Illustration : Romane Beaudoin
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Esport et sport traditionnel : ces personnalités qui font le choix de la reconversion

David Beckham, Antoine Griezmann et son frère Théo, ainsi que d’autres grands noms du monde sportif ont rejoint l’esport. Le domaine ne fait que croître, et l’intérêt qu’il suscite également. Explication.

Des grands noms de la scène sportive traditionnelle ont récemment rejoint l’esport. Le milieu est en pleine expansion et les investissements affluent. David Beckham, Antoine et Théo Griezmann, Tony Parker, Dele Alli et dernièrement Bruno Martini, ancien champion de handball s’associent à l’esport, s’ils ne montent pas eux-mêmes leurs équipes. Si le lien entre sport et jeu vidéo n’a pas encore été établi, il semblerait que les sportifs, eux, y voient la suite logique de leur carrière.

L’esport : un terrain fertile pour les sponsors

En novembre 2020 SportsPro, une société londonienne spécialisée dans le marketing sportif, publiait son top 50 des structures sportives les plus attractives. À la 12éme place, on retrouve l’esport sur League of Legends. Le célèbre MOBA (arène de bataille en ligne multijoueur) est encore aujourd’hui numéro un des jeux esport dans le monde. Selon ce classement, il est alors plus intéressant pour les sponsors d’investir dans cette compétition plutôt que sur de grandes équipes de football comme Manchester City ou la Juventus.

Cette place dans le classement peut s’expliquer par le caractère international du jeu puisque ses compétitions rassemblent les fans du monde entier. Propulsé par la gratuité des compétitions sur internet, il apparaît comme un terrain fertile pour de nombreuses marques qui souhaiteraient s’y associer. Pour information, les mondiaux de League of Legends ont rassemblé jusqu’à 3 800 000 spectateurs en 2020, un chiffre capable de rivaliser avec des grandes compétitions sportives.

Riot Games, propriétaire du jeu vidéo en question, ne lésine pas sur les moyens lorsqu’il s’agit d’investir dans ses compétitions. En 2018, Derrick Asiedu, responsable des événements esport chez Riot Games à l’époque, révèle des dépenses supérieures à 100 millions de dollars pour les compétitions de League of Legends. Cela dit, le modèle économique de l’esport n’est toujours pas rentable. Pourtant, les investisseurs sont présents, à l’image de David Beckham qui, l’année passée, a placé 25 millions de livres sterling dans Guild Esports, devenant ainsi copropriétaire de la structure.

Chez Riot Games, on ne s’inquiète pas. John Needam, responsable esport explique dans un article de The Esport Observer sa volonté d’atteindre la rentabilité dans les 10 ans à venir « Nous allons augmenter nos revenus de 50 % cette année, et probablement de 50 % supplémentaires l’année prochaine. Nous visons la stabilité financière d’ici 10 ans. Je ne sais pas si cela a déjà été fait dans le sport traditionnel, mais je suis très optimiste quant à l’avenir de l’industrie.

Présentation de Dele Alli, ambassadeur de Excel Esports.

Un investissement à long terme

En France, la pratique est considérée comme sportive depuis 2014 et un premier cadre légal lui a été assigné en 2016. Cette question de rentabilité touche très largement le milieu. En effet, seulement deux équipes esportives sont rentables à l’heure où nous écrivons. Un placement risqué, puisqu’à la création d’une équipe s’ajoutent encore de nombreux coûts. Mais pour certains, l’intérêt est sentimental avant d’être financier. Pour les frères Griezmann, le jeu vidéo c’est avant tout une passion. On n’oublie pas les diverses célébrations d’Antoine Griezmann tirées tout droit de Fortnite. La motivation est la même pour Dele Alli, le milieu de terrain à Tottenham aime particulièrement les jeux vidéo.

Selon Emeline Guedes, doctorante et chargée d’affaires à Level256, il ne faut pas se focaliser sur la vision à court terme de ce type d’investissement : « A court terme effectivement ce n’est pas rentable. Aussi bien pour les équipes que pour les éditeurs. Les compétitions donnent à voir les sponsors en visant les jeunes. […] les sponsors investissent pour toucher les « millenials », la prochaine génération qui va consommer. C’est une stratégie marketing de base. […] Sur le court terme ce n’est pas rentable, mais à long terme, quand l’esport sera démocratisé, ça explosera. Tout le monde le sait, tous les éditeurs le savent. » Pour Baptiste Simon aussi, directeur et CEO de Trainhard Esport, ces investissements ne sont pas naïfs. Il confirme « le milieu se porte bien. C’est un investissement sur l’avenir. » 

Ainsi les sponsors sont partout, aussi dans les équipes, comme Vitality et Adidas. Certains grands clubs s’associent à l’esport. Récemment l’Olympique de Marseille s’est associé à Grizi Esport, l’équipe des frères Griezmann, afin de toucher une plus large audience et de mettre un pied à l’étrier en esport. Il apparaît évident pour la majorité de la scène sportive traditionnelle que l’esport est un domaine qui n’attend que d’exploser.  

« Pendant très longtemps on ne s’est pas occupé du mental des joueurs»

Emeline Guedes, chargée d’affaires à Level 256

L’expérience sportive au service du développement esportif

Si cet intérêt pour l’esport de la part de sportifs paraît curieux pour certains, il se révèle comme étant la suite logique d’une carrière pour d’autres. Beaucoup d’équipes esport font le choix de profiter de l’expérience de grands sportifs afin de développer leur activité. Les sportifs, ou anciens sportifs de haut niveau y voient aussi leur intérêt. Pour Baptiste Simon « ce n’est pas étonnant. Tous les joueurs ou sportifs veulent continuer à évoluer dans le même milieu. […] La présence de grands sportifs motive les joueurs. »

L’embauche de Bruno Martini chez Vitality, qui est pour rappel l’équipe esportive française la plus importante, se pose alors comme une évidence. Le bien être physique et mental des joueurs est important, et cette expertise doit venir de professionnels du milieu compétitif. « Pendant très longtemps on ne s’est pas occupé du mental des joueurs» confie Emeline Guedes.

En conséquence, de nombreux joueurs se sont retrouvés dans une extrême détresse psychologique notamment sur Counter Strike : Global Offensive. A la découverte de cette nouvelle, certaines équipes prennent la décision d’engager des coachs mentaux dans les équipes. « Engager quelqu’un issu du monde du sport pour encadrer les joueurs et les aider aussi bien physiquement que mentalement, c’est quelque chose qu’il faut vanter. Ils ont compris que le bien être des joueurs était primordial » continue Emeline Guedes. Elle conclut «La récompense au bien être des joueurs c’est la performance. »

C’est d’ailleurs la stratégie déployée par Excel Esports. Le recrutement de Dele Alli est un choix stratégique, comme l’explique un article de la BBC « Dele va aider les joueurs et toute l’équipe à développer certaines compétences psychologiques, comment gérer la pression et se dépasser. »

Si beaucoup de sportifs investissent dans l’esport sans vraiment s’en mêler, d’autres choisissent d’y prendre part activement. Certains y voient une véritable opportunité de renouer avec la compétition tout en aidant la discipline à se développer. Ainsi s’en emparer dès maintenant apparaît comme un placement judicieux pour de nombreux sportifs qui n’attendent qu’une seule chose : que la bulle éclate.

Naïla Bouakaz
Illustration de Romane Beaudoin

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