Autour du Monde

Un ballon au pays des Incas

Si le Pérou se fait éclipser par les géants Argentins, Brésiliens ou encore Uruguayens, il n’en reste pas moins une formidable terre de ballon rond. Embarquez pour un voyage au pays des Incas, là où le football est encore à vivre.


Arrivé à bon port

Comme dans la plupart des pays d’Amérique du Sud, ce sont les Anglais qui ont introduit le football au Pérou à la fin du XIXème siècle lors de leurs nombreuses visites au port du Callao , l’un des plus important d’Amérique du Sud, limitrophe avec la capitale Lima. Il est d’abord joué par les Anglais eux-mêmes avec d’autres Européens résidant au Pérou, mais aussi des Péruviens établis en Angleterre retournant au pays. Rapidement, le virus footballistique se propage dans la population locale et le premier club est fondé à Lima par des britanniques en 1859, Lima Cricket. En 1885, il fusionne avec le Lima Lawn Tennis Club pour devenir le Lima Cricket & Tennis Club. Il ne prendra définitivement le nom de Lima Cricket & Football Club qu’en 1906. Si on se réfère à la date de création de l’institution (1859), il est le club le plus ancien d’Amérique. Le LCFC dispute de nos jours la ligue du district de San Isidro ce qui en fait le 5ème club le plus ancien encore en activité.

Le premier club fondé par des Péruviens n’est autre que le Ciclista Lima Association qui voit le jour en 1896. Dans un premier temps orienté vers le cyclisme, il incorpore une section football qui prendra alors de l’importance. Le football est jusqu’alors pratiqué seulement par une certaine élite mais arrivera très vite dans les classes ouvrières avec le Club Sport Alianza en 1901 qui marquera l’histoire du football péruvien à sa manière. La même année, le football s’exporte en province, notamment à Cuzco où le club mythique Cienciano nait sous l’impulsion d’étudiants du Collège National des Sciences et des Arts. Bien que populaire, le football reste un sport de loisir sans aucune compétition et il faudra attendre 1912 pour voir s’organiser une première ligue de football, comprenant uniquement les clubs de la région de Lima. Le premier champion fait respecter la hiérarchie puisqu’il s’agit du fameux Lima Cricket & Football Club. Cependant, cette première ligue de football amateur n’était pas vraiment formelle et donc pas reconnue officiellement. C’est donc en 1922 que la Fédération Péruvienne de Football voit le jour pour encadrer le football au Pérou et organise en 1926 le premier championnat officiel avec les clubs de Lima tout en y intégrant ceux du Callao, ville portuaire limitrophe de la capitale. Il faudra ensuite attendre 1951 pour que le football se professionnalise à Lima puis 1966 pour voir enfin le premier championnat décentralisé, avec dans un premier temps quatre clubs de province invités (Octavio Espinosa de Ica, Atlético Grau de Piura, Melgar de Arequipa et Alfonso Ugarte de Puno).

