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PSG-OM : « En bande organisée, personne peut nous canaliser »

Quasiment neuf ans. Le 27 novembre 2011, l’OM s’imposait trois buts à zéro face au PSG. Depuis, le néant ou presque pour les Marseillais. La stat’ hante les esprits phocéens, un peu trop d’ailleurs. Certains s’échinent à expliquer que la rivalité actuelle n’atteint pas celle du passé. Et c’est vrai : le PSG joue sur un autre terrain. Mais ce dimanche, le peuple marseillais a décidé que l’attente était terminée. Alors oui, l’argent du Qatar. Alors oui, Neymar, Michel, le coup-franc de Cavani, Valère et Kostas, la célébration de Mbappé, Jacques-Henri Eyraud. Mais ce soir, il n’y a plus d’excuse : les Marseillais veulent une victoire. Vont-ils aller la chercher ? La réponse se trouve ci-dessous. Car seuls Caviar, et le regretté Paul le Poulpe, connaissent la vérité.


19h02 – Aux Allées Gambetta, à deux pas de la Canebière, Paul, posé en terrasse, lit La Marseillaise. À 72 ans, la figure tannée par le soleil, il est de ceux qui ont connu les plus belles heures de Josip Skoblar. Ce soir, Paul est descendu de la Plaine pour rejoindre le bar du Marché. « Eux, ils ont l’IPTV, trente euros par an, tu te rends compte ? » L’homme, comme tous les Marseillais avant un Classico, y croit : « C’est le jour, je vous le dis. Le petit Thauvin(g) est de retour. En plus, Paris, avec le Covid, la Covid, le, enfin je sais plus, ça m’a gonflé ».

19h50 – Dans le camp d’en face, David remonte les marches de son immeuble les bras chargés. Deux packs de Leffe Ruby, du houmous, de la truite, entre autres. Il rejoint ses deux colocs, tous vêtus d’un maillot floqué Zlatan : « Quel joueur fantastique, tout de même, notre Ibracadabra ». C’est clair, la pression est dans le camp d’en face.

20h57 – Après une longue attente dans le vestiaire, les 22 acteurs pénètrent sur la pelouse devant 5 000 spectateurs loin d’être en délire. Brassard au bras, Steve Mandanda a la tête des mauvais jours. Car la nouvelle vient tout juste de tomber : dix minutes avant la rencontre, le Paris Saint-Germain a prolongé le contrat d’Eric-Maxim Choupo-Moting. 

21h00 – Le match est lancé, faites vos jeux. Grosse cote, gros gain, gros respect, on connait.

21h01 – Carton jaune pour Marco Verratti. 

21h03 – Neymar, à peine remis des suites d’Ibiza, se laisse tomber aux trente mètres, bousculé par un Sakai pourtant moins incisif que le coronavirus. Le Brésilien pose le ballon et prend quelques pas d’élan. Dans les gradins du Parc, le président marseillais connait cette odeur : celle de la punition. Le numéro 10 parisien enroule une merveille de frappe qui finit dans la lucarne d’un Steve Mandanda médusé. Vous avez dit but en clair ?

21h10 – Malgré ce pion encaissé dès l’entame, les Olympiens ne baissent pas les bras. Villas-Boas a retenu les leçons de l’année dernière. Fini le pressing à tout va et les espaces béants : même si Kylian Mbappé, buteur lors des trois derniers Classicos, est absent, AVB se méfie des forces parisiennes. L’objectif ? Empêcher Verratti et Di Maria de lancer leurs coéquipiers en profondeur. L’OM fait bloc, et commence même à proposer du jeu. Payet assume son tweet moqueur d’il y a trois semaines : malgré une coupe de cheveux plus que douteuse, le meneur marseillais décroche et casse des lignes comme jamais. Devant, Dario Benedetto manque le cadre de justesse, après un amour de centre de Jordan Amavi. Bah oui. 

21h15 – L’audience de la rencontre baisse subitement. « Nous rencontrons actuellement un souci technique. Nous mettons tout en oeuvre pour le résoudre au plus vite ». Dans leur 13 m2 d’Oberkampf avec douche sur le palier, David et ses deux colocs commencent à regretter d’avoir investi autant dans leur abonnement à « Téléfoot, la chaîne du foot ».

