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Soufiane Dramé : “Faire preuve de solidarité, c’est notre devoir”

Toujours à la pointe de l’actu, le Cav’ reçoit Soufiane Dramé, footballeur franco-malien actuellement licencié en première division tchèque, et à l’origine d’une cagnotte pour lutter contre la propagation du Covid-19 au Mali. L’occasion de revenir sur son parcours pour le moins atypique, mais aussi de s’interroger sur les élans de solidarité dans le “Football Circus”.


Bonjour Soufiane. Tout d’abord, merci d’avoir accepté cette interview pour Caviar Magazine. Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?

Oui bien sûr, je m’appelle Soufiane Dramé, j’ai 24 ans et j’ai grandi à Béziers, dans l’Hérault. J’ai commencé le foot là-bas et, jusqu’à mes 19 ans, j’y ai fait toutes mes catégories. Je suis passé par les U17 et U19 nationaux, et à partir de mes 19 ans j’ai débuté l’expérience à l’étranger en République Tchèque. Je suis d’origine malienne, né en France, et issu d’une grande famille de 8 enfants (rires). J’ai 3 frères et 4 sœurs. Mon grand frère a toujours joué au foot et, à 28 ans, il y joue encore. Tout comme ma grande sœur et les deux petits garçons derrière moi !

BLANC

Qu’est-ce qui t’as amené à jouer au football ?

Quand j’étais petit, c’est mon grand frère qui m’a donné envie de jouer au foot. Je me rappelle que je voulais tout faire comme lui : à chaque fois, dès qu’il jouait au foot, moi aussi je m’y mettais. Devenir professionnel, c’était un rêve de gosse.

Soufiane Dramé

Tu as lancé une cagnotte de solidarité pour lutter contre la propagation du Covid-19 dans un village au Mali où vivent certains de tes proches. En premier lieu, pourquoi ?

Pour venir en aide aux personnes et aux proches de notre famille qui sont dans un village au Mali. On sait qu’en temps normal, c’est souvent compliqué pour eux là-bas. Au Mali on se lève le matin pour aller travailler et espérer récupérer quelques sous pour acheter à manger l’après-midi. Alors, avec le Coronavirus et les restrictions nouvelles instaurées dans le pays, on s’est dit que c’était le moment de donner un coup de main supplémentaire par rapport à ce que l’on faisait d’habitude.

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Est-ce que cela a marché ?

Oui, ça a marché très vite ! L’objectif était de récupérer une somme d’environ 3000 € en deux semaines. Et en moins d’une semaine on avait dépassé la somme.

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Et que retires-tu de cette expérience ?

Quand j’ai utilisé les réseaux sociaux pour partager cette cagnotte, j’ai vu dans mon entourage que beaucoup avaient réagi. Les personnes qui sont autour de moi sont conscientes des difficultés et des enjeux autour de cette crise et ça m’a beaucoup touché qu’elles participent à cette cagnotte. Je voudrais donc remercier toutes les personnes qui y ont apporté leur contribution, que je les connaisse ou que je ne le connaisse pas. Ça m’a beaucoup touché.

« Ça me choque un peu qu’on puisse refuser de participer à ce genre d’action »

Quelle est la situation actuellement dans le village ?

Je sais que dans le village, pendant le Ramadan, il y a eu un certain nombre de femmes et d’hommes en difficulté. Il n’y a pas eu un nombre de cas impressionnant comme en France ou en Europe, mais cela crée quand même un mouvement de panique. Et la gestion était beaucoup plus approximative qu’ici. Donc je pense que c’est surtout le mouvement de panique générale qui a beaucoup posé problème.

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Tu évoques le Ramadan justement, la religion a-t-elle une place dans cette démarche ?

Oui, je pense que le Ramadan est en partie à l’origine de ma décision. Ça m’a poussé, c’est clair. Je sais par exemple qu’autour de moi, il y a beaucoup de personnes qui sont pratiquantes et qui font le Ramadan. Le Ramadan encourage à faire des bonnes actions et j’espère que certains vont profiter de cette période pour s’y mettre. Je pense qu’il faut profiter de ce moment pour participer à la solidarité.

