La semaine de la jeunesse

Jeunes présidents : à la croisée des chemins entre héritiers et hommes d’affaires

On aurait presque pensé que Netflix voulait rajouter un nouveau personnage pour sa saison 3 de « Sunderland ‘til I die » lors de l’arrivée de Kyril-Louis Dreyfus à la présidence des Black Cats en février dernier. Pourtant, l’affaire n’a rien d’une astuce scénaristique, et le milliardaire de 23 ans s’est installé comme le plus jeune président d’un club professionnel sur le Vieux Continent. Un record de précocité pour le fils du regretté Robert-Louis Dreyfus, qui s’inscrit dans la lignée de plusieurs autres jeunes hommes. De Pablo Longoria à Franco Caselli, en passant par Steven Zhang, présidence rime avec cure de jouvence.


Manchester City. Paris. Des grands clubs rachetés par des puissances financières étrangères qui les ont fait changer de dimension. Pourtant, les deux derniers finalistes déçus de la C1 ne sont pas les seuls en Europe, et l’arrivée de nouveaux investisseurs rime souvent avec une refonte de l’organigramme. Certains en profitent alors pour pénétrer les plus hautes sphères de ces écuries, à l’instar de Steven Zhang (29 ans), propulsé à la tête de l’Inter Milan en 2018.

Merci Papa, merci Maman

Le Chinois, plus jeune président de l’histoire du club, n’est autre que le fils de Zhang Jindong, PDG du groupe « Suning » qui possède les Nerazzurri. Au premier coup d’œil, on pourrait y voir un certain favoritisme, voire un conflit d’intérêt, mais Steven Zhang ne se contente pas d’une étiquette de « fils de » puisqu’il possède un diplôme en sciences de l’économie, entre autres composantes d’un CV bien garni. La panoplie idéale de compétences pour se faire un prénom et une place de choix à Milan. Aujourd’hui, son Inter vient de mettre un terme à neuf années de règne de la Juventus, glanant son premier Scudetto depuis 2010. L’influence de Zhang et du groupe Suning a-t-elle réellement joué un rôle dans ce titre ? Le Chinois a réalisé de très jolis coups, par exemple le recrutement de Romelu Lukaku à Manchester United, l’arrivée de Giuseppe Marotta comme directeur sportif, en provenance de la Juve, ou encore la signature d’Antonio Conte. Pour autant, le club reste englué dans une crise financière profonde qui annonce une politique d’austérité drastique à venir. Conte a déjà quitté le navire et il se pourrait que Suning en fasse de même dans les mois à venir.

Le cas Zhang rappelle celui de Franco Caselli, jeune Argentin de 25 ans, à la tête du Burgos CF, fraîchement promu en seconde division espagnole. Son père, Antonio, a racheté 90% des parts du club de Castille-et-Léon, puis placé son fils aux commandes en 2019. Franco Caselli ne s’est pas limité à battre un record de précocité, il a également redynamisé le club en l’unifiant avec le CD Burgos Promesas et en signant un partenariat avec Adidas pour équiper ses protégés. Opération réussie : hausse record des abonnements et une montée en point d’orgue de sa première saison complète à la présidence.

Franco et Antonio Caselli : un duo père-fils qui veut relever Burgos.

Toutefois, le natif de San Isidro est dans la tourmente suite à une affaire de salaires impayés qui pourrait conduire le club à une rétrogradation administrative. Un gros coup de frein potentiel dans l’ascension programmée de Caselli, pourtant titulaire d’un Master en droit et gestion sportive… L’Argentin présente, par son parcours, des similitudes frappantes avec son homologue chinois Steven Zhang : deux jeunes diplômés, placés par leurs pères, auréolés de résultats sportifs probants, toutefois contrastés par de grandes difficultés financières. Effet de la crise sanitaire ou d’un manque de maturité et d’expérience ? Les mois à venir seront déterminants pour l’un comme pour l’autre, afin de prouver qu’ils peuvent sortir de l’ombre de leur paternel.

