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10 avril 1971 : Jour de naissance de la diplomatie du ping-pong

Au début des années 1970, les relations diplomatiques entre la Chine et les Etats-Unis sont rompues depuis plus de vingt ans. Jusqu’à ce qu’une rencontre inattendue entre deux joueurs de tennis de table brise la glace : un événement appelé la “diplomatie du ping-pong”.

Les relations sino-américaines sont au point mort depuis la fin de la Guerre de Corée en 1953, où les Etats-Unis avait soutenu la République de Corée (Sud) contre la République populaire de Corée (Nord), appuyée par la Chine. Toutefois, au début des années 1970, les rapports de force évoluent.

Du côté de la Chine, le régime communiste porté par Mao Zedong cherche à s’ouvrir au monde et aux Etats-Unis. Nous sommes alors en pleine Guerre froide et l’Empire du Milieu veut s’émanciper de la tutelle de l’imposant bloc soviétique. L’autre enjeu pour le grand Etat asiatique est aussi d’être reconnu au niveau international comme la véritable Chine, aux dépens de Taïwan.

Du côté des Etats-Unis, l’administration de Richard Nixon recherchaient des relations plus étroites avec la Chine, notamment pour avoir un nouveau levier de négociations dans la sortie de la Guerre du Vietnam. Par ailleurs créer des liens avec la Chine permettait aux américains de contenir l’empire soviétique.

C’est le sport qui va offrir l’opportunité aux deux pays de réchauffer leurs relations.Et pas n’importe quel sport, puisqu’il s’agit du ping-pong, l’outil d’éducation des masses de Mao Zedong devenu ensuite le sport roi en Chine. Le dirigeant chinois voyait dans ce sport un moyen efficace de lutter contre le capitalisme :

” Considérez la balle comme la tête de votre ennemi capitaliste. Tapez dedans avec votre raquette socialiste et vous aurez un point pour la mère patrie “.

Le ping-pong va aussi permettre à la Chine de se démarquer sur la scène sportive puisqu’elle remportera toutes les compétitions de tennis de table masculine de 1959 à 1966. La révolution culturelle imposée dans le pays entraînera par la suite la fermeture des frontières et ce n’est qu’en 1971 que les pongistes chinois referont surface, grâce à un fort lobby du Japon, aux Championnats du Monde de Nagoya.

Pourtant, ce n’est pas la compétition qui va être au centre de l’attention. Un soir au centre d’entraînement de Nagoya, le pongiste américain Glenn Cowan décide de prolonger son entraînement avec un joueur chinois, Liang Geliang. Problème, à la fin de l’entraînement, Cowan ne sait pas comment rentrer à son hôtel, la délégation américaine étant déjà partie. Le joueur chinois lui propose alors de rentrer avec le bus de la délégation chinoise.

Alors que les joueurs asiatiques traitent dans un premier temps cet américain au look hippie et atypique avec suspicion, c’est la star du ping-pong chinois, Zhuang Zedong, qui brise la glace et va parler à Cowan avec l’aide d’un interprète.

“Le trajet dans le bus a pris 15 minutes et j’ai hésité pendant 10 minutes à lui parler. J’ai grandi avec le slogan « A bas l’impérialisme américain». Je me disais «Est ce raisonnable d’être ami avec votre ennemi n°1 ? » “

A la fin de la discussion, Zhuang Zedong offre à Glenn Cowan une broderie de soie représentant les montagnes de Huangshan. N’ayant rien d’autre à lui offrir qu’un peigne en retour, l’Américain lui donnera le lendemain un t-shirt barré d’une phrase pacifiste, inspirée des Beatles : “Let it be”.

La presse s’empare de l’événement. Les journalistes affluent autour des deux pongistes et interpellent le joueur américain : “M. Cowan, aimeriez-vous visiter la Chine ?” interroge le journaliste, “Eh bien, j’aimerais voir un pays que je n’ai jamais vu auparavant – l’Argentine, l’Australie, la Chine…” répond Cowan.

La machine diplomatique s’emballe ensuite rapidement. Mao Zedong voit l’information et demande à Zhuan Zedong d’inviter la délégation américaine en Chine. Une première pour des Américains depuis le gel des relations. Une initiative que les États-Unis s’empressent d’accepter.

Il faut dire que la Chine préparait le terrain depuis quelques temps. Avant les mondiaux, le Président de Fédération internationale de tennis de table, Roy Evans, avait rencontré le Premier ministre chinois Zhou Enlai pour lui parler des vertus de la diplomatie par le sport.

La rencontre entre les deux pongistes semble toutefois ne pas avoir été orchestrée. Selon Tim Boggan, membre de la délégation américaine : “On savait que la Chine utilisait le ping-pong pour récupérer son siège à l’ONU (vis à vis de Taïwan), mais je crois que ce qui s’est passé à Nagoya était spontané “.

Juste après les Mondiaux de Nagoya, une délégation de quinze américains part vers Pékin, en passant par Hong-Kong. Ce voyage en terre chinoise sera en faites une grande tournée promotionnelle, pour mettre en avant les nouvelles relations entre la Chine et les Etats-Unis.

Des immeubles gris, des affiches de Mao partout… C’était très bizarre pour nous. Ils étaient bien meilleurs, mais nous laissaient gagner des matches, pour ne pas nous humilier“, raconte Tim Boggan. La tournée des pongistes américains fera même la une du TIME, avec le titre “China : a whole new game”.

Durant leur séjour, les pongistes américains furent reçus par le Premier ministre Zhou Enlai dans le Grand Palais du Peuple, un accueil normalement réservé aux diplomates les plus importants. Zhou Enlai leur dira à cette occasion : ” Vous avez ouvert un nouveau chapitre des relations entre le peuple américain et le peuple chinois.

Les joueurs chinois feront ensuite le chemin inverse avec une tournée de plusieurs jours aux Etats-Unis. Toutefois, l’impact médiatique de cette dernière sera moins important que celle de 1971.

Cette diplomatie du ping-pong va considérablement améliorer les relations entre les Etats-Unis et la Chine. Pour le géopolitologue Pascal Boniface : ” La voie sportive avait été utilisée comme outil diplomatique pour rapprocher les 2 pays dans une diplomatie parallèle qui n’engageait pas directement les capitales en cas d’échec. ”

Dès le mois de juillet 1971, le secrétaire d’Etat Henry Kissinger se rend en Chine pour préparer le voyage du Président Nixon en Chine, qui aura lieu l’année suivante en février 1972. Cela débouchera sur la restauration des relations diplomatiques des deux pays en 1979 et la reconnaissance américaine de la Chine à Pékin et non plus à Taipei.

En revanche, pour les deux héros de cette diplomatie du ping-pong, le destin fut moins heureux. Glenn Cowan, propulsé au rang de rock-star du ping-pong, sombrera peu à peu dans la drogue avant de s’éteindre dans l’anonymat en 2004.

Zhuang Zedong deviendra un protégé de Mao, jusqu’à la mort du leader en 1976. Emprisonné et forcé à l’exil ensuite, il sera finalement réhabilité dans les années 1980 et restera dans le domaine du tennis de table jusqu’à sa mort en 2013.

Cette diplomatie du ping-pong reste encore aujourd’hui un événement majeur dans l’Histoire des relations internationales. Cette séquence diplomatique sera popularisée en 1994 dans le film Forrest Gump où le héros, incarné par Tom Hanks, fera partie de la tournée américaine en Chine.

Ou quand la petite balle de ping-pong a permis d’enclencher un tournant dans le destin de la “grosse balle”, celui du Monde.

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