Soufiane Dramé
Soufiane Dramé, à l’époque où serrer des mains n’étaient pas encore formellement défendu

Est-ce que faire preuve de solidarité est un devoir en ces temps troublés ?

Oui, pour moi, faire preuve de solidarité c’est un devoir, et pas uniquement en ces temps troublés. J’essaie toujours d’aider mes proches, à tous les niveaux. C’est une question d’éducation : quand vos proches sont dans le besoin, il faut toujours être disponible pour eux. Donc, dans la situation actuelle, je pense que c’est un devoir oui.

« La République Tchèque n’est pas un pays de foot »

Que penses-tu de la déclaration du tennisman Dominic Thiem qui refuse de reverser une partie de ses gains en aide aux plus mal classés ? Selon toi, le même mouvement est-il envisageable dans le monde du football ?

Non, dans le monde du foot, je ne pense pas que cela puisse arriver. J’avoue que pour ce tennisman je n’étais même pas au courant, et ça me choque un peu qu’on puisse refuser de participer à ce genre d’action. Mais je n’arrive pas à lui en vouloir, parce que tout ce qu’il a gagné aujourd’hui, c’est grâce à son travail. Et j’ai envie de dire qu’il fait ce qu’il veut de ce qu’il a gagné. Mais, même si je n’arrive pas à lui en vouloir, je trouve cela un peu choquant, parce qu’on voit souvent des gens qui ont les moyens d’aider ne pas le faire.

Dans le foot, il y a beaucoup de personnes qui ont d’énormes qualités qui ont beaucoup travaillé pour arriver à un certain niveau et ça ne sera qu’à la fin de leur carrière qu’ils auront la récompense de leur travail. Ils mériteraient certainement un petit coup de pouce en ce moment. Après, chacun son destin, chacun sa route : certaines personnes vont réussir tôt, d’autres à la fin de leur carrière, et certaines ne vont pas réussir du tout, mais il faut que chacun donne le maximum de soi-même pour atteindre ses objectifs. On ne peut pas s’en vouloir quand on a tout donné.

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En ce qui concerne la gestion de la crise sanitaire par les autorités en France, l’arrêt définitif des championnats était-il nécessaire selon toi ? Jean-Michel Aulas a-t-il raison de pointer du doigt une erreur de précipitation de la part de la Ligue ?

Quand je fais une comparaison par rapport à la République Tchèque, là où je joue actuellement, je pense qu’il y a eu une petite précipitation en France, oui. Ils n’ont pas voulu patienter, voir s’il y avait une alternative. Je pense qu’ils ont préféré prendre la décision rapidement. Mais, en République Tchèque, on va reprendre le championnat, et personne ne sait si on va le finir. Il reste six journées du championnat normal, plus cinq journées de play-off. Le but, c’est de montrer aux gens qui aiment le football que même avec le Covid-19, on peut quand même reprendre les activités habituelles : ne pas prendre le virus comme une restriction et ne pas tout abandonner.

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Tu parles de ton quotidien en République Tchèque, justement comment est la vie là-bas ?

C’est plutôt cool. C’est une vie apaisée, qu’on peut comparer avec la France. C’est vraiment tranquille, les gens font leur vie chacun de leur côté sans jamais se poser de problème. Par exemple, quand il y a eu les restrictions sur les sorties, et qu’ils ont rendu obligatoire le port du masque, ou qu’ils ont mis des horaires pour les magasins (comme par exemple pour les personnes âgées ou les personnes atteintes d’un handicap), tout a été respecté sans problème. C’est un très beau pays, il y a beaucoup de places et de lieux à visiter, mais ce n’est pas un pays de foot. Le sport dominant, c’est le hockey, même si le foot prend de plus en plus d’ampleur.

« Mon rêve serait de jouer à Chelsea »

Dans cette optique, est-ce que tu penses que le parcours du Slavia Prague en Champions League cette année peut avoir une incidence sur la popularité du foot dans le pays ?