Premier souffle et première polémique

Revenons au début du XXème siècle. Après la création de la Fédération en 1922, la première sélection de joueurs nationaux voit le jour en 1927 lors de la Xème édition du tournoi Sudamericano (ancêtre de la Copa América) organisée au Pérou. Malheureusement, cette première sélection, composée majoritairement de joueurs du club Alianza Lima dont la légende Alejandro Villanueva, chute lourdement face aux ogres que sont l’Uruguay (0-4) et l’Argentine (1-5) et termine 3ème sur quatre équipes engagées. C’est l’Argentine qui repart victorieuse de Lima en arrachant son 3ème trophée. La bicolore fait pourtant bonne impression et sera invitée à la première Coupe du Monde de l’histoire en 1930, organisée en Uruguay. Tandis que le monde du football a les yeux rivés sur les exploits argentins et uruguayens qui se hissent facilement en finale pour un duel entre voisin du Rio de La Plata, le Pérou perd ses deux matchs de poule contre la Roumanie et l’Uruguay en toute discrétion, mais continue d’engranger un précieuse expérience internationale. Ces deux dernières sorties internationales lui serviront cette fois-ci en Europe lors des Jeux Olympique de 1936. Alors que l’Allemagne sombre lentement dans le nazisme d’Adolf Hitler, les Jeux Olympiques sont organisés à Berlin. Le Pérou y prend part et envoie sa sélection pour ce qui allait être un tournoi clé dans l’histoire de son football. C’est lors de ces jeux que la sélection péruvienne portera sa fameuse tunique blanche à frange rouge pour la première fois. Le 8 août 1936, le Pérou affronte la puissante Autriche, terre natale du Führer, au stade Hertha-BSC-Platz de Berlin pour un quart de final controversé. C’est l’Autriche qui ouvre le score à la 23ème puis double la mise à la 37ème plongeant ainsi le Pérou au bord de l’élimination. Mais en seconde période les Péruviens se rebiffent et Jorge Alcalde réduit la marque avant que le géant Alejandro Villanueva n’égalise en toute fin de match, envoyant les Autrichiens en prolongations. C’est alors que les affaires se corsent et que le match part s’ouvre enfin avec trois buts péruviens annulés. Mais Villanueva ira de son doublé et la légende Teodoro Fernández scellera ensuite la victoire péruvienne. Les Autrichiens, mécontents, ont exigé que le match soit rejoué prétextant un envahissement de terrain des supporters péruviens. On raconte que le Führer en personne est intervenu pour faire annuler ce match honteux, où sa glorieuse Autriche fut battue par une équipe de noirs (la grande majorité des joueurs du Pérou était afro-péruviens). En guise de protestation envers ces actions qualifiées d’insultantes et discriminantes, l’ensemble des délégations du Pérou mais aussi de la Colombie abandonnèrent l’Allemagne. L’Argentine, le Chili, l’Uruguay et le Mexique ont également exprimé leur soutient au Pérou. À leur retour au pays, la délégation péruvienne fut reçue comme des champions par des milliers de personnes au port du Callao. Trois années plus tard, cette sélection maintenant aguerrie connaitra enfin son premier titre international lors du Sudamericano 1939 en remportant tous ses matchs (6-2 contre l’Equateur, 3-1 contre le Chili, 3-0 contre le Paraguay puis 2-1 contre l’Uruguay) avec un Lolo Fernández en feu, auteur de sept buts et consacré meilleur joueur de la compétition.

Une du journal péruvien La Cronica du 13 février 1939.

Amour, gloire et beauté

L’âge d’or du football péruvien arrive dans les années 70 avec sa participation au mondial mexicain, laissant au passage l’Argentine sur le carreau lors des éliminatoires en 1969. Pour son entrée en lice, le Pérou offre déjà un beau spectacle avec une incroyable remontada face à la Bulgarie pour ce qui sera également le premier succès en Coupe du Monde de son histoire. Solide en phase de poule, la Blanquirroja se hissera en quart de finale pour y affronter le Brésil de Pelé dans un match décrit comme l’un des plus beau de l’histoire de la Coupe du Monde. Malgré un Pérou de gala qui a traité d’égal à égal la meilleure équipe du tournoi, c’est bien le Brésil qui passera et qui se couronnera une semaine plus tard face à l’Italie. Les Péruviens auront impressionné par leur style de jeu et par leur jeunesse. Teófilo Cubillas, 21 ans à l’époque, aura été la révélation du tournoi. Les Incas auront rendez-vous avec la gloire quelques années plus tard, en 1975, à l’issue de la nouvelle Copa America et son format que l’on connait à présent. C’est aussi la folle histoire d’un joueur de Barcelone qui s’échappe de son club sans autorisation pour rejoindre sa sélection au Venezuela afin de disputer la finale. Son entraineur, à la fois surpris et soulagé par la présence d’un joueur de son calibre, le titularise. Hugo Sotil inscrit l’unique but de la finale et soulève ainsi le deuxième trophée de l’histoire de son pays. Cette équipe de 1975, emmenée par Marcos Calderón, est sans doute la plus belle de l’histoire du Pérou avec des cadres du mondial 1970 (Chumpitaz, Cubillas, Sotil) et une jeunesse embrasée par le talent (César Cueto, Percy Rojas, Juan Carlos Oblitas).

Juan Carlos Oblitas et Hugo Sotil, auteur du but de la victoire. avec le trophée de la Copa America 1975.

