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Romain Garcia : “Mon but c’est d’apporter un contre-message, de rappeler les valeurs du football”

Un chef de tribu qui voulait devenir partenaire, une région du Nord de l’Australie où seules les filles jouent au football et un détour par le village de Sadio Mané. En presque un an, le fils de l’ancien Minot Jean-Jacques Garcia a semé de la joie et des ballons Kipsta aux quatre coins du monde, en mettant en place des séances d’entraînement de football pour les jeunes des zones les plus reculées du globe. Revenu de ce « périple humaniste », Romain espère bien donner du poids à son message via la création de sa future association Football Mission et redonner au sport roi ses lettres de noblesse.


Salut Romain, en 2018 tu te lances dans l’initiative « J’irai entraîner chez vous ». C’est quoi l’élément déclencheur ?

Romain Garcia : J’avais un Master en management du sport et déjà pas mal travaillé auprès des services de l’Etat, mais sans pour autant avoir un CDI. J’alternais les petits boulots et je me suis dit : quitte à être dans la précarité, autant faire quelque chose d’utile, pour la société et pour moi. Ça faisait un moment que je rêvais d’un périple humaniste et depuis que je suis né je côtoie de près le monde du foot. J’ai aussi eu une éducation basée sur le voyage, l’ouverture, les rencontres. Du coup je me suis lancé… peut-être un peu vite.

Comment ça ?

Romain Garcia : Je me suis donné seulement trois mois pour me préparer. Le but était d’intervenir dans onze pays différents, en onze mois. Mais au terme des trois mois, j’avais seulement le nécessaire pour faire un mois ou deux, d’autant que je commençais par la Guyane et que ce n’était pas forcément le pays le moins cher. Donc pendant que je parcourais le monde, je continuais à démarcher des entreprises, à lancer des campagnes de crowdfunding… J’avais d’ailleurs prévu une étape en Nouvelle Calédonie où ma famille vit et si je n’avais plus de fonds à ce moment-là, j’aurais refait ma vie là-bas. J’ai tout quitté pour ce projet. Je savais qu’il allait m’arriver plein de choses, que j’allais rencontrer beaucoup de personnes et que forcément ma vie allait prendre un tournant après cette aventure, mais je ne savais pas où est-ce qu’elle se terminerait.

Qui t’entoure pour mener à bien cette aventure ?

Romain Garcia : Ma famille m’a beaucoup soutenu. Ils trouvaient que la démarche était bonne et ils pensaient qu’elle allait porter ses fruits à un moment donné. Il y a un investissement propre de leur part, d’autant que ma mère est agent de voyage ce qui a facilité les choses pour les billets, les visas et les contacts aux quatre coins du monde. J’ai aussi eu plusieurs partenaires dont Kipsta qui m’a fourni tout le matériel.

Tu disais que tu es né pas loin d’un ballon ?

Romain Garcia : Oui mon père, Jean-Jacques Garcia, a été joueur professionnel à l’Olympique de Marseille et au FC Rouen dans les années 70/80. Cela m’a permis de rencontrer certaines personnes, comme Pape Diouf qui était le parrain d’honneur aux côtés de Bernard Lama.

Jean-Jacques Garcia (de profil, au centre), un OM en cage ?

Comment on se sent avant de partir ?

Romain Garcia : Il faut un peu de folie et accepter de tout quitter. Mais je l’avais déjà fait plusieurs fois. Je suis né à la Réunion, on a tout quitté et on est parti en Nouvelle Calédonie, puis de Nouvelle Calédonie j’ai tout quitté pour venir en France et étudier. Donc ça ne me faisait pas peur de me déraciner. Et puis j’étais sur du métro-boulot-dodo… Ce n’est pas la vie que je souhaitais. Je voulais vivre, profiter, rencontrer du monde, voir des choses, apprendre et faire des choses utiles.

“J’étais en contact avec de très grandes entreprises, qui te promettent des choses qui n’arrivent jamais, et un chef de tribu au fin fond du Pacifique te dit : nous on va financer ton projet”

Justement, il y a une rencontre qui t’a marqué en particulier ?

Romain Garcia : J’en ai eu 10 000… Une fois, je faisais un entraînement dans un village en Nouvelle Calédonie, avec un chef d’une petite tribu en plein cœur de la Grande Terre. Et ce chef de tribu, par mon énergie, j’arrive progressivement à l’impliquer dans les jeux que je mettais en place pour les enfants. Petit à petit, il devient acteur, joueur, et presque le premier à rigoler. Puis, à la fin de l’entrainement, il me demande par où passe la suite du projet. Je lui explique que je vais certainement aller voir les communautés aborigènes en Australie, avant de rallier l’Afrique… Mais que je risque de ne pas terminer toutes ces étapes parce que j’attends des partenaires en France qui ne me répondent pas. Il me dit : j’ai un peu d’argent de côté, si tu veux, je veux bien t’en donner pour que tu finisses ton aventure parce que c’est magnifique ce que tu fais pour les enfants. J’étais en contact avec de très grandes entreprises, qui te promettent des choses qui n’arrivent jamais, et un chef de tribu au fin fond du Pacifique te dit : nous on va financer ton projet…

Il y a une culture footballistique qui t’as parue aux antipodes de la nôtre ?

Romain Garcia : Un après-midi, je m’apprête à entraîner une tribu aborigène dans une région du nord de l’Australie. J’arrive par le biais de contacts encore extraordinaires, qui me montrent par où me frayer un chemin. Une fois sur place, je réunis seize jeunes qui sont en fait… que des filles. Je demande naïvement « où sont les garçons ? ». Toutes me répondent : « les garçons ne sont pas indiqués pour le football. »

“Les garçons ne sont pas indiqués pour le football.”