C’est vrai que le Slavia Prague a fait un très beau parcours en Ligue des champions cette année. Avant cela, il y avait le Viktoria Plzeň qui se qualifiait chaque année, mais jamais ils n’ont réussi à passer les phases de poule, alors que le Slavia cette année a eu une reconnaissance au niveau européen. Je pense qu’ils apportent de la considération pour le football tchèque.

Soufiane Dramé contre le Slavia Prague
Soufiane Dramé, face aux assauts incessants de la formation de Jindřich Trpišovský

Une question plus sensible mais tout aussi importante. As-tu déjà été victime de certaines remarques ou insultes à caractère raciste depuis ton arrivée en République Tchèque ?

Non, personnellement non, je n’ai jamais eu ce problème-là. La première année où je suis arrivé, j’étais dans une toute petite ville, et ils n’avaient jamais vu de personnes de couleur. J’ai même une fois eu l’expérience d’une vieille dame qui s’arrête en voiture à côté de moi pour me regarder, elle était un peu choquée. Je prends ça avec le sourire. Parfois, les gens demandent même à prendre des photos. Mais jamais je ne me suis fait insulter. Pour cela, je ressens une petite différence avec ma vie à Béziers. Par chance, je n’ai encore jamais eu cette expérience ici, mais je pense qu’en France c’est plus courant.

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Comment envisages-tu ton avenir dans le monde professionnel ?

Actuellement je vis ma deuxième saison en D1 tchèque. La première saison, j’ai eu quelques apparitions sans vraiment être régulier. J’ai plus de régularité sur la saison actuelle. J’espérerais avoir un retour sur l’Europe de l’Ouest cet été et tenter d’atterrir dans l’un des gros championnats européens pour que les qualités que j’ai aujourd’hui soient plus reconnues. J’aspire à une carrière européenne dans un club qui joue l’Europa League, voire la Ligue des Champions, qui sait.

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Vers un transfert cet été donc ? Ta destination idéale ?

Cet été, c’est pas encore certain, mais si c’est possible je pars. Ma destination idéale aujourd’hui, c’est l’Angleterre. Un club de Premier League ou un club de Championship. Ça peut ne pas sembler encore très réaliste (rires), mais mon rêve serait de jouer à Chelsea. C’est mon ambition ! (rires)

Le digestif du Cav’

Le joueur à suivre du championnat tchèque ?

Le mec qui m’a le plus marqué, je pense que c’est Adriel D’Avila Ba Loua (attaquant du MFK Karviná, club de première division tchèque, ndlr). C’est un de mes anciens coéquipiers en club et il était très proche de signer dans le top 3 des clubs du pays. Je pense qu’une fois qu’il sera là-bas, ce sera vraiment un joueur à suivre ! Il est né en 1996 comme moi ; c’est un petit gabarit, une sacrée patte gauche et un gars hyper dynamique. A chaque fois qu’on jouait contre eux, c’était le joueur à surveiller. C’est lui qui crée les actions, les situations offensives, et qui enchaîne les “passes dé”. Et tout ça en évoluant dans un club qui joue le maintien, c’est très fort !


L’équipe à suivre ?

Actuellement, le Slavia Prague ou le Viktoria Plzeň. Si demain tu regardes le championnat tchèque, ce sont vraiment les deux qui vont te donner envie. Le Slavia, ils l’ont démontré en Ligue des Champions, et le Viktoria Plzeň revient en force avec son changement de coach.


Ton coup de cœur dans le monde du foot ?

C’est le plaisir que je prends à jouer au foot. À la base, le foot c’est un jeu et mon ancien coach me répétait tout le temps de prendre du plaisir quand je jouais. Mon plus grand coup de cœur, c’est d’avoir cette possibilité-là de jouer au foot, et de vivre du sport que j’aime.

Propos recueillis par Jules Grange Gastinel.

L’illustration est signée de la talentueuse Pauline Girard.

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