La semaine contre l'homophobiePasse en profondeur

“Aucune joueuse française n’a fait son coming out” Le combat des Dégommeuses contre l’homophobie dans le football féminin

En finir avec le sexisme, les discriminations LGBT, toutes discriminations ou bien les clichés du foot féminin, c’est le combat que Cécile Chartrain, co-fondatrice et présidente des Dégommeuses a décidé de mener. Après 10 ans de présence sur les terrains et d’actions associatives pour la promotion d’un football inclusif, le chemin vers un avenir arc-en-ciel dans le football français est encore long. Entretien.


Ce samedi 27 juin, le Canal de l’Ourcq à Paris a repris vie. Quelques bateaux de locations naviguent sur l’eau mais certaines embarcations ne sont pas comme les autres. A bord, des femmes scandant des slogans féministes et pro-LGBT, brandissant des pancartes (“+ de football, – de flashball”, “Gouines vénères contre Macron et Castaner”) et des drapeaux arc-en-ciel semblent faire la fête. Elles sont les Dégommeuses et sont là pour faire du bruit malgré le report de la Gay Pride pour cause de pandémie.
Cette année, la Marche des fiertés LGBT a dû s’adapter. Et des idées, la communauté LGBT n’en manque pas, car en dehors de l’initiative des Dégommeuses, c’est un mouvement international qui est né avec les moyens du bord, se structurant en s’adaptant au contexte du covid. La “Global Pride”, -la Pride version 2020- a investi internet 24 heures durant, du 27 au 28 juin avec des shows diffusés en direct.

“La Pride ne tombera pas à l’eau”. Crédit Photo : Teresa Suarez

C’était une fois de plus l’occasion pour l’association d’affirmer sa présence active dans les luttes contre l’homophobie, notamment dans le milieu du sport. 
Si c’est souvent au football masculin que l’on pense lorsqu’on parle de ces discriminations, l’homophobie est pourtant bien présente dans le football féminin. Il n’y a qu’à penser aux clichés massivement diffusés qu’une femme pratiquant le foot est forcément un garçon manqué, pas féminine et par extension lesbienne. 
Ce stéréotype a été combattu notamment par les fédérations et les clubs de foot féminin mais avec des méthodes qui laissent à désirer
Créée pour lutter contre le sexisme et les LGBT-phobies, Les Dégommeuses est une équipe de foot constituée majoritairement de femmes lesbiennes et de personnes transgenres qui dénonce ces procédés. 
Elles déplorent la valorisation de l’image d’une femme ultra-féminine et hétéronormative. Une image qui n’est pas représentative de la globalité des joueuses amateures comme professionnelles. “En équipe de France, sur les 22 joueuses sélectionnées à la dernière Coupe du Monde, la quasi-totalité avait les cheveux longs. Cela dit quelque chose de fort sur les injonctions à la féminité qui existent dans le milieu : le football féminin est acceptable à condition que les joueuses démontrent leur capacité à rester féminines et désirables” explique Cécile Chartrain, présidente de l’association Les Dégommeuses.

Pudeur française

Il n’y a pas si longtemps que cela, était populaire l’idée qu’envoyer sa fille au foot pourrait la “convertir”, diriger sa sexualité vers l’homosexualité. Ceci était un des facteurs, avec le sexisme prégnant des garçons accueillant une fille dans leur rang, qui démotivaient les parents à autoriser leur fille à aller rejoindre le champs, malgré leur envie. Cela et l’absence de modèles féminins dans les médias traitant du football ne laissait pas rêver de grandes carrières internationales pour une enfant. 