C’est quoi le message de « J’irai entraîner chez vous » ?

Romain Garcia : Le football a des utilités sociales et sociétales tellement importantes, mais il n’est pas utilisé à sa juste valeur. Ça me donne envie d’aller à contre-sens. Le football est présent partout, même dans les plus petites tribus du monde. À tel point que tu croises plus souvent un terrain, qu’une école ou un lieu culturel. Le fléau c’est que, surtout en Afrique, on a vendu le football comme une façon de migrer en Europe et de réussir. Quand j’étais au Sénégal, j’avais le sentiment que n’importe quel sénégalais pouvait jouer en Ligue 1 : ils sont tous musclés, sportifs, ils s’entrainent individuellement, collectivement, sur la plage ou sur les terrains…. Et tout ça dans le seul but de se faire repérer par une académie, puis de se faire voir par une multitude de recruteurs et d’agents pour, enfin, arriver en Europe. C’est bien, mais c’est au détriment d’autre chose. Au détriment d’une scolarité, d’études, d’une participation active à la vie d’un village, d’un territoire. Je trouve dommage qu’aujourd’hui on estime que le football représente plus la réussite que l’école. Il vaudrait mieux avoir des gens qui savent lire, compter, parler, être inventif, être entrepreneur, que des gens qui savent taper dans un ballon.

Qu’est-ce qui t’a fait ressentir ça ?

Romain Garcia : Je vais te donner un exemple. Je suis allé dans le village de Sadio Mané. Je débarquais un peu à l’improviste et j’ai rencontré un instit qui était dans le bus assis à côté de moi, qui me présente un peu tout le monde. Il me fait rencontrer la famille de Sadio Mané et le lendemain on organise une séance en réunissant tous les enfants du village et d’autres villages alentour. Au final on était peut-être plus de 150. Je commençais à installer les jeux et je vois que les parents, qui étaient à côté, voulaient participer sans savoir comment. Je les intègre et ils deviennent des « éducateurs » à plein temps et à la fin de ces entraînements, je fais un discours. J’explique que le football est un plaisir, un jeu, qu’il sert à créer de la cohésion, qu’il permet de passer de bons moments avec des copains, … Et le responsable des jeunes du village, dit : « nous on veut que demain on est d’autres Sadio Mané parmi nos jeunes, parce que Sadio Mané a réussi et ses jeunes vont réussir aussi ». Je viens de faire passer un message sur le fait que l’on peut passer un bon moment avec le foot et de suite, le message est contraire : nous on veut des jeunes qui partent en France… Avant on jouait au football parce qu’on était passionné par le sport en soit. Maintenant, la plupart des joueurs le font pour avoir la carrière d’un footballeur.

“Et viens, emmène-moi là-bas. Donne-moi la main que je ne la prenne pas. Écorche mes ailes, envole-moi. Et laisse-toi tranquille à la fois…”

D’ici à 2021, l’idée c’est désormais que « J’irai entraîner chez vous » devienne un programme d’une association (Football Mission) ?

Romain Garcia : C’est ça. C’est bien d’agir de façon ponctuelle, ça m’a permis d’avoir une vision plus globale du football, mais maintenant il faut se demander : qu’est-ce qu’on peut faire pour compléter ces actes ? L’idée c’est de mettre en place des actions plus structurantes avec un impact sur le long terme. Cela sera la volonté première de l’association. Avec un programme itinérant qui continuera de faire passer un certain nombre de messages et des images de jeunes qui sont rayonnants de plaisir parce qu’ils jouent au foot.

C’est nécessaire de rappeler que le football est un plaisir avant tout ?

Romain Garcia : Quand je vois des transferts comme celui de Neymar estimé à 222 millions d’euros, c’est certainement qu’économiquement il a quelque chose de viable derrière, mais cela agrandit l’écart qu’il y a entre ce sport hyper médiatisé et celui que tout le monde pratique. C’est monumental et c’est inquiétant. Forcément, à un moment donné, on va se poser les bonnes questions et se demander si on est allés dans le bon sens. On a le sentiment qu’aujourd’hui c’est plus important d’avoir tant de followers et tel contrat de sponsoring, plutôt que de jouer. Mon but c’est d’apporter un contre-message, de rappeler les valeurs du football. Récemment, il y a eu le PSG-OM avec des crachats, du racisme, … Mais ces gens-là sont payés des fortunes pour représenter le football de demain ! Neymar vient de signer un nouveau partenariat stratosphérique avec Puma parce que, justement, c’est une icône du football. Les jeunes se voient à travers lui. Mais ce genre de personnage, c’est tout l’inverse de ce que le football doit apporter. Oui il est pétri de talent, mais quand je vois sa personnalité, je ne comprends pas pourquoi des acteurs économiques sont prêts à mettre des fortunes sur lui.

Il y a une prise de conscience collective de ces sujets selon toi ?

Romain Garcia : Il y a eu les gilets jaunes, la crise sanitaire, sociale et économique. On était aussi dans une période avant le Covid où de nombreuses instances et entreprises ont développé le RSE/RSO. Et je pense que cette démarche va se renforcer avec ce qu’il se passe et qu’il y aura plus de sensibilité sur ces sujets-là dans les mois et années à venir.

Jeu en triangle, quelque part au Pérou.

 

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