L’intriguant cas « KLD »

Lui aussi est un héritier. Pas seulement d’une colossale fortune, mais également d’un nom qui résonne encore fort sur la Cannebière : Kyril Louis-Dreyfus. Le fils de l’historique président de l’OM marche dans les traces de son père en rachetant, à tout juste 23 printemps, le mythique Sunderland. Depuis qu’il a pris ses fonctions en février, il reçoit des louanges de ses prédécesseurs :

« Nous n’avions aucun espoir après tous les défis et revers auxquels le club a dû faire face pendant de nombreuses années. Maintenant, je suis positif. Sa famille a un grand héritage dans le football et c’était formidable de le voir dès le départ prendre le temps de comprendre l’histoire et l’héritage du club, et vouloir s’engager. Je suis sûr que nous avons récupéré notre club. »

Bob Murray, président de Sunderland de 1986 à 2006, à propos de Kyril-Louis Dreyfus dans The Sun

« KLD » a déjà posé sa patte sur les Black Cats, qui ont manqué de peu de remonter en Championship (NDLR : défaite en demi-finale des Play-offs d’accession). Ce n’est que partie remise pour le jeune milliardaire, huitième plus riche président du football anglais, qui compte bien faire revivre au Stadium of Light sa ferveur d’antan. Pour cela, pas de révolution, mais une évolution progressive au rythme des investissements. Louis-Dreyfus peut s’appuyer sur des infrastructures de qualité et des finances (enfin) assainies. Un terrain de jeu parfait pour que le milliardaire goûte aux joies de Football Manager dans la vraie vie.

Le plus jeune de la photo n’est peut-être pas celui que vous croyez…

Started from the bottom, now we’re here

Si certains débarquent avec un portefeuille bien garni et un nom ronflant, d’autres doivent leurs fulgurantes ascensions à des parcours brillants et des rencontres décisives. Pablo Longoria et Gauthier Ganaye ne connaissent que trop bien ce schéma-là, passage obligé pour ces hommes qui se sont construits seuls pour arriver à la présidence de l’OM et de l’AS Nancy. L’Espagnol doit beaucoup à sa rencontre avec Marcelino, alors entraineur de Huelva, qui fut un des premiers à le propulser comme conseiller au recrutement à seulement 19 ans. S’en suivent alors une pige de sept mois comme recruteur à Newcastle, puis un retour à Huelva pour en être le directeur du recrutement, poste qu’il occupera à l’Atalanta, Sassuolo, la Juventus et Valence. Tout ça à 36 ans seulement.

Il y a de quoi être admiratif du parcours du natif d’Oviedo. Longoria a reçu des louanges sur sa qualité d’analyse partout où il est passé. « L’enfant de la Playstation » est à l’origine de plusieurs jolis coups comme la venue de Florent Sinama-Pongolle à Huesca. Pourtant, il s’est aussi pris quelques murs; notamment lors de son passage à Valence, où sa relation avec Vincente Rodriguez, ancien joueur et membre de la cellule de recrutement, était exécrable. À Marseille, ses propos sur le manque de projet de jeu des entraîneurs français ont provoqué de vives réactions, en particulier des concernés. Petite erreur de com’ d’une machine bien huilée, d’un travailleur acharné qui parle six langues et connaît le foot comme peu de spécialistes. Un modèle.

En Lorraine, Gauthier Ganaye, de trois ans son cadet, a une trajectoire assez similaire : juriste de formation, détenteur d’un double diplôme en droit et en finances, il doit son parcours à lui-même et à ses qualités. Passé par la direction du service juridique du RC Lens, où Gervais Martel l’avait installé, Ganaye a ensuite bourlingué pour finalement prendre la présidence de Nice pendant sept mois en 2019. Après un départ pour la Belgique, où il préside Ostende depuis juin 2020, l’AS Nancy l’accueille pour succéder à Jacques Rousselot. Trois clubs où le jeune homme fut placé par les mêmes investisseurs, le groupe NewCity Capital, actionnaire des trois entités. Ganaye se montre très impliqué dans les différents projets et a déjà promis une révolution cet été à Nancy. En parallèle, il est un partisan de l’utilisation de la data dans le foot, qu’il a installée à Ostende. Le club belge vient de boucler sa première saison sous la présidence de l’Audomarois à une belle cinquième place alors que Nancy a terminé huitième de Ligue 2, réalisant une belle remontée après une phase aller calamiteuse. En attendant la révolution estivale, qui doit le confirmer comme l’homme qu’il faut pour faire changer ces clubs de dimensions.