21h30 – Paul regarde sa montre : il est 21h30.

21h34 – Depuis vingt minutes, les Marseillais ont le pied sur le ballon. Derrière, Alvaro et Caleta-Car règnent en maîtres : le PSG n’a pas eu la moindre occasion depuis la 8è minute de jeu. Kevin Strootman muselle Neymar, et Dario Benedetto se prend pour Roberto Firmino. Mais comme souvent lorsque l’OM joue bien, une étoile brille plus que les autres. Dimitri Payet survole la pelouse du Parc. L’Euro 2021 est encore loin, pourtant, le Réunionnais réussit tout ce qu’il tente. A la 34è minute de jeu, il efface Ander Herrera et envoie une comète dans la lucarne adverse. L’OM égalise. Même Didier Deschamps et Daniel Riolo sont impressionnés.

21h35 – Avant de reprendre le jeu, Thilo Kehrer prend les choses en main et réunit ses troupes au centre du terrain. L’Allemand se lance dans une explication vaseuse : « Nous, on avait les quarts de finale de Ligue des Champions. Eux, ils ont le PSG ». Certains joueurs comprennent, d’autres non. Toujours est-il que Paris réussit rapidement à reprendre le contrôle de la partie. Par deux fois, Mandanda réussit des parades déterminantes. Di María, lui, dézone et casse les reins du pauvre Hiroki, dribblé comme un vulgaire Carles Puyol. Le Japonais doit quitter le terrain. Il cède sa place à Yuto Nagatomo. Bah oui.

21h47 – Corner pour l’OM, obtenu sur une des rares incursions marseillaises dans le camp parisien depuis l’égalisation. Payet lève les deux mains, et vise le gros crâne de Kamara. Plus violent que du MMA, qu’une double frappe de Benzema, Bouba fracasse la cage de Keylor, et cavale vers son frérot Maxime Lopez. Les deux minots enfilent des t-shirts « 13 Organisé ». Et ça fait ZUMBA CAFEW.

21h48 – Mi-temps. Paul se ressert un verre, et commence à y croire. David se ressert un verre.

22h10 – Il faut croire que le discours de Tuchel a porté ses fruits. Malgré le but de retard au tableau d’affichage, les Parisiens jouent libérés, tout en maîtrise.

22h12 – La pression s’intensifie sur la cage de Steve Mandanda. Sarabia frappe le poteau.

22h14 – Coup-franc pour Paris. Neymar, excentré à gauche, envoie la gonfle au niveau du point de penalty. Duje Caleta-Car, à peine remis du match de la décennie contre l’Equipe de France quelques jours plus tôt, perd le contrôle de ses nerfs et plaque Presnel Kimpembe dans la surface de réparation. Trop d’enjeu ? Une volonté de revanche ? Quoi qu’il en soit, Monsieur Brisard n’hésite pas et désigne le point de penalty, tandis que Duje réclame corps et âme l’appel à la vidéo. Caleta-Var. Neymar transforme.

22h19 – Le match s’équilibre : les Parisiens ont le pied sur le ballon. Mais l’OM ne concède pas d’occasions, et s’en procure même deux par l’intermédiaire d’un Benedetto tranchant mais pas assez tueur. Les Phocéens sortent ce qui fait leur force depuis l’arrivée d’AVB : la solidarité. Chacun se dépasse pour le copain, ça joue en bande organisée. Thauvin et Payet tentent de combiner. L’ancien Nantais rayonne, mais ses partenaires ont parfois du mal à suivre. Du côté du club de la capitale, c’est du classique : on contrôle la possession, et on compte sur Neymar et Di Maria pour enfiler les buts.

22h28 – Téléfoot fonctionne à nouveau.

22h30 – Retransmission télé ou pas, Dimitri n’en a que faire. Le meneur de jeu marseillais dribble Idrissa Gueye puis Ander Herrera. Il transmet à Thauvin sur le côté droit. L’enfant d’Orléans déborde, repique sur son pied gauche, feinte et centre en retrait. Un véritable caviar (vous l’avez ?). A l’entrée de la surface, Payet reprend sans contrôle. Lucarne. Le maestro olympien nous refait la célébration « cojones », et toute la ville de Marseille explose. Sur la Canebière, ça craque des fumis à la pelle. Paul se lève : « Tyé un monstre, Dimitri ! »

22h31 – David se ressert un verre.