“L’homosexualité est tolérée du moment qu’elle reste dans le domaine de la vie privée. Mais lorsque Griezmann s’affiche avec sa femme cela ne pose de problème à personne”

Cécile Chartrain, présidente des Dégommeuses

Très récemment, cela a changé grâce à la Coupe du Monde organisé en France en 2019 : le nombre de licenciées a fortement augmenté, des sections féminines se sont créées dans de nombreux clubs, ne poussant plus les jeunes filles à devoir se mêler forcément à leurs camarades masculins pour pouvoir jouer, et les mettant ainsi davantage à l’abri des propos et comportements sexistes. 
Mais pas sur la question de l’homosexualité. “Aucune joueuse française de haut niveau n’a fait son coming out, alors qu’on sait très bien qu’il y a des lesbiennes, y compris en Equipe de France. Les seules joueuses qui vivent leur homosexualité à découvert sur les réseaux sociaux sont étrangères” regrette la Dégommeuse. “Il y a une sorte de loi du silence. Une de nos anciennes entraineuses sélectionnée dans sa jeunesse en équipe de France nous racontait les remarques horribles qu’elle avait subies concernant son physique et sur son homosexualité”. A la fédération, “l’homosexualité des joueuses est tolérée du moment qu’elle reste dans le domaine de la vie privée. Mais personne ne s’offusque du fait que Rami ou Griezmann s’affichent avec leurs compagnes et n’y voit une affirmation agressive de leur hétérosexualité” lâche amèrement Cécile Chartrain. 

“Attention, on n’est pas là pour dire qu’il faut obligatoirement que les joueuses lesbiennes ou bisexuelles s’exposent sur la scène publique. Chacune fait comme elle veut et surtout comme elle peut, mais il est évident qu’une sortie du placard largement médiatisée pourrait aider la communauté LGBT et surtout les jeunes, dont beaucoup souffrent encore de  l’homophobie sociétale et auraient besoin de modèles positifs ” rappelle pour autant la quarantenaire. En ce sens, l’association propose plusieurs démarches pour aider ces joueuses pros et les autres à passer à l’action dans les médias ou bien auprès de leurs proches, notamment l’idée d’un coming out public collectif. 

L’accompagnement est une des valeurs fortes des Dégommeuses. Au delà de la lutte contre la lesbophobie, l’association s’engage également dans l’aide et l’accueil des personnes migrantes, sans papier, réfugiées ou demandeuses d’asile. Elle leur fournit une aide pour les démarches administratives, la recherche d’emplois, le financement d’équipements sportifs ou de pass Navigo. Ou plus récemment, une aide liée à la crise du Covid pour subvenir financièrement au loyer de certaines adhérentes.

Besoin “d’espaces safe”

Ce club, “l’un des moins chers de Paris” commente Cécile Chartrain, avec une adhésion à 15€ et une exonération sous certaines conditions, fait face pourtant à des détracteurs, qui toutefois renforcent l’ADN de battantes des militantes. 

À la FFF, l’homophobie : “tout le monde s’en fout”

Cécile Chartrain, présidente des Dégommeuses

Comme ce soir là où, sur un terrain parisien, un éducateur à la tête d’une équipe de jeunes adolescents, candidat à la présidence de la FFF qui plus est, ne voulant pas laisser l’espace aux Dégommeuses, pourtant dans leur créneau, a proféré des insultes sexistes et homophobes à l’encontre des joueuses. “Il a poussé une de nos joueuses, moi il m’a dit qu’il allait me faire “bouffer ses couilles” raconte l’employée de l’ONG Sidaction. Allant même jusqu’à inciter ses jeunes à huer les jeunes femmes et à “applaudir les lesbiennes”. Suite à cet incident, une plainte a été déposé, et classée sans suite par la justice “parce que tout le monde s’en fout des problèmes des lesbiennes et que leur parole n’est pas prise au sérieux”. La FFF non plus ne se sera pas positionnée dans cette histoire.

Il est bien difficile pour des femmes de se faire sa place dans le monde du football. “Le milieu du football, amateur comme pro, est hyper conservateur. La FFF et les clubs devraient s’emparer davantage des enjeux éducatifs et de sensibilisation contre le sexisme et l’homophobie mais aussi contre le racisme. ”. 
C’est pourquoi la première volonté de l’association est de créer “un espace safe” dans lequel chacun et chacune peut s’épanouir et aussi pour accueillir des personnes qui dans leurs propres communautés ne peuvent pas parler de leur homosexualité ou de leur transidentité. 

