi tardif de documents de Manchester United sur l’IMTS. La légende dit que Keylor Navas en remercie encore la FIFA…

Cyprien Juilhard

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