Foot amateur : la jeunesse prend le pouvoir

Loin des sphères professionnelles, eux aussi ont pris la crise sanitaire de plein fouet avec une deuxième saison blanche d’affilée. Une situation délicate qui n’empêche pas les jeunes de s’investir pour leurs clubs. Médéric Delamare est, à 28 ans, président de l’US Cormeilles Lieurey, dans l’Eure, depuis quatre saisons maintenant. Cet ingénieur informatique, joueur du club depuis ses 18 ans, a redynamisé l’USCL, notamment sur sa communication, en mettant à son service ses compétences professionnelles pour lui créer, entre autres, un site internet fourni et détaillé : « J’ai réalisé le site, la page Facebook et le logo du club, rien n’existait avant. Cela a permis de dynamiser le club et ça aide à attirer des joueurs ». Pour autant, pas de révolution dans le fonctionnement de l’USCL : « On s’appuie beaucoup sur ce qui avait été fait avant, notamment sur les projets existants comme le tournoi de sixte qu’on met en place chaque année. J’ai la chance d’être entouré par un bureau qui m’aide beaucoup. Je ne prends pas les décisions seul et nous avons de très bonnes relations. »

Médéric Delamare a pourtant aussi apporté une nouvelle vision et de nouveaux projets : « L’an dernier nous avons créé une équipe féminine, mais ce fut compliqué à cause des deux saisons blanches. On espère continuer ce projet pour l’an prochain. Il y a deux ans, nous avions également fait un album Panini qui avait très bien fonctionné, pourquoi pas le refaire ». En apportant sa jeunesse à son club, le président de 28 ans espère surtout conserver ses joueurs pour la saison prochaine et repartir, enfin, à la normale : « Le défi va être de conserver nos joueurs pour l’an prochain. Pendant cette période compliquée, nous avons essayé de maintenir le contact, mais quand il a été impossible de s’entraîner ça a parfois été difficile. Nous avons la chance d’être un club sain financièrement, et ainsi nous pouvons envisager l’avenir avec sérénité. »

« Il faut que la Fédération réfléchisse à indemniser les présidents, on ne peut pas demander à un jeune de s’investir autant sans être correctement rémunéré. »

Pierre Micheau, président du district de l’Aude

Pierre Micheau, quant à lui, est à 30 ans doublement élu : maire de sa commune de Floure et présidente du district de l’Aude. Il dirige aussi une entreprise d’équipements sportifs et de stages de foot : « Mon secret pour tout gérer, c’est de beaucoup déléguer. Que ce soit à la mairie ou au district, je sais que je peux me reposer sur des équipes en qui j’ai confiance et à qui je peux confier des tâches importantes. » Un parcours pourtant hors du commun pour le jeune élu, qui a remporté l’élection à la présidence du district de l’Aude avec plus de 60% des voix : « J’ai travaillé pendant six ans comme adjoint technique au district, j’ai démissionné pour pouvoir candidater à la présidence. Je n’étais plus en accord avec le fonctionnement du district, qui était bloqué dans un immobilisme depuis 30 ans. » Quitter son travail n’était pas sans risque, mais il s’est battu pour défendre ses convictions avec succès : « Mon âge aurait pu poser problème, mais on a reconnu mon travail réalisé pendant six ans au district. J’avais l’avantage de bien connaître tous les dossiers et d’incarner par mon âge et mon projet un nouveau souffle pour le district ».

Créer un tournoi de E-Foot, un bon moyen de dynamiser son district pour Pierre Micheau.

Sa jeunesse a finalement été un avantage indéniable dans la course à la présidence : « Les présidents de districts sont souvent des retraités, mon âge n’a pas été un problème, au contraire. C’était le symbole de l’avenir et du renouveau et j’ai joué là-dessus, mais c’est toutefois mon projet qui m’a permis d’être élu et non mon âge ». Pierre Micheau regrette par ailleurs qu’il n’y ait pas plus de jeunes investis dans le monde amateur, pointant du doigt la responsabilité de la FFF : « Être président d’un district est un travail quasiment à temps plein. Il faut que la Fédération réfléchisse à mieux indemniser les présidents, on ne peut pas demander à un jeune de s’investir autant sans être correctement rémunéré. » Le message est passé.

Le « jeunisme » dans le football n’a jamais été aussi visible, alors que les clubs sont sans cesse à la recherche du prochain crack. Les présidents, longtemps symbolisés par des hommes expérimentés, se rajeunissent également. Actuellement, huit ont moins de 50 ans en Ligue 1. Ces nouveaux édiles n’en demeurent pas moins compétents, ou du moins bien formés, et portent une vision dépoussiérée et redynamisée du ballon rond. Si le temps sera le juge de paix de la réussite de ces jeunes présidents, l’exemple d’un Jean-Michel Aulas, arrivé à l’OL à 38 ans et pionnier des grandes années lyonnaises, demeure un chemin à suivre pour attester de la citation de Corneille : « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ».

Cyprien Juilhard (visuel de Romane Beaudouin)

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