Toujours emmenée par sa génération dorée, la Blanquirroja participe ensuite à la Coupe du Monde 1978 en Argentine et termine première de son groupe devant les Pays-Bas, avec un but d’anthologie de Nene Cubillas contre l’Ecosse. Arrive alors une deuxième phase catastrophique avec trois défaites dont une polémique contre l’Argentine. L’Albiceleste affronte à Rosario un Pérou déjà éliminé pour le compte de la 3ème journée de la seconde phase et a besoin de gagner par quatre buts de différence pour se qualifier. À la mi-temps l’Argentine mène de deux buts grâce à Tarantini et Kempes, mais quelque chose d’étrange se produit lorsque le président Péruvien Francisco Morales Bermúdez, accompagné de son homologue Argentin Jorge Rafael Videla, entre dans le vestiaire péruvien. Malgré plusieurs rumeurs, légendes et mythes, on ne connaitra jamais la véritable histoire de cet épisode. Toujours est-il qu’en deuxième période, les Argentins inscrivent quatre buts, remportent le match 6-0 et se qualifient pour la finale avec la gloire et un premier titre mondial à la clé. Une nouvelle fois, le Pérou sort par la petite porte mais aura régalé les amateurs de beau jeu, notamment par l’intermédiaire de son milieu composé de José Velásquez, César Cueto et Teófilo Cubillas. Cette magnifique génération en a encore sous la semelle et se qualifie de manière invaincue au mondial 1982 surpassant ainsi la Colombie et l’Uruguay. Pour préparer la compétition, le Pérou affronte la France au Parc des Princes un soir d’avril 1982. Talonnades, petit-pont, elastico et autres arabesques surprennent les Bleus de Michel Platini. Le but de la victoire, signé Juan Carlos Oblitas, est un véritable chef-d’œuvre collectif. La Blanquirroja est fin prête pour entrer dans ce mondial avec une équipe bien préparée. Malheureusement, cette belle unité est dissoute en raison de conflits en interne et d’une supposé dispute pour le poste de numéro 10 entre un vieillissant Cubillas et l’étoile montante Julio César Uribe. Le Pérou enchaîne deux matchs nuls contre le Cameroun puis l’Italie, avant d’exploser contre la Pologne au cours d’une défaite cinq buts à un. Sans doute le mondial le plus frustrant pour le pays Inca qui voit une magnifique génération tirer sa révérence. 

Trente-six ans

15 novembre 2017, un tremblement de terre de 1 sur l’échelle de Richter secoue brièvement la ville de Lima. La cause ? Jefferson Farfán vient d’ouvrir le score contre la Nouvelle Zélande en match retour de barrage pour la qualification à la coupe du monde 2018. Le pays entier est en ébullition lorsque Clément Turpin, arbitre principal, siffle la fin de la rencontre sur une victoire qui signifie la qualification du Pérou. Alors non, il ne manque pas de paragraphe dans cet article, nous passons réellement de 1982 à 2018 puisqu’entre temps la bicolore endura une période sombre de trente-six ans sans parvenir à se qualifier à une coupe du monde. Cependant, une nouvelle génération surgit dans les années 2000 avec des joueurs comme Claudio Pizarro, Juan Manuel Vargas, Jefferson Farfán et Paolo Guerrero communément appelés « les quatre fantastiques ». Quatre joueurs évoluant dans les meilleurs championnats d’Europe faisant les beaux jours de leur clubs respectifs, sans pour autant en faire profiter la sélection nationale. En 2011, la Blanquirroja réalise une belle Copa America en terminant troisième de la compétition, malgré les absences de Pizarro et Farfán blessés. Un homme prendra alors une autre dimension en devenant le meilleur buteur de cette édition : Paolo Guerrero. En 2015, le Pérou termine une nouvelle fois troisième de la Copa America avec un Paolo Guerrero de nouveau meilleur buteur du tournoi. Avec l’Argentin Ricardo Gareca aux commandes, le Pérou retrouve son jeu et sa splendeur. Il réalise une année 2017 parfaite en ne perdant aucun match, avec à la clé une qualification historique au mondial russe. Un mondial mitigé avec une défaite amère contre le Danemark et ce penalty raté de Christian Cueva puis contre la France, future championne du monde.


Mais qu’importe, dans l’esprit, le Pérou est de retour parmi les grands. Surtout que l’année qui suit est marquée par une performance inoubliable en Copa America. Le Pérou élimine tour à tour l’Uruguay de Cavani et Suarez, puis le Chili, actuel champion d’Amérique, en demi-finale, mais butte en finale sur un Brésil intouchable sur ses terres. Les hommes de Ricardo Gareca terminent cette décade avec le titre honorifique de vice-champion d’Amérique du Sud et surtout ont replacé le Pérou sur la carte du monde de football.

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