10 ans d’activisme

Née d’une équipe formée au gré du Tournoi International de Paris, le TIP, cette bande d’à peine dix copines au tout début s’est vue grandir rapidement. Animées par l’envie et le besoin de se retrouver pour jouer au ballon rond, ces femmes avaient besoin de se sentir légitimes et de se faire entendre face aux hommes squattant sans relâche les terrains publics, ne laissant pas de place aux femmes. Parce que bon, une fille ça ne joue pas vraiment au foot, non ? 

Les Dégommeuses sur l’eau à l’occasion de la Pride 2020. Crédit Photo : Teresa Suarez

Alors si, non seulement ça joue, mais en plus ça s’engage ! Les Dégommeuses, pour celles qui enfoncent les portes, bousculent les préjugés sont là pour prendre de la place sur les questions d’activisme féministe et LGBT. Pour cela depuis 2010 et leur première apparition, de nombreuses actions ont vu le jour grâce à des personnes rayonnantes et bouillonnantes d’idées et d’envies.  

De l’avis de Cécile Chartrain, « il y a quand même eu des progrès depuis 10 ans au niveau de la médiatisation des sportives et de l’acceptation de la pratique des sports traditionnellement considérés comme masculin. On va plutôt dans le bon sens du côté de la lutte contre le sexisme, même si on ne peut pas se satisfaire de ce qu’on a et le traitement médiatique et les salaires des joueurs et des joueuses reste très inéquitable. Les progrès sont beaucoup moins évidents du côté de la lutte contre la lesbophobie selon  la présidente des Dégommeuses, qui en dehors de ses engagements sportifs est salariée de l’ONG Sidaction. Pour faire évoluer les mentalités, ce qui manque avant tout, selon elle, c’est encore plus de visibilité, et pour cela Les Dégommeuses ne lésinent pas sur les moyens. 

Dès 2012, une équipe de footballeuses et militantes lesbiennes sud-africaines est invitée par l’association à Paris pour discuter de la question des viols collectifs commis à l’encontre des femmes lesbiennes et personnes trans en Afrique du Sud. “Cette équipe, victime de beaucoup de crimes homophobes et transphobes avait besoin, comme nous, de discuter autour de la construction d’un espace safe” se remémore la fondatrice. “On avait envie d’être dans la solidarité internationale : on a une approche féministe intersectionnelle qui inclut aussi la question du racisme”. “On a fait des débats avec des jeunes, un match au Parc des Princes et d’ailleurs c’était seulement la deuxième fois que des femmes jouaient au Parc des Princes” explique Cécile. 

Ce qui manque c’est de la visibilité, et pour cela elles ne lésinent pas sur les moyens. 
Lors du match d’ouverture de la coupe du monde féminine, en 2019  au stade de France, certaines d’entre elles étaient dans les tribunes pour déployer un drapeau arc-en-ciel. 
Plus tard, c’est une action visant les enfants qu’elles ont mis en place. “On a fait éditer des petits dépliants avec des personnalités féminines remarquables, pas très connues. On a acheté des t shirts et des marqueurs pour textile et on a proposé aux jeunes de floquer eux-même leur maillot avec le nom d’une femme. Beaucoup se sont jetés sur Rapinoe, mais d’autres ont découvert des femmes  grâce à cela”.  


À force de persévérance et d’actions sur le terrain (dans les deux sens du terme), Les Dégommeuses ont maintenant une certaine notoriété en région parisienne et même au delà de nos frontières. Les soutiens à la cause ne sont jamais de trop. Le chemin vers la diversité est long et plein d’obstacles, mais la lutte est belle et nécessaire. Les LGBT-phobies n’ont pas lieu d’être sur un terrain de foot ni nulle part ailleurs, mais ce n’est pas pour cela qu’elles n’existent pas. Et encore moins dans le football féminin, bien que bien moins visible dans les médias que chez leurs camarades masculins. 

Ana Gressier

Illustration : Romane Beaudoin

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