22h32 – Entrée de Kylian Mbappé. Non, pas quand même. Entrée de Jesé. 

22h39 – Les joueurs de Villas-Boas laissent leurs tripes sur le terrain, tandis que les Parisiens continuent de contrôler la rencontre, et se font de plus en plus dangereux. Chacun des 22 acteurs connait la puissance du « syndrome du coup-franc de Cavani ».

22h41 – Thomas Tuchel, privé de son arme secrète (Mbappé), s’en remet à Dieu, ou plutôt à Eric-Maxim Choupo-Moting. L’Allemand s’avance sur le terrain. Mandanda déglutit.

22h49 – Les arrêts de jeu n’en finissent pas. Sur son banc, Villas-Boas, fou de rage, prend une biscotte. Di María accélère à 35 mètres du but, poursuivi par Pape Gueye, entré en cours de match. Le jeune transfuge, déterminé à prouver qu’il est le Gueye le plus costaud ce soir, prend l’Argentin à l’épaule. Un peu trop violemment au goût de l’arbitre : coup-franc pour Paris. Paul le sentait venir. Pablo Sarabia prend le ballon des mains de Choupo : ce soir, c’est lui le héros. Il jette un regard amouraché à un certain Uruguayen camouflé dans les 5 000 personnes qui composent le public du Parc. Le numéro 19 parisien s’élance. Et évidemment, il ne la met pas, ça aurait été beaucoup trop violent pour les Marseillais. Le karma fait parfois preuve de respect.

22h51 – Les Phocéens exultent, sans doute plus que de raison. Dimitri Payet prendra même une amende pour non-respect des gestes barrières, après avoir tenté de refiler à Neymar un maillot du Bayern. À Oberkampf, David n’a plus de Leffe.

22h54 – Thomas Tuchel se présente au micro de Téléfoot. Après deux matchs disputés, le PSG est relégable avec un zéro pointé. Le vice-champion d’Europe joue le maintien. « On va se battre pour rester en Ligue 1 », promet l’Allemand. « Notre objectif est d’arriver le plus vite possible à la barre des 42-43 points, ce sera difficile mais on va tout faire pour. On a des joueurs comme Jesé, qui a déjà dû se battre pour le maintien avec Stoke. C’est bien, il va énormément nous apporter pour cette saison. »

23h00 – Les habitants de la cité phocéenne laissent éclater leur joie, tandis que les T-Max remontent la Canebière en Y. On n’avait plus vu ça depuis la victoire de l’Algérie à la CAN 2019 (je le sais, j’y étais). Même Soso Maness descend de Font-Vert pour fêter ça. Certes, ce n’était qu’une troisième journée de Ligue 1 face à un PSG amoindri. Mais les Marseillais ne ratent jamais une occasion de rappeler à la France entière quel est le meilleur public de l’Hexagone. Les journalistes fans de l’OM laissent même de côté l’objectivité dans leur résumé de match. Paul, soûl comme un coing marseillais, retrouve les jambes de ses vingt ans et remonte le Quai du Port à la vitesse de Radonjić. Il tombe sur la nouvelle édile de la cité phocéenne, Michèle Rubirola, qu’il ne se retient pas d’embrasser. Le vieil homme et la maire.

Fin de disette pour l’OM, qui met fin à une (beaucoup trop) longue série de matchs sans victoire face à un club encore considéré, sous la Bonne Mère, comme l’ennemi juré. Entre les Calanques, on ne joue plus dans la même cour qu’aux pieds de la Tour Eiffel, certes. Le PSG a désormais sa place parmi les cadors européens, loin devant son rival du Sud. Et même pour les plus fervents Olympiens, il est presque impossible de ne jamais esquisser un sourire devant la justesse technique de Verratti ou de Di Maria. Mais à Marseille, la rivalité, historique, vit toujours. Et les supporters font fi des critiques, car comme le souligne Paul avec philosophie : « les rageux vont maigrir ». Car oui, on s’en fout, on a gagné (et on a l’étoile).

Léon